Acquisitions de nationalité en Europe : quand Eurostat prouve que l’Insee sous-estime chroniquement l’immigration en France<!-- --> | Atlantico.fr
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L'immigration serait sous-estimée en France
L'immigration serait sous-estimée en France
©Reuters

Au doigt mouillé

Eurostat a publié les chiffres des acquisitions de nationalité dans l'Union européenne pour l'année 2012. Si la France ne se distingue pas particulièrement cette année-là avec ses 96 000 naturalisations, le chiffre met cependant en lumière le manque de crédibilité des estimations de l'INSEE sur le solde migratoire annuel.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Que nous apprennent les chiffres des acquisitions de nationalité française publiés dans l’étude d’Eurostat (voir ici), par rapport aux conclusions de l’INSEE sur le solde migratoire en France ? Qu’est-ce que souligne l’opposition des chiffres ?

Gérard-François Dumont : Depuis 2008, l’Insee donne une estimation du solde migratoire annuel de la France autour de 50 000 personnes. Dans le même temps, le nombre de naturalisés s’est élevé pour les six dernières années (2008-2013) à 120 000 personnes en moyenne… Même si certaines personnes qui sont naturalisées ne sont pas des immigrants, car nées en France de parents étrangers non nés en France, l’écart entre les deux chiffres interroge. D’une part, il convient évidemment de tenir compte dans le solde migratoire estimé, du fait qu’il évalue la différence entre les immigrants et les émigrants de l’année considérée. D’autre part, il convient de préciser qu’il y a, désormais, un décalage d’environ cinq ans, un peu moins en cas de mariage avec un conjoint français, plus dans les autres cas, entre l’installation en France et l’obtention de la naturalisation. Mais, lorsqu’on se rappelle que, hors ajustement statistique, l’Insee a affiché certaines années un solde migratoire inférieur à 50 000 et parfois très inférieur à 50 000, la contradiction entre les deux chiffres est évidente. Les soldes migratoires estimés par l’Insee dans les années précédentes étaient incontestablement trop faibles pour être vrai.

L’une des raisons est l’insuffisance du système français d’information sur les flux migratoires. Il conviendrait, comme cela existe dans la majorité des pays européens, d’instaurer des registres municipaux de population (1), ce qui permettrait en outre de rendre plus efficiente la gouvernance des territoires (2). D’ailleurs, en l’absence de tels registres, certains responsables politiques peuvent annoncer n’importe quel chiffre, sans qu’il soit possible de les rectifier avec précision.

Enfin, le chiffre d’environ 120 000 naturalisations par an témoigne de la poursuite en France d’un apport migratoire régulier et durable, alors même que la France n’est pas dans une situation économique attractive.

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Le nombre de naturalisations évolue pourtant peu. Les chiffres de 2012 apportent-ils une information supplémentaire par rapport, par exemple, à ceux des années précédentes ?

Les chiffres des années 2011 et 2012 montrent une nette baisse, le nombre de naturalisés passant de 143 000 en 2010 à 96 000 en 2012. Cette diminution peut s’expliquer par deux raisons. D’une part, la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a rendu plus exigeante les dispositions concernant la connaissance suffisante par le demandeur de la langue française. Elle a aussi précisé que l’obtention de la nationalité française suppose une connaissance suffisante, selon sa condition du demandeur, de l’histoire, de la culture et de la société française, dont le niveau et les modalités sont fixés par décret en Conseil d’Etat. Plus précisément, selon cette loi, la personne qui demande la nationalité française doit fournir un diplôme ou une attestation justifiant d’un niveau de langue caractérisée au minimum "par la compréhension des points essentiels du langage nécessaire à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante ainsi que par la capacité à émettre un discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans ses domaines d’intérêt".

D’autre part, les conditions de recevabilité des déclarations de nationalité à raison du mariage ont été modifiées en 2006, portant à un délai de 4 ans – alors qu’il avait été dans le passé de 6 mois seulement, puis de 2 ans - à compter de la date du mariage avec un conjoint français la possibilité de demander une naturalisation.

En outre, depuis l’entrée en vigueur du décret du 29 juin 2010, les demandes de naturalisation et de réintégration sont examinées par le Préfet du département ou le Préfet de Police de Paris. Cette déconcentration des décisions a permis de confier les décisions concernant les dossiers de demande de naturalisation à des personnes plus proches du terrain et sans doute mieux à même de les examiner plus objectivement, soit pour les accepter, soir pour les déclarer irrecevable.

La question qui se pose désormais tient à la légère augmentation du nombre des naturalisés entre 2012 et 2013. Si elle se poursuit, elle pourrait vouloir dire que les assouplissements sur l'évaluation du niveau linguistique et sur l'évaluation de la connaissance de l'histoire, de la culture et de la société françaises et de l'adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République française, assouplissements figurant dans une circulaire du 16 octobre 2012, ont stimulé les obtentions de naturalisation

Si l’INSEE présente des chiffres erronés, quel est selon vous la réalité du solde migratoire en France ?

Même si les outils d’une connaissance exacte sont insuffisants, également en raison des nombreux biais introduits par le nouveau système de recensement,  et même si l’émigration des Français, notamment des jeunes Français, s’est certainement amplifiée, le solde migratoire réel semble incontestablement plus près de 100 000 que de 50 000, chiffre guère crédible. Une estimation à 100 000  apparait plus proche de la réalité en considérant la migration familiale, les demandeurs d’asile, les étudiants, les immigrations liées au travail et les situations irrégulières. La France est d’ailleurs dans une situation paradoxale. En Europe, les pays en mauvaise santé économique ont vu leur solde migratoire positif soit s’effondrer, soit s’inverser pour devenir négatif comme en Espagne, au Portugal, en Grèce, à Chypre ou en Irlande.

Y a-t-il alors un rapport entre le nombre de naturalisation et votre estimation du solde migratoire qui sont assez similaires ? Qu’est-ce que cela signifie ?

A terme, un immigré qui réside en France et qui ne quitte pas le territoire a une forte probabilité d’être un jour naturalisé. Cela est vrai également pour les personnes en situation irrégulière dans la mesure où, si elles bénéficient de l’une des régularisations qui se pratiquent chaque année (entre 20 000 et 40 000), elles peuvent ensuite, cinq ans après, demander leur naturalisation.

Pour des raisons historiques (3), la France a une législation généreuse sur les naturalisations, et il faut que le dossier de demande soit véritablement insuffisant pour qu’il soit refusé. Nombre de pays ont un droit de la nationalité moins ouvert, ne serait-ce que parce qu’ils ne pratiquent pas le double jus soli, c’est-à-dire l’attribution automatique de la nationalité française à une personne naissant en France et dont un des parents est également né en France. En Allemagne par exemple – qui a récemment assoupli son système – il était jusque-là très difficile d’acquérir la nationalité allemande, d’autant que ce pays exigeait pour de nombreux ressortissants de renoncer à leur nationalité d’origine, ce qui n’a jamais été le cas en France. Le caractère ouvert du code français de la nationalité montre aussi à quel point la question du droit de vote des étrangers aux élections politiques, qui suscite périodiquement des polémiques, n’a guère de sens. En effet, tout étranger qui demeure en France peut finir, dans un délai relativement court et par exemple plus court qu’en Allemagne, par être naturalisé et obtenir en conséquence le droit de vote…

(1) Proposition que nous avons fait porter en France dans le rapport au ministre de l’immigration, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, Commission présidée par Pierre Mazeaud, Paris, La Documentation française, 2008.

(2) Dumont, Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin, 2012.

(3) Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

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