Abstention ou vote sanction, quels Français privilégient quelle option ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A moins de 3 semaines des élections municipales, l'indicateur Ifop de participation à ce scrutin s'établit à 65 %.
A moins de 3 semaines des élections municipales, l'indicateur Ifop de participation à ce scrutin s'établit à 65 %.
©Reuters

Pile ou face

A trois semaines des municipales, 41% des électeurs de gauche prévoient de ne pas aller voter. Si ce rejet du système permet de sanctionner la gauche, il risque toutefois de favoriser la droite.

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie est président de la société d'enquête et de conseils PollingVox.

 

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Atlantico : A moins de 3 semaines des élections municipales, l'indicateur Ifop de participation à ce scrutin s'établit à 65 %, soit un taux de participation quasi identique à celui observé lors des dernières municipales de mars 2008 (64,5 %). Quelle part de Français est susceptible de privilégier l'abstention sanction plutôt que le vote sanction ? Pourquoi ?

Jérôme Sainte Marie : Ce que l’on appelle l’abstention sanction est le fait de refuser son vote au candidat ou à la liste que pourtant l’on préfère politiquement. Cela peut concerner surtout les sympathisants du parti au pouvoir et qui auraient été déçus par son action, sans pour autant se résoudre à voter pour une liste de droite ou du Front national. C’est à ce phénomène que l’UMP doit ses défaites lors de la plupart des scrutins survenus entre 2008 et 2010. Aujourd’hui, la victime en serait le Parti socialiste. Il n’est pas possible d’aller plus loin dans l’évaluation quantitative, car la décision entre vote et abstention se fait très tard, voire au dernier moment de la campagne.

Pour ce qui concerne le vote sanction, c’est à dire porter son suffrage contre le parti que l’on avait choisi lors d’élections antérieures, sa possibilité dépend beaucoup de l’offre politique. Admettons un électeur socialiste qui voudrait voter pour le Front de gauche pour protester contre la politique gouvernementale, sans pour autant aller jusqu’au vote de droite, il ne pourra le faire que s’il y a une telle liste dans sa commune. Rappelons à ce sujet qu’en 2008, s’il y avait en moyenne 4,7 listes en compétition dans les grandes villes, on n’en trouvait que 3,3 dans les villes de 9000 à 30000 habitants, et seulement 2,2 dans les communes de 3500 à 9000.

La tentation de l'abstention est plus forte à gauche (41 %) qu'à droite (29 %). L'abstention est-elle motivée à la base par une forme de rejet du système ? Comment pourrait-elle se répartie entre les différentes tendances qui composent la gauche ?

La raison de ce différentiel d’abstention tient à la déception des électeurs de François Hollande, dont la moitié se déclare aujourd’hui mécontents de son action. On a là une abstention de nature politique, différente de l’abstention sociologique : moins on se sent inséré dans la société, plus on s’abstient. Les célibataires votent moins que les personnes mariées, les locataires que les propriétaires, les jeunes que les plus âgés, les pauvres que les aisés, les chômeurs que ceux ayant un emploi, etc. Faut-il rajouter une troisième dimension, celle de la protestation "contre le système" ? Cela existe de manière latente, puisque l’on sait que les personnes votant pour les partis dits extrêmes sont plus souvent des abstentionnistes intermittents que les personnes choisissant des partis dits de gouvernement. Mais le terme de "système" est tellement vague, d’un sens tellement variable selon l’endroit où il est utilisé, qu’il est difficile d’y répondre. Les études montrent plutôt que si l’on partage une révolte politique contre l’état des choses, on va voter.

25 % des électeurs déclarent vouloir voter pour sanctionner le gouvernement, contre 16 % en 2008. Quelles populations ces 25 % englobent-ils ?

Très simplement surtout des sympathisants de droite aujourd’hui, et des sympathisants de gauche il y a cinq ans. Ce qui est plus compliqué en 2014, c’est la tentation de certains de voter le plus à droite possible par rejet de la politique gouvernementale. Ceci qui pourrait favoriser dans certaines villes – je pense en premier lieu à Marseille – un bon score du Front national et son maintien au second tour, avec l’éventualité d’un succès paradoxal des listes pro-gouvernementales. De toute façon, ce chiffre de 25% correspond à ceux qui disent vouloir voter aux municipales en priorité selon cette motivation nationale négative, mais il y a aussi dans les 75% restant  beaucoup qui intègrent en partie un désir de sanction à leur choix de vote.

En outre, s'annonce une très forte mobilisation des sympathisants du Front National, dont 78 % auraient l'intention de voter. Les Français qui choisiraient de sanctionner la gauche ne risquent-ils pas d'aller contre leurs propres intérêts en favorisant l'élection d'un parti qu'ils rejettent également ?

En effet, et tout le travail de l’UMP est aujourd’hui de canaliser le mécontentement vers ses propres listes, en utilisant cet argument. C’est assez difficile aujourd’hui où de plus en plus de Français considèrent qu’il y a une certaine communauté de vue des partis de gouvernement sur les dossiers économiques et financiers, pour ne rien dire des questions européennes. Il faudra observer attentivement l’attitude des électeurs frontistes dont la liste aura franchi la barre des 10% de suffrages exprimés : renouvelleront-ils leur vote au second tour, quitte à favoriser la victoire locale de la gauche, ou bien se reporteront-ils sur la liste UMP par souci d’efficacité ? La situation politique actuelle est à ce point originale que la question est aujourd’hui ouverte. De sa réponse dépend bien entendu l’avenir de la droite toute entière.

A contrario, 7 % des électeurs déclarent vouloir voter pour soutenir le gouvernement. Qui sont les Français qui composent cette vieille garde, et leur nombre pourrait-il encore diminuer ?

A l’évidence, c’est le noyau dur des sympathisants socialistes. Ceux qui ont tous les "quartiers de noblesse" de la gauche de gouvernement : salariés de fonction publique, ayant le bac sans pour autant disposer forcément de revenus abondants, ayant des parents eux-mêmes électeurs de gauche, etc. On compte aussi parmi eux ceux qui ont le plus soutenu les réformes sociétales du début de quinquennat. La possibilité que cette proportion diminue existe : François Hollande se distingue de ses prédécesseurs non seulement par la faiblesse de sa popularité globale, mais aussi par l’extrême rareté des "très satisfaits" par son action, réduits à moins de 5% de la population. C’est dans cette démotivation générale que se situe pour les listes de gauche le plus grand risque, sans doute encore sous-estimé par les sondages pré-électoraux, car nombre des futurs abstentionnistes de gauche s’ignorent encore : l’abstention est moins souvent le résultat d’un désir conscient et assumé de sanction, que la conséquence discrète d’une lassitude politique.

Propos recueillis par Marianne Murat

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