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Alain Krivine : 
"La gauche anti-capitaliste n’a pas été capable de faire ses preuves"
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Lutte finale ?

Après le "printemps arabe" et la Grèce, la révolte gagne depuis quelques jours l'Espagne. S'étendra-t-elle au reste de l'Europe ? Ancien candidat à l'élection présidentielle et membre du Nouveau parti anticapitaliste, Alain Krivine livre à Atlantico son point de vue.

Alain Krivine

Alain Krivine

Alain Krivine est membre du Nouveau parti anticapitaliste.

Candidat à l'élection présidentielle sous l'étiquette de la Ligue communiste (1969) et du Front communiste révolutionnaire (1974), il fut député européen de 1999 à 2004, élu sur la liste Lutte ouvrière-LCR.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Ça te passera avec l'âge (Flammarion, 2006).

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Atlantico : Comment analysez-vous la révolte qui se déroule actuellement en Espagne ?

Alain Krivine : Elle concerne à la fois des victimes de la crise qui se révoltent, une non-reconnaissance de la légitimité des institutions et des partis institutionnels et une volonté de démocratie. Toute une série de facteurs entre en jeu. On les retrouve dans différents pays avec des formes particulières : Tunisie, Algérie, Egypte, etc.

Je ne sais pas si l’on peut parler de « révolutions », mais il s’agit en tout cas de « révoltes ». Il existe une mobilisation populaire très forte, même si la dernière étape de renversement du pouvoir n’est franchie nulle part.

Comment expliquez-vous que ces différentes révoltes aient lieu aujourd'hui, presqu'en même temps ?

Nous assistons à une crise exceptionnelle avec des conséquences que l’on n’a pas connues depuis longtemps : appauvrissement, problèmes de logements… voilà les problèmes communs de chacune de ces révolutions.

Tous les partis ont montré leur incapacité à sortir de la crise. En ce sens, il est intéressant de constater que ce sont des gouvernements de gauche qui gouvernent l’Espagne ou la Grèce. Ils donnent finalement les mêmes réponses que lorsque la droite est au pouvoir. Il existe donc un rejet institutionnel de la gauche comme de la droite.

La révolte en Espagne semble ne pas avoir de mot d’ordre « politique »…

Quand on regarde la radicalité des revendications, cela ne semble peut-être pas politique au sens institutionnel du terme, mais il y a une vraie remise en cause du système lui-même. Ca va beaucoup plus loin que tous les partis de gauche réunis : le capitalisme est contesté dans ses fondements mêmes, avec des mots d’ordre sur l’absence de justice, d’égalité, le rôle de l’argent, des médias. C’est peut-être une remise en cause sans solution, mais c’est une révolution radicale qui s’oppose aux solutions réformistes des partis institutionnels ; et j’inclue dans ces partis les partis communistes.

Est-ce comparable à mai 68 ?

Comparable en tant que révolte populaire, auto-organisée. Mais en 1968, il n’y avait pas de crise économique, la jeunesse étudiante était privilégiée. Aujourd’hui, en France, il n’y a pas 300 000 étudiants comme en 1968 mais 2 millions et la moitié d’entre eux travaille, ce qui n’existait pas en 68. Il existe une liaison nouvelle entre le monde du travail et les étudiants car ceux-ci doivent payer leurs études.

Au final, c’est peut-être plus dangereux pour le pouvoir actuel : en Espagne comme dans les pays arabes, on observe un mélange d’étudiants diplômés sans travail, de chômeurs, de salariés, bref de toutes les victimes de la crise. Ce mélange n’existait pas en 1968.

Le fait que ces révoltes aient lieu 40 ans après mai 68 ne montre-t-il pas l’échec du mouvement des années 1970 ?

Mai 68 fut un acquis précieux, mais c’est un échec politique. Les gouvernements ont changé après 1968, il y a eu le programme commun en 1972, mais nous avons toujours affaire à la même société.

La révolte espagnole pourrait-elle selon vous s’étendre à l’Europe et arriver en France ?

C’est difficile à dire. Quand ça a éclaté en Tunisie, on pensait que ça ne toucherait que les pays arabes. On expliquait alors que ça n’arriverait pas en Europe car il y avait ici de grands partis ouvriers traditionnels, que nous n'avions pas eu de dictature comme là-bas, etc. Il s’avère finalement que des révoltes ont eu lieu dans des pays comme la Grèce ou l’Espagne. On ne s’y attendait pas. Je pense que le mouvement qu’on a connu dans les pays arabes ou en Espagne a une dimension significative à l’échelle mondiale.

Pour ce qui est de la France c’est encore très balbutiant. Je ne ferai pas de pronostic. Pour l’instant cela fait surtout le jeu de Marine Le Pen. Mais les circonstances ont justement poussé le FN à infléchir son discours, à être plus social, ce qu’il n’était pas sous Jean-Marie Le Pen.

Pourquoi ce terreau de révolte ne bénéficie pas à l’heure actuelle à l’extrême gauche, en tout cas, si l’on se fie aux sondages ?

Il y a un problème de rythme : au moment où la gauche classique se discrédite, la gauche anti-capitaliste n’a pas été capable de faire ses preuves sur une large échelle. Il faut désormais comprendre ces nouvelles formes de lutte. Olivier Besancenot parlait de « pouvoir des anonymes »... Quand il a refusé d’être candidat alors qu’il était connu et populaire, les politiques ont dit « il est fou », mais dans l’opinion ça a été très bien perçu. Les gens ont dit « au moins, il n’est pas comme les autres ». Sa réaction finalement a été comprise par des personnes qui peuvent avoir beaucoup de sympathie sur ce qui se passe actuellement en Espagne.

En fait, votre question fait écho au débat qui a lieu aujourd’hui au sein de la gauche anti-capitaliste. Nous essayons de comprendre ces phénomènes et de voir quelles réponses on peut leur donner. Je crois que ce contexte nous oblige à ne pas imposer des réponses en termes institutionnels. C’est tout le débat du « faut-il que le NPA se rapproche du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon ? ». En ce qui me concerne, je pense que le Front de gauche, qu’on le veuille ou non, est perçu comme institutionnel.

Quel rôle joue Internet dans ces révoltes ?

Je suis mal placé, compte tenu de ma génération, pour porter un jugement ! Je ne peux que constater que ça a un poids extraordinaire, y compris en Tunisie ou en Egypte où l’on ne pensait pas que le web puisse avoir une telle importance. J’avoue avoir complètement sous estimé Internet.

Bien-sûr, ce média a aussi des défauts : il ne faut pas que ça pousse à la simple addition d’individus. On se retrouve collectivement quand il y a eu des appels sur le web. Mais le net soulève de nombreuses questions sur la façon de concilier efficacité, individualité et collectif.

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