Addictions, la grande avancée ? Ce que la science en sait maintenant<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
L'addiction serait une pathologie cérébrale et pourrait donc être traitée comme n'importe quelle autre maladie.
L'addiction serait une pathologie cérébrale et pourrait donc être traitée comme n'importe quelle autre maladie.
©Reuters

A quand le remède miracle ?

L'addiction serait une pathologie cérébrale et pourrait donc être traitée comme n'importe quelle autre maladie, estiment dans une étude des chercheurs de l'université de Brigham Young. L'occasion de faire un point sur la lutte contre la dépendance.

Michel Hamon

Michel Hamon

Michel Hamon est vice-président du comité scientifique de l'institut de recherche scientifique sur les boissons (Ireb) et membre de la commission "addictions" de l'Académie nationale de médecine.

Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude menée par le professeur Steffensen et son équipe à l'université américaine de Brigham Young (voir ici), l'addiction serait une pathologie cérébrale et pourrait donc être traitée comme n'importe quelle autre maladie. Selon cette équipe, lorsque l'alcool et la drogue augmentent la libération de dopamine dans le cerveau, ce dernier corrigerait le surplus en cessant sa production normale de dopamine, et ce même longtemps après la disparition des effets de la drogue. Le manque de dopamine serait ainsi ce qui causerait les symptômes du manque. Cette avancée permettrait-elle de lutter contre la dépendance ?

Michel Hamon : Le professeur Steffensen s'appuie sur une nouvelle donnée pour émettre son hypothèse. Il rapporte le fait que le "facteur neurotrophique dérivé du cerveau" (le fameux BDNF pour "Brain derived neurotrophic factor") voit sa production augmenter et que ceci conduit à une baisse de la dopamine au niveau du circuit de récompense ("reward system") chez des rats rendus dépendants aux opiacés (morphine, héroïne). En s'opposant à l'action du BDNF sur la dopamine, il est parvenu à supprimer l'état de dépendance. Rappelons toutefois que le BDNF est impliqué non seulement dans l'addiction aux drogues mais aussi dans l'effet des antidépresseurs, dans la douleur chronique, et dans les phénomènes de neuroplasticité d'une manière générale. Envisager un traitement spécifique de l'addiction via une action sur le BDNF peut donc être un sacré challenge.

Par ailleurs, la dopamine n'est pas le seul neuromédiateur à prendre en compte. Le Gaba, qui est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central, est aussi impliqué dans la mesure où la dépendance, notamment à l'alcool, est associée à une baisse de son activité, qui ne compense plus les effets excitateurs du glutamate au niveau cérébral. Dans les conditions normales, l'équilibre entre ces deux neuromédiateurs est réalisé, dans le cadre "homéostatique" qui caractérise la vie. Mais lorsque vous ingérez un produit qui excite le système de récompense de manière excessive et répétée, vous provoquez un déséquilibre, notamment par la mise en jeu d'un système opposant, qui aura tendance à s'opposer au système de récompense. Ainsi, en l'absence du produit, le système de récompense n'étant plus sollicité, le système opposant s'exprimera à plein, ce qui conduira au syndrôme de manque.
Par exemple dans le cas de l'héroïne, qui stimule le système de récompense en agissant sur des récepteurs opiacés, le cerveau réagit en activant des "systèmes anti-opiacés", qui s'opposent au système de récompense.

Que sait-on aujourd'hui des addictions ?

Cela fait très longtemps que l'on a montré que les drogues capables d'activer le système de récompense et d'engendrer une dépendance agissaient sur la dopamine dans le cerveau. C'est Gaetano di Chiara, un chercheur italien, qui l'a publié le premier dès la fin des années 1980 : tous les produits susceptibles d'entrainer une dépendance activent le système de récompense et provoquent la libération de dopamine dans certaines structures sous-corticales, le noyau accumbens en particulier. C'est le cas de l'amphétamine, de l'héroïne, de l'alcool, de la nicotine, mais aussi du sexe, du jeu... L'activation excessive des neurones à dopamine peut entraîner des altérations au long cours, aussi bien métaboliques que structurales, avec la croissance de nouvelles fibres nerveuses, la régression d'autres, l'établissement de nouvelles connexions, la perte d'autres, qui caractérisent la neuroplasticité cérébrale. Un nouvel état fonctionnel est installé sous l'influence de la drogue, et l'absence de celle-ci entraîne des dysfonctionnements, qui génèrent la dépendance et le syndrôme de manque.

Quelles sont actuellement les méthodes utilisées en cas de dépendance ? Quelles sont leurs marges de progression ?

Les approches que l'on utilise aujourd'hui sont les traitements de substitution. Comme dans l'état de dépendance, le cerveau ne fonctionne bien qu'en présence de drogue, on donne un autre produit qui agit de la même façon, mais dont les caractéristiques sont néanmoins différentes et compatibles avec une utilisation médicale; comme par exemple la méthadone chez les héroïnomanes. Dans le cas de la cocaïne, on n'a pas trouvé de produit de substitution utilisable en clinique et le problème demeure.

Dans le cas de l'alcool, une évolution importante est intervenue ces dernières années. Jusqu'à très récemment, on envisageait uniquement l'abstinence. Mais de nouvelles molécules sont apparues, qui semblent permettre de réduire sa consommation d'alcool, revenir à un état de non dépendance et de consommation contrôlée. Depuis trois ans, on parle beaucoup du baclofène qui permet de réduire l'appétence pour l'alcool, le besoin effréné de boire. Il s'agit au départ d'un médicament permettant de soulager les douleurs liées aux contractions musculaires notamment chez des lésés médullaires paraplégiques. L'agence du médicament a très récemment attribué une autorisation provisoire d'utilisation. Les effets secondaires peuvent être la sédation, une baisse de vigilance, de tonus. Et il faut le prendre tous les jours.

Le namelfène, quant à lui, agit en bloquant les récepteurs opiacés, et donc en réduisant l'activation du système de récompense. Mais il permet aussi de réduire l'appétence pour l'alcool, et de retrouver une consommation modérée, au moins chez certains alcoolo-dépendants. Par ailleurs, il présente l'avantage de pouvoir être être pris de manière occasionnelle.

Ainsi, ces deux produits permettent d'aborder la lutte contre la dépendance de manière radicalement différente. L'abstinence n'est plus la seule solution.

Une autre approche est actuellement au stade expérimental. Elle consiste grâce à des électrodes de stimuler certaines zones du cerveau pour réduire l'état de dépendance.

Peut-on lutter efficacement contre la dépendance sans pour autant s'attaquer à l'aspect psychologique et à l'environnement du sujet ?

On ne peut pas envisager de traiter une dépendance, quelle qu'elle soit, uniquement par une approche médicale. Le contexte familial, social, un environnement empathique, sont essentiels pour qu'un traitement médicamenteux fonctionne. L'efficacité d'un traitement médical n'atteindra son maximum qu'avec un accompagnement psychologique".

Propos recueillis par Carole Dieterich

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !