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Alain Juppé, NKM, Aurore Bergé et une droite qui ne sait plus à quel soutien se vouer
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Confusion

Entre ralliements à Macron, soutiens à plusieurs candidats dans la même circonscription... Aux Républicains, on en sait plus à quel saint se vouer.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Alain Juppé a à la fois soutenu publiquement Nathalie Kosciusko-Morizet qui a l'investiture LR à Paris et Aurore Bergé, qui avait participé à sa campagne aux primaires de la droite et qui, elle, concourt dans les Yvelines sous l'étiquette REM face à Jean-Frédéric Poisson, le candidat investi par LR. Pour Alain Juppé, ce soutien à Aurore Bergé se justifie par le fait qu'elle et lui "partagent les mêmes valeurs : amour de la liberté, attention envers les plus fragiles, adaptation de notre économie à la révolution numérique, engagement dans la transition écologique, amour de la France et attachement à l'Union européenne". NKM pour sa part fait face à un candidat investi par REM à Paris et François Fillon lui a lui aussi apporté son soutien "pour défendre les couleurs de la droite et du centre et les intérêts des Parisiens qui se reconnaissent dans nos valeurs" (sans préciser lesquelles), Si on ajoute à ce cocktail détonnant le fait qu'Aurore Bergé a été l'une des premières parmi les Républicains à rallier Emmanuel Macron tout en critiquant vertement François Fillon, que faut-il retenir de cet enchevêtrement de barrages ou de soutiens au nom de valeurs partagées ? 

Roland Hureaux : Il est difficile de blâmer Alain Juppé de privilégier les attaches personnelles sur les considérations de parti. Mais il ne s’agit pas de cela. Qu’il soutienne Nathalie Kosciusko-Morizèsest dans l’ordre des choses : ils appartiennent au même parti et ils ont à peu près les mêmes idées : c’est-à-dire n en principe, celles des Républicains mais avec un fort tropisme à gauche.

Qu’il soutienne un candidat "En Marche !" contre Jean-Frédéric Poisson à Rambouillet me parait en revanche un grave manquement aux obligations du parti auquel il appartient encore,d’autant que Jean-Frédéric Poisson,candidat à la primaire de la droite et du centre, a été  loyal dans son soutien au candidat républicain, François Fillon.  

Cela témoigne aussi d’une hostilité à ce que représentent Jean-Frédéric Poisson et le PCD : un catholicisme intransigeant sur les questions de société, qui n’exclut d’ailleurs  ni l’« amour de la liberté, l’attention envers les plus fragiles, l’adaptation de notre économie à la révolution numérique, ou l’ amour de la France » qu’invoque Juppé. Il y a certes des divergences entre Juppé et Poisson sur la conception l’Europe, mais elles doivent faire l’objet d’un débat : c’est l’absence de ce débat sur ces questions au sein du grand parti de droite qui a fait le lit du Front national au cours des dernières années. Il ne justifie pas ce genre de « trahison ». 

Je suis réservé sur le terme de « valeurs » qu’on emploie aujourd’hui à toutes les sauces. Heidegger, après Nietzsche, ont montré en quoi ce terme prêtait à confusion. On l ’emploie en général pour recouvrir d’un voile pudique (ou honteux) l’attachement à la morale chrétienne, en oubliant que celle-ci se réfère à des  racines anthropologiques qui ne relèvent pas d’une confession particulière, qui sont ce que Saint Thomas d’Aquin aussi bien que Voltaire, Rousseau et Jules Ferry appelaient la morale naturelle. Quand on parle en revanche de mes valeurs, tes valeurs, ses valeurs, on tombe dans le relativisme. Or il et des principes moraux qui ne sont pas relatifs : par exemple « tu ne voleras pas »,  issu de la loi de Moïse, repris sous une autre forme dans la Déclaration des droits de l’Homme quand elle dit « La propriété est un droit inviolable et sacré ».  On peut être en désaccord par exemple sur le statut de homosexuels, mais il ne s’agit pas de valeurs, il s’agit de politique.   

Juppé aussi se revendique de valeurs  car le terme est aujourd’hui terriblement galvaudé, c’est à dire d’une politique qui ne serait pas la même que celle de Poisson mais il faudrait qu’il soit plus explicite. Parler de valeurs ferme le débat alors que le devenir de l’Union européenne, par exemple, devrait faire l’objet d’un débat ouvert, politique et non moral. 

Il reste qu’il y a, ce n’est un secret pour personne, des convergences entre l’aile gauche des Républicains et les émules de Macron, d’autant que ce dernier, en nommant un premier ministre de droite (qui, il est vrai, avait refusé de voter contre la loi Taubira, à l’instar de NKM) et en se donnant pour première tâche le détricotage du Code du travail entretient la confusion. 

Toute la philosophie de Macron repose sur la confusion délibérée : des nations dans le projet européen, des cultures (« il n’y a pas de culture française »),des genres (au sens de gender), et aujourd’hui de la droite et de la gauche. 

Va-t-il aller jusque abolir le principe de contradiction qui est à la base de la  rationalité humaine en maintenant un ministre Ferrand tout en projetant une loi pour moraliser la vie politique, ou en diminuant le budget militaire après avoir visité en fanfare nos troupes en OPEX ? Il n’est jusqu’à ce repère anthropologique   fondamental du permis et du pas permis qui se trouve mis en cause par le projet de dépénaliser le cannabis. Cela entre-t-il aussi dans laconvergence des valeurs célébrée par Juppé ? On aimerait le savoir. 

Au-delà des mots employés par Alain Juppé, comment définir les valeurs partagées à la fois par Alain Juppé, Aurore Bergé, NKM et donc aussi François Fillon ? Quid de Jean-Frédéric Poisson qui porte lui aussi l'étiquette LR dans cette équation compliquée ? Et quid du candidat REM qui se présente face à NKM : ne peut-on supposer qu'il partage les mêmes valeurs qu'Aurore Bergé puisqu'ils se présentent sous la même étiquette ? 

Je vous ai dit ce que je pensais du mot « valeurs » que je m’efforce de ne pas utiliser.  Je ne crois pas que François Fillon ait été sur la même ligne que Juppé : certes il ne voulait pas remettre en cause les changements sociétaux votés par la gauche (mariage homosexuel, encouragements divers à l’avortement) mais il n’avait pas beaucoup de sympathie pour eux. Sur la politique étrangère, le clivage Fillon – Juppé est encore plus patent ; au plan international, ils se trouvaient des deux côtés la barrière : pour François Fillon, du côté Poutine-Trump, pour Juppé, comme Macron, du côté Merkel, Obama, Clinton. Ce n’est pas un mince fossé : Juppé avait d’ailleurs accusé méchamment Fillon, lors de la primaire, d’« abuser de la vodka ». 

La politique n’est pas seulement une affaire de « valeurs » mais aussi de clans et d’allégeance, d’ambitions. Que l’appel d’air d’ "En marche!" ait suscité des vocations de gens qui saisissent  l’occasion pur se faire élire, y compris contre NKM qui semble « macro-compatible », qui s’en étonnerait ? 

Il reste qu’on trouve souvent plus de cohérence entre certains éléments de LR et En marche qu’entre les gens de LR. C’est le signe de la prédominance des idées de gauche dans notre société. L’incapacité de LR à y résister (à part des gens comme J.-F. Poisson et dans une moindre mesure F. Fillon) témoigne de la grave crise que traverse ce mouvement.  Il est clair que si tous ceux qui se réclament de l’héritage gaulliste ou même du vrai libéralisme ou de la vraie démocratie chrétienne, se lassent imbiber par les idées de la gauche sociétale (car c’est de cela  qu’il s ‘agit) ce mouvement ne peut être qu’en crise. Et s’il continue sur cette voie, il va encore élargir le créneau du Frontnational qui attire, il faut s’en souvenir, 1/3 des Français. Cela a paru peu au second  tourde la présidentielle mais c’est en réalité énorme. 

Les Républicains ont la mission historique d’offrir une solution alternative à tous ceux que le Front National tente. S’ils ne le font pas, devinez ce qui va se passer en 2022.  1/5 en 2002, 1/3 en 2017, on sera vite à 1 /2.

Y-a-t-il un sens politique à tout ça ou est-ce le symptôme d'une impasse idéologique et politique dans laquelle se trouveraient les Républicains aujourd'hui ? 

Je vous ai en partie répondu : d’un côté, il y a la politique délibérée de Macron de brouiller les repères. De l’autre, il y a une vraie crise des Républicains qui se sont avérés incapables de résister aux tentations de la gauche libertaire, d’autant que cette gauche s’était en même temps ralliée à l’idée libérale en matière économique. C’est le règne du libéral-libertaire (« Li-li ») tout azimut, qu’incarne Macron. Mais ne vous faites pas d’illusion, il laisse de côté beaucoup demonde,notamment la majorité du peuple de France qui n’est ni libéral (ultralibéral en tous cas), ni libertaire. 

Comment les électeurs sont-ils censés s'y retrouver dans ce salmigondis politique ?

Je ne sais pas. Dans l’immédiat cette confusion profitera sans aucun doute à Macron, et risque de se traduire par une défaite de LR faute que ce mouvement ait marqué assez fort son identité face aux tenants du nouveau président. A terme, je ne vois pas comment cela ne ferait pas au contraire le jeu du Front National – ou de ceux qui le remplaceront car il me semble, sans vouloir entrer dans les problèmes internes de ce parti,  que l’avenir de Marine Le Pen est aujourd’hui remis en cause.

Vous êtes vous-même candidat apparenté Républicain dansla 2e circonscription du Lot où Les Républicains n'ont pas investi de candidat, quels retours vous font les électeurs sur la situation de la droite ? Parviennent-ils encore à savoir qui pense quoi à droite et quelles sont ces valeurs dont tout le monde se réclame mais qui semblent capables de jouer à un étrange saute-mouton par-dessus les affinités ou les rancœurs des uns et des autres ? 

Les électeurs sont plongés dans une grande confusion. Je suis moi-même sur une  ligne anti-Macron claire qui devrait  rassembler  tous les Républicains qui ne se sont pas laissé aller à voter pour Macron. Je n’ai pas entendu qu’on parle de « valeurs » dans le débat à la base. On s’inquiète plutôt de la hausse de la CSG sur les retraités ou de la remise en cause du Code du travail  - ou encore du devenir des zones rurales . Beaucoup, pour cela, sonttentés de voter Mélenchon. Beaucoup de gens de gauche ont voté ou vont voter "En Marche !" sans illusions ;  les plus difficiles à convaincre sont les gens de droite qui sont tombés dans l’illusion Macron, pas forcément des libéraux, beaucoup de gens déçus par Sarkozy ou Fillon. Ceux-là ne vont pas tarder à être une nouvelle fois déçus. Car la vérité est que sur la plupart des sujets du malaise français : école,justice, immigration, emploi,aménagement du territoire, il n’y a rien dans le projet de Macron qui laisse espérer une amélioration. Quant à la moralisation de la vie politique, c’est une vaste fumisterie compte tenu du manque de transparence patent du nouveau président et de son Premier ministre, sans parler de l’affaire Ferrand et d’autres.  

Pour parler le vocabulaire financier cher à Macron, la Macromania est une bulle spéculative pour laquelle la seule question est : quand va-t-elle crever ?  Si LR n’opère pas très vite un changement de cap, pour sortir de ambigüités des Juppé et NKM, on devineà qui profitera la fin de l’illusion. 

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