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Afrique, Moyen-Orient, Caucase : les erreurs stratégiques des dirigeants français face aux conflits
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Bonnes feuilles

Extrait de "Carnet de guerres et de crises, 2011-2013", de Jean-Bernard Pinatel, publié aux éditions Lavauzelle (2/2).

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Il s’agit ici, à travers des chroniques de guerres, de crises et d’analyses de dossiers brûlants, de proposer le regard d’un officier parachutiste, homme de terrain et de réflexion, sans concession aux partis.

Ces articles mettent en lumière le contexte géopolitique et stratégique de ces événements qui sont autant de facteurs déterminants de l’évolution des relations internationales, de la sécurité et du développement économique de la France et de l’Europe. Ils s’attachent à souligner la notion d’ « intérêts permanents » au-delà de toute réaction émotionnelle qui, bien souvent en démocratie, entache le jugement et les décisions des responsables politiques soumis à la pression des médias et des opinions publiques.

Ce concept « d’intérêts permanents »  a été popularisée par Benjamin Disraeli qui reprochait en 1852 au premier ministre britannique Robert Peel « de ne donner pour base ni à sa politique ni à la vie de son parti aucun principe élevé et permanent, de mettre sa gloire dans l’habileté des compromis et dans le succès d’expédients temporaires, au lieu de la placer en des idées largement conçues, franchement proclamées et fidèlement pratiquées » [1].  Un siècle et demi plus tard, cette critique conserve toute son actualité pour résumer les reproches qui sont faits à la gouvernance du chef de l’Etat.

Retour sur trois années d’analyses géopolitiques

Les années 2011-2013 ont été marquées par une évolution majeure du contexte international qui concerne directement la sécurité et le développement économique de la France et de l’Europe.

De nombreux conflits et crises se sont développés dans notre environnement stratégique. Ils ont révélé des modifications importantes des rapports de force et d’influence dans le Monde.

Ils ont notamment mis en lumière trois évolutions négatives pour notre sécurité dans les régions (Afrique, Moyen-Orient, Caucase) qui les déterminent.  La montée en puissance de l’islamisme radical s’est accélérée. Le désengagement américain de ces régions, initié après l’élection du Président Obama, s’est poursuivi permettant à la Russie, historiquement présente dans ces régions, d’y faire un retour en force et à la Chine de s’y introduire patiemment, poussée par l’impératif de sécuriser ses voies d’approvisionnement en énergie et en matières premières. Le suivisme et la passivité des dirigeants européens face à ces évolutions ont mis en lumière et ont confirmé l’incapacité de l’Europe à définir et à mettre en œuvre une politique étrangère et de défense conforme à ses intérêts.

A l’inverse, les dirigeants français ont démontré leur volonté de ne pas subir ces événements et de maintenir l’influence de la France dans cette partie du monde.  Mais ils ont commis de graves erreurs stratégiques car ils ont souvent réagi émotionnellement aux évènements qui s’y produisaient et sous l’influence des lobbies américains et israéliens, sans encadrer leur action par une analyse géopolitique et stratégique des intérêts à long terme de la France.

Les Etats-Unis, en effet, ont clairement montré dans cette période qu’ils ne veulent plus être, sans compter, les seuls gendarmes du Monde et qu’ils concentrent désormais leurs efforts diplomatiques et militaires dans le Pacifique et l’Asie, préoccupés par la montée en puissance chinoise.

La Chine, de son coté, en Asie, n’hésite plus à se confronter directement aux pays qu’elle considère appartenir à sa zone d’intérêt économique et d’influence. Dans cette période, la tension s’est accrue entre la Chine et ses voisins (Brunei, Japon, Malaisie, Philippines, Taïwan, Vietnam) à propos du partage des zones économiques maritimes[2] et notamment de l’archipel inhabité dénommé Diaoyu par la Chine et appelé Senkaku par le Japon qui commande l’accès des SNLE[3] chinois aux eaux profondes du Pacifique.

En Asie centrale et au Moyen-Orient, profitant du repli américain, la Chine a accentué son effort de pénétration économique en particulier au Pakistan, en Iran et en Irak, guidée par l’objectif stratégique  d’éviter les détroits d’Ormutz et de Malacca et de sécuriser une partie de son approvisionnement énergétique en l’acheminant par voie terrestre.

En Afrique, où elle poursuit son expansion économique, elle devient, désormais,  partie prenante des règlements politiques des crises qui s’y déroulent comme c’est le cas actuellement au Sud Soudan où elle possède d’importants intérêts pétroliers.

Dans ce contexte de repli américain et de montée en puissance de la Chine, les années 2011-2013 ont été le théâtre de grands bouleversements dans le monde arabe.

Sur la côte méditerranéenne de l’Afrique, les révoltes bourgeoises en Tunisie ou en Egypte face à la prédation économique des familles régnantes et la révolte de la Cyrénaïque, qui a toujours été en conflit avec la Tripolitaine sur laquelle s’appuyait le pouvoir de Kadhafi, ont pu faire croire aux leaders politiques occidentaux, mal conseillés par des idéologues sans réelle expertise, qu’un « printemps arabe » était en marche.  Cette généralisation était en grande partie inexacte car les situations révolutionnaires étaient profondément différentes dans chaque pays. Aussi, les mouvements laïques et spontanés ont vite été dépassés par des mouvements islamiques mieux organisés et financés directement ou indirectement par les monarchies du golfe.

Au Moyen-Orient, à l’affrontement historique et géopolitique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran qui contrôlent les deux rives du Golfe Persique et les détroits d’Ormutz, s’est superposée progressivement une guerre civile confessionnelle entre sunnites et chiites. L’Arabie Saoudite et le Qatar ont cru longtemps pouvoir manipuler les organisations de l’islamisme radical (salafistes et frères musulmans) en finançant largement leurs actions et poursuivre ainsi, indirectement au travers d’elles, leur affrontement géopolitique traditionnel[4]. Mais ces organisations se sont progressivement émancipées de la tutelle de leurs sponsors et poursuivent désormais leurs propres objectifs. Petit à petit elles ont supplanté les mouvements révolutionnaires laïques tant sur le terrain des affrontements armés comme en Syrie que dans le combat politique comme en Tunisie et en Egypte.

Ces groupes djihadistes qui déclarent combattre au nom de l’Islam sont eux-mêmes composés de forces d’origine très disparates, aux objectifs souvent divergents comme cela a été démontré au Sahel (AQMI, MUJAO, Ansar Dine, MLA), en Irak/Syrie (EIIL[5] , FIS) ou dans le Caucase (Emirat du Caucase[6], confréries soufies).

Leur montée en puissance a pris à contrepied François Hollande et la diplomatie française qui a cru naïvement voir dans « les printemps arabes »  l’éclosion pérenne d’une voie démocratique laïque et respectueuse des droits de l’homme mais qui à ce jour n’apparaît  plus possible à moyen terme qu’en Tunisie, déjà très avancée dans cette voie avant sa révolution.

Ainsi, par idéologie, manque de culture géopolitique et sous l’influence d’intérêts particuliers, les dirigeants français ont pris des positions partisanes dans cette région du monde qui ont écarté la France d’un règlement de la crise syrienne et du dossier du nucléaire iranien. Bien plus, ils ont permis à la Russie de Poutine de prendre notre place traditionnelle de médiateur dans cette région et de nous ôter la possibilité de peser sur le règlement de ces crises  en ouvrant la porte à une négociation directe Poutine-Obama.

De plus, alors que le rôle direct ou indirect[7] de l’Arabie Saoudite (soutien aux organisations salafistes partout dans le monde) et du Qatar (soutien aux frères musulmans en Tunisie, Egypte, Cisjordanie, Syrie) dans la déstabilisation des pouvoirs en place et dans l’aide aux forces révolutionnaires était connu de tous les experts, François Hollande s’est engagé ouvertement à leurs côtés pour des raisons mercantiles de court terme[8] mettant gravement en cause notre sécurité et nos intérêts.

Il a ainsi renforcé considérablement la probabilité d’occurrence d’un risque de représailles sur notre territoire et contre nos expatriés des éléments extrémistes de toutes les parties en présence et notamment des djihadistes français[9] qui n’ont pu qu’être encouragés et légitimés par ses déclarations guerrières : les uns voulant nous punir pour une action médiatiquement proclamée mais peu effective sur le terrain, les autres pour le soutien politique et militaire affiché à leurs adversaires.

De même, la répugnance que la majorité des Français éprouve envers le négationnisme et l’antisémitisme a poussé nos dirigeants, dont certains possèdent des liens particuliers avec Israël, à se faire les complices du sionisme qui implante des colonies illégales en Cisjordanie au mépris de toutes les résolutions onusiennes. Ils ont contribué ainsi à nous ranger dans le sillage de la politique extérieure israélienne qui a besoin de maintenir un état permanent de tension au Moyen-Orient pour justifier sa politique de colonisation, facteur principal du blocage de tout  règlement du problème israélo-palestinien.

Enfin, l’incapacité des leaders européens à définir une position au Moyen-Orient commune avec la Russie concernant la Syrie,  l’Iran  et le conflit israélo-palestinien a contribué à aggraver la guerre civile confessionnelle en Syrie, à la diffuser en Irak et à maintenir ouverte la plaie israélo-palestinienne,  source et prétexte du terrorisme contemporain.

En Afrique, comme dans les années 70 sous la Présidence du Président Carter, la France a été confrontée à un contexte politico-militaire caractérisé par les réticences d’Obama, prix Nobel de la Paix, à engager ses forces armées dans un nouveau conflit, à une diplomatie européenne lente ou rendue impuissante par l’absence de vision commune sur les menaces et les moyens d’y faire face et à des armées africaines sans valeur militaire, exceptée celle du Tchad. La France dont l’influence diplomatique dans le monde est en partie liée à l’appui diplomatique qu’elle a toujours réussi à obtenir de ses anciennes colonies, s’est trouvée ainsi, à son corps défendant, en première ligne face à la montée des périls sur ce continent, caractérisé par la déstabilisation islamique dans le Sahel et les crises politiques et ethniques en Côte-D'ivoire et en Centre-Afrique.

Seul fait positif, porteur d’avenir de cette période, dans des contextes stratégiques très différents (Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique), l’Armée française a démontré qu’elle avait conservé des valeurs militaires, une capacité opérationnelle et un savoir-faire  qui ont étonné les observateurs étrangers même si des doutes légitimes s’expriment à moyen terme sur leur maintien à ce niveau du fait des réductions budgétaires et des choix effectués par le gouvernement actuel.



[1] «  L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, elle n'a que des intérêts permanents. » http://www.revuedesdeuxmondes.fr/archive/article.php?code=68545

[2] Les zones économiques autour des archipels des îles Spratleys, des îles Paracels, des îles Pratas, du récif de Scarborough et du banc Macclesfield riches en diverses ressources dont des hydrocarbures

[3] Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins

[4] Un récent décret du Roi Abdallah stipule que tout engagement dans une organisation extrémiste sera désormais passible de 5 à 30 ans de prison. Ce décret constitue l’aveu que, d’une part, le Royaume finançait les djihadistes ce qu’il n’avait jamais reconnu et, que, d’autre part, les organisations djihadistes sont devenues assez puissantes pour se libérer de la tutelle du Royaume et se passer de son financement  et poursuivent désormais leur propres buts.

[5] L’Etat Islamique en Irak et au Levant qui a pris en décembre 2013 le contrôle de la ville de Faloudja et d’une partie de la ville de Ramadi en Irak

[6] L'organisation terroriste internationale Al-Qaïda considère le Caucase russe comme partie intégrante d'un "califat islamique" qu'elle souhaite implanter en Asie et en Afrique du nord, a annoncé mardi le secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolaï Patrouchev. (http://fr.ria.ru/russia/20101005/187564388.html)

[7] Au travers des familles les plus riches

[8] Le Moyen-Orient est revenu en 2013, la principale zone d’exportations d’armement de la France

[9] Plusieurs centaines de djihadistes français sont partis combattre en Syrie. Il est difficile d’évaluer quel effet d’entrainement ont eu les déclarations va-t’en guerre des dirigeants français qui n’ont pas été suivi d’effet sur le terrain. « Au cours de ces deux dernières années, un peu moins d’une centaine de citoyens américains se sont rendus en Syrie pour combattre le régime de Bachar al-Assad. Ce qui nous inquiète le plus est leur retour aux Etats-Unis » a déclaré à TTU n°918 DU 22/01/2014 un « Legal attaché » du FBI en poste dans une capitale européenne. « En effet, d’après nos services, certains d’entre eux auraient été recrutés, radicalisés et instrumentés par des groupes islamistes de la mouvance Al-Qaïda ».

Extrait de "Carnet de guerres et de crises, 2011-2013", de  Jean-Bernard Pinatel, publié aux éditions Lavauzelle, 2014. Pour acheter ce live, cliquez ici.

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