Absence de Martine Aubry au gouvernement : entre bouderie revancharde et réel positionnement stratégique <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault est l’antithèse de Martine Aubry, car il correspond à ce que François Hollande recherchait : dans un premier temps un proche en qui il ait confiance
Jean-Marc Ayrault est l’antithèse de Martine Aubry, car il correspond à ce que François Hollande recherchait : dans un premier temps un proche en qui il ait confiance
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Orgueil et stratégie

Pour Martine Aubry c'était Matignon ou rien. La dirigeante du Parti socialiste n'a pas obtenu de rôle lors de la composition du gouvernement. Pourtant, femme politique imposante, personnalité forte de la gauche, un poste ministériel semblait couler de source. Serait-ce la première erreur stratégique de l'ère Hollande ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Martine Aubry a déclaré qu'elle savait qu'elle ne décrocherait pas le poste de Premier ministre depuis la fin des primaires socialistes et qu'elle ne négocierait pas pour l'obtention d'un ministère. Les personnalités de François Hollande et de Martine Aubry ainsi que leurs différends sont-ils à ce point irréconciliables pour qu'ils ne puissent collaborer ensemble au sein d'un gouvernement ? 

Bruno Cautrès : Je pense qu’indépendamment de leurs personnalités, il est clair que le binôme président et Premier ministre doit impérativement reposer sur un très haut niveau de confiance. Ils travaillent quotidiennement ensemble et doivent pouvoir compter l’un sur l’autre.

Or, quand Martine Aubry, a repris en main le Parti socialiste, elle a eu des mots très durs sur l’état dans lequel elle l'a retrouvé. D'ailleurs dans son camps régnait une rhétorique selon laquelle elle avait remis le parti au travail, qui insinuait très clairement que durant l’ère François Hollande le parti était à l’arrêt. Le passif est donc lourd entre eux, ceci dit, cela ne l'a pas empêché de jouer son rôle durant la campagne et de s’afficher comme un soutien indéfectible du candidat.

Cependant, le fait que Martine Aubry se soit très clairement opposée à deux des principales propositions de François Hollande : le contrat de génération – qui est au cœur de ses propositions socio-économiques -  et le recrutement de 60.000 enseignants dans l’éducation, en disant qu’elle pensait que cela ne fonctionnerait pas, a condamné sa possible entrée à Matignon, j’en suis convaincu. Dans le cas contraire, le risque aurait été considérable qu’on lui rappelle en boucle qu’elle était contre la principale mesure qu’elle aurait à mettre en œuvre en tant que Premier Ministre. Quoiqu'il en soit, nombreux sont ceux qui ont observé de l’intérieur du Parti socialiste et ont pointé du doigt leurs relations parfois tendues.

Alors que Jean-Marc Ayrault est l’antithèse de Martine Aubry, car il correspond à ce que François Hollande recherchait : dans un premier temps un proche en qui il ait confiance. Ensuite, il a été président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale dès 1997, et c’est une tradition sous la cinquième République que le Premier ministre soit un ancien dirigeant de la majorité parlementaire.

Il est un élu de terrain d’une grande ville, tout comme Martine Aubry, mais plus légitime du point de vue des grands élus locaux, tels que le maire de Lyon, qui dénoncent depuis de nombreuses années la prédominance des éléphants dont la voix s'élève plus que celle des autres membres du parti. Enfin, il n’a jamais été carbonisé dans son image, tandis que Martine Aubry, elle, est désavantagée par une image trop figée.

Martine Aubry est pourtant une femme politique majeure, qui en impose. Est-ce-qu’en l’écartant du pouvoir, François Hollande ne commet pas une erreur stratégique ?

Non, je ne pense pas. On attend surtout François Hollande sur son programme et ses propositions. D'autre part, il va apparaître comme celui qui clairement fait des propositions à Martine Aubry, ses proches s’en sont bien assurés. L'intéressée a elle-même communiqué sur le fait qu’en dehors de Matignon, d’autres postes ministériels ne l’intéressaient pas.

François Hollande, de son côté, marque des points, sachant qu’il a su se montrer comme celui qui voulait collaborer avec un de ses adversaires aux primaires socialistes. Martine Aubry, elle, sera celle qui a boudé un poste ministériel, et globalement ce n’est pas très bon pour son image.

Durant les débats pour les primaires socialistes, elle a lourdement insisté sur son expérience gouvernementale au contraire de François Hollande. On lui a proposé une sorte de super ministère qui fusionnait la culture et l’éducation, deux secteurs qui nécessitent des personnalité très fortes à leur tête. Pourquoi refuser un ministère de type ?

Il n’y a pas de raisons rationnelles, sauf si stratégiquement elle considère elle a plus intérêt à conserver le parti, sa majorité et à continuer d’exister. Elle a peut-être pu craindre qu’en quittant la rue de Solférino, il y aurait une redistribution des rôles par rapport au Congrès de Reims qui a été très difficile. Elle aurait pensé assurer ses arrières en restant à la tête du Parti socialiste.

Comment imaginer l’avenir de Martine Aubry dans ce cas ?

Sa stratégie est très floue pour l’instant. On ne peut que se perdre en conjecture. A-t-elle quelque chose en perspective, lui-a-t-on proposé autre chose ailleurs ? Il est trop tôt pour en être sûr.

Peut-être qu’en refusant ce poste, à l’image d’une stratégie aux échecs, elle sacrifie sa Reine, afin de pouvoir attendre les temps difficiles, et revenir en s’imposant comme la solution du Parti Socialiste ?

Exactement, elle apparaîtrait en recours. C’est très probable. On a déjà vu ce retour des poids lourds à de nombreuses reprises, pas plus loin qu’Alain Juppé par exemple. Quand la majorité connaît des doutes sur elle-même elle fait rentrer des anciens qui donnent un souffle nouveau grâce à leur expérience, leur image. Elle sacrifie donc un pion pour avoir quelque chose de bien mieux plus tard.

Comment va-t-elle mener le parti désormais ?

C’est une grande question. Car sous la Vème République, c’est classique qu’un parti qui obtient ma majorité parlementaire après avoir eu la Présidence, ait beaucoup de mal à s’imposer comme une force de proposition critique vis-à-vis du gouvernement et c’est la grande difficulté. La majorité tend à s’enfermer sur elle-même et a du mal à se remettre en question. Et on a vu ce scénario se produire autant à gauche qu’à droite. Elle ne propose plus et se contente de soutenir simplement l’action du gouvernement.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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