À quoi ressemblerait un monde post-2024 où cohabitent Trump et une Europe dominée par les populistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain Donald Trump après une réunion avec des responsables de l'UE à Bruxelles, le 25 mai 2017
L'ancien président américain Donald Trump après une réunion avec des responsables de l'UE à Bruxelles, le 25 mai 2017
©THIERRY CHARLIER / AFP

Enjeux électoraux

Au regard des échéances électorales de 2024, Donald Trump pourrait cohabiter avec une Europe dominée par les populistes suite aux résultats des élections américaines et européennes

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Atlantico : Au regard des échéances électorales de 2024, Donald Trump pourrait cohabiter avec une Europe dominée par les populistes suite aux résultats des élections américaines et européennes. A quoi ressemblerait un scénario avec un monde post 2024 où cohabiteraient Trump et une Europe dominée par les populistes ?

Thibault Muzergues : L'Europe ne sera pas dominée par les populistes, même si son parlement va clairement se droitiser suite aux élections du mois de juinCertes, les populistes vont faire de bons scores aux élections européennes, surtout à droite:selon les projections actuelles, le groupe ID (Identité et démocratie) pourrait obtenir entre 80 et 95 sièges, soit 20 à 25 parlementaires supplémentairesMais de son côté, le parti de gauche GUE (Groupe confédéral de la Gauche unitaire européen), qui a beaucoup de populistes en son sein, risqué de perdre au moins une dizaine de députésDu point de vue populiste, les gains seront donc limités.

Il est par contre vrai que le Parlement européen sera probablement plus à droite. Le Parti Populaire Européen (PPE) disposera, si ce n'est une coalition de rechange en utilisant le CRE des Conservateurs et Réformistes Européens et l’ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), de moyens de pression autrement plus efficaces vis-à-vis de la gauche, que ce soit sur le PSE (le Parti Socialiste Européen) ou les Verts, pour faire des textes au Parlement européen.  

Comment la frange conservatrice européenne, notamment en Hongrie ou en Italie, pourrait interagir avec l'Amérique de Trump dans un futur mandat ?

Il faudrait d’abord que Trump soit élu, ce qui n’est pas encore fait, mais enc as d’élection (qui est tout à fait possible), la relation entre les Etats-Unis et les Européens serabeaucoup plus transactionnelle, oùchacun regardera et tentera de faire valoir ses propres intérêts. Giorgia Meloni, la Première ministre en Italie, est déjà en train, comme de nombreux dirigeants d’autres pays (y compris au centre et à gauche), de prendre contact avec les éventuels officiels de l'équipe de Donald Trump s'il venait à être élu, ce qui n’a rien d’étonnant – ce type de relations et de rapports entre les pays de l’Union européenne et les Etats-Unis a été initié sous l’ère de Barack Obama.

Est-ce que le scénario d’une alliance transatlantique de la droite, entre les populistes européens et Donald Trump, pourrait faire basculer la politique européenne à l'avenir ?

Il faut faire attention à ne pas confondre les relations diplomatiques (entre les États-Unis et la France par exemple), et celles entre parties et mouvements politiques, plus informelles et beaucoup moins structurées. Il faut aussi voir les partis américains dans toute leur diversité – et leur relative faiblesse au niveau national: il n’y a pas de grande stratégie international décidée de Washington par le Parti républicain, ou même le mouvement MAGA (Make America Great Again), même s’il y a des entrepreneurs politiques dans ces familles là qui s’intéressent à ce qui se passe à l’étranger (Steve Bannon, aujourd’hui beaucoup moins actif, en était le representant le plus en vue en 2016, on a vu que ses aventures européennes ne l’avaient pas mené loin).

Une Victoire Trumpienne n’aurait d’ailleurs pas le même effet qu’en 2016, ne serait-ce que du fait d’absence d’effet de surprise. Également, l’Europe est en train de sortir d'une période révolutionnaire dans laquelle les populistes avaient le vent en poupe, remportant élections après élections à la fin des années 2010. Aujourd’hui, on est plutôt dans un nouveau paradigme qui tend vers le post-populiste, avec des personnalités comme Giorgia Meloni en Italie ou Jimmie Åkesson en Suède qui preferent changer doucement le système en respectant la démocratie representative et les institutions en general tout en restant fidèle aux idées qui ont fait le succès de la disruption de cette dernière décennie: opposition à l’immigration de masse, au libre échangisme, et positionnement nettement à droite sur les questions sociales.

Que pourraient faire les personnalités politiques plus enclines à défendre l’Europe comme Emmanuel Macron ou d’autres figures politiques européennes pour se prémunir d'un potentiel risque d'alliance transatlantique entre certaines parties de la droite conservatrice européenne et Donald Trump dans un scénario post 2024 ?

Lorsque Donald Trump était au pouvoir entre 2016 et 2020, son administration parvenait à faire la différence entre ce qui était des relations entre Etats et des relations entre partis, même s’il lui arrivait de twitter sur les problems internes à chaque paysComme les autres dirigeants, Emmanuel Macron agira dans le cadre d’une relation entre l'État français et les Etats-Unis. Il y aura également une relation entre l'Union européenne et l'Amérique, notamment sur les questions commerciales, et éventuellement les industries de défenses. Mais Donald Trump ne va pas s'occuper des relations entre le Parti républicain (ou certaines franges du Parti républicains) et d'éventuels autres groupes parlementaires ailleurs dans le monde. Ce serait un comble, pour un dirigeant qui propose un retour à la souveraineté, de s'insérer directement dans les affaires internes des Européens. On voit par ailleurs que les tentatives précédentes de créer et animer une international populiste, en 2016, au moment de la marée haute du populisme, n’ont mené à rien – trop de chaos, trop d’intérêts divergents, trop de conflits entre personnes. Il est difficile de voir en quoi les choses changeraient aujourd’hui.

Dans le cadre du scénario et de la possibilité d’un monde post 2024 où cohabiteraient Donald Trump et cette Europe bousculée politiquement, quelle pourrait être la nouvelle donne politique européenne post 2024, post élection européenne ? 

Les tournants politiques majeurs se produisent dans le cadre des élections nationales. Ils ne se font pas aux élections européennes, donc attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. Ce don’t nous sommes à peu près sûrs, c’est que le Parlement européen va être nettement plus à droite, ce qui avoir des conséquences (plutôt heureuses à mon sens) sur les politiques publiques, certaines mesures seront sans doute interrompues. Cela est d’ailleurs logique, car correspondant aux attentes et à la droitisation de l'électorat européen.

Est-ce que certains pays comme l'Italie ou la Hongrie pourraient tenter d'être plus offensifs politiquement en Europe à l’avenir ?

La Hongrie pourrait effectivement être plus offensive et voulor se donner un rôle plus important en Europe. Viktor Orban a clairement parié sur une victoire de Donald Trump. En cas de victoire du candidat républicain face à Joe Biden en novembre prochain, il se sentira probablement plus fort et estimera pouvoir compter sur un allié à la Maison Blanche. Le dirigeant hongrois risque néanmoins de devoir s’expliquer au regard de ses excellentes relations avec la Chine, qui ne seront pas vues d’un bon oeil par l'administration américaine. 

De son côté, l'Italie va plutôt vouloir exprimer sa singularité et construira des bonnes relations avec l’administration Trump, mais elle le fera tout en restantproche des institutions européennes. Je ne pense pas que Giorgia Meloni change sa stratégie post-populiste alors qu’elle lui réussit si bien en ce moment, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Vous venez de publier « Post-populisme, la Nouvelle vague qui va secouer l'Occident » aux éditions de l'Observatoire. Quelles sont les spécificités du post-populisme ? Quels sont les pays concernés ? Quelles sont les caractéristiques du post-populisme et en quoi est-ce si différent du populisme ?

Le postpopulisme, comme le nom l'indique, vient après le populisme. Mais il est en fait bien plus que cela : une vraie proposition de dépassement du populisme, une réponse à l’impasse dans laquelle les populistes se sont retrouvés au début des années 2020.

À la fin des années 2000, les populistes étaient devenus très populaires et avaient pu prendre le pouvoir dans nombre de pays. La Hongrie et la Grèce avaient basculé très tôt dans le populisme après des crises internes très graves, mais ils sont rejoints dans la seconde moitié des années 2010 par de nombreux autres pays, notamment la Grande-Bretagne, les États-Unis, la République tchèque ou bien encore l’Italie. Début 2020, on pouvait donc se demander si le futur de l’Occident n’était pas justement populiste.

A partir de 2020, on assiste pourtant à un renversement de tendance, avec quatre événements qui changent immédiatement la donne. Le Covid amène finalement les populistes à reproduire les mêmes politiques que les anti-populistes (mises sous cloche et soutien au vaccin pour sortir du cycle des confinements), mettant ainsi à mal leur image de disrupteur.

L’échec patent du Brexit a aussi été un événement important, dans la mesure où il a montré que les politiques populistes n’étaient pas seulement des correctifs mais pouvaient avoir de vraies conséquences négatives sur la vie des gens.

De même, les événements du 6 janvier 2021, avec l’assaut du Capitole à Washington, ont également montré les limites des promesses du renouvellement démocratique portées par les populistes.

Enfin, il y a la guerre en Ukraine qui change radicalement l'image que nombre d’Européens et d’Américains se font de Vladimir Poutine : celui-ci passe en quelques semaines d’une image d'homme fort à celle d’un mauvais perdant obsédé par sa volonté de détruire (et non de sauver) l'Occident. Qui plus est, on comprend également assez vite qu’il n'est pas si fort que cela, étant donné l'échec jusqu'à présent de ses armées devant un pays qui, il faut le rappeler est quasiment quatre fois moins peuplé que la Russie, sans marine et avec des ressources limitées.

Les populistes se retrouvent donc face à une impasse, et le post-populisme reflète la nécessité de dépasser un clivage peuples/élites qui n’arrive pas à produire les résultats escomptés. Il ne s’agit pas non plus de revenir au statu quo ante, dans la mesure où le populisme correspond à une vraie crise de confiance de la démocratie représentative et vis-à-vis de l'ancien consensus libéral.

Comment expliquer la montée de ce mouvement du post-populisme ? Est-ce une volonté des citoyens ou une mue de certains dirigeants alors que le populisme était décrié ? Est-ce que le post-populisme a un visage plus séducteur pour les électeurs ?

Le post-populisme a effectivement un visage plus séducteur pour les électeurs – et correspond à une aspiration populaire au retour au calme, ou tout du moins à la fin d’un cycle révolutionnaire.

Mon premier livre, La quadrature des classes (Bords de l’eau, 2018), expliquait cette phase révolutionnaire en se concentrait sur la demande politique, qui avait changé, passant d’une société stable définie par un clivage mou droite-gauche à l’intérieur d’une grand classe moyenne à un modèle plus atomisé, avec quatre classes sociales posant les bases du débat public. À l’inverse, le post-populisme constitue un changement dans l'offre politique, qui s’adapte à la demande, mais aussi à une certaine fatigue de l’électorat face à la révolution permanente proposée par le populisme.

Une partie des élites politiques se rend compte que le clivage élites contre populistes n'est pas sain. Ils essayent donc de réinventer le clivage gauche-droite et arrivent à accéder au pouvoir en abandonnant leur stratégie disruptive tout en restant ferme sur leurs valeurs – c’est notamment le cas chez les démocrates de Suède, chez les Vrais Finlandais ou encore chez les Italiens de Fratelli d'Italia. Tous ces partis étaient sans conteste à l'extrême droite de l’échiquier politique et étaient très tentés par le populisme dans les années 2010. Dès le début des années 2020, ils adoptent de nouveaux codes et se rapprochent du mainstream, tandis que des partis de centre-droit abandonnent le centrisme merkelien pour adopter des positions plus clairement à droite - c'est le cas du PP en Espagne ou de la CDU en Allemagne. Ils montrent que finalement, le meilleur moyen de vaincre le populisme est de pouvoir donner un vrai choix aux électeurs, ce qui suppose un positionnement plus clair sur l’échiquier politique.

Le post-populisme est donc une sorte de synthèse entre des propositions qui ont fait la popularité des populistes, notamment sur les thèmes de l'immigration et du protectionnisme, et des valeurs beaucoup plus « mainstream », voire libérales : libéralisme politique avec un vrai respect des institutions (y compris européennes), même lorsque celles-ci s’opposent à la volonté du leader post-populiste, mais aussi libéralisme économique avec des demandes de simplification administrative et de baisses d’impôts.

Alors que l'année 2024 est riche en élections, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, d'autres pays vont-ils participer à ce phénomène du post-populisme ? Le post-populisme sera-t-il au cœur des enjeux politiques des mois à venir ?

Certainement, et dans de nombreux pays. En Grande-Bretagne, il devrait y avoir pour la première fois une vraie offre post-populiste de gauche avec Keir Starmer, qui semble en mesure de faire triompher son Parti travailliste pour la première fois depuis près de vingt ans – une éventuelle victoire du Labour pose d’ailleurs la question de l’élaboration d’une doctrine post-populiste de gauche, qui est nécessaire si on veut parvenir à un nouveau clivage net entre droite et gauche.

Sur le continent, les Européennes de juin vont bien sûr être un rendez-vous majeur, avec deux offres concurrentes à droite qui devraient faire parler dans la bulle bruxelloise : celle d’abord du camp des conservateurs et des réformistes européens qui s'inscrivent, sous la houlette de Meloni, dans une vision post-populiste de la politique, et une seconde vision offerte par Identité et Démocratie, encore très marquée par le populisme. On voit néanmoins que les populistes hésitent actuellement à coller à leurs vieilles lubies disruptives. Des personnalités comme Geert Wilders ou Marine Le Pen essayent de se centriser, mais elles ne se sont pas encore véritablement converties au post-populisme. Marine Le Pen n’est toujours pas pro-européenne, pro-occidentale, ou libérale économiquement, par exemple.

La pression des électeurs et la montée en force du mouvement post-populiste sont clairement en train de rebattre les cartes en Europe. C’est moins le cas ailleurs, et on suivra bien sûr les élections américaines de Novembre, mais aussi la trajectoire de l’Argentin Javier Milei, élu en tant que populiste mais qui semble s’être rapidement converti à un certain post-populisme, lequel pourrait devenir un modèle pour l’Amérique latine.

2024 est donc une année charnière, mais il est encore un peu tôt pour enterrer le populisme – celui-ci cohabitera avec le post-populisme pendant un temps, comme païens et post-païens (entendons Chrétien) ont cohabité durant les dernières années de l’Empire romain.

Quelles pourraient être les conséquences du post-populisme en Occident? Quels sont les principaux enseignements du post-populisme pour la classe politique traditionnelle ?

La leçon que doit retenir la classe politique traditionnelle, c’est qu’elle est obligée de prendre en compte les changements très profonds qui sont intervenus dans les quinze dernières années, et les erreurs commises depuis. La crise de 2008 et la crise migratoire ont fait énormément de dégâts pour la crédibilité des dirigeants politiques mainstream, et une profonde remise en question s’impose.  

Le post-populisme s’inscrit en fait dans le prolongement de la grande disruption qui a suivi la crise de 2008 et accéléré un certain nombre de mouvements de fond socio-économiques, géopolitiques, technologiques et intellectuels. Il en résulte une nouvelle donne politique, à laquelle les politiques doivent s’adapter. Mais les leçons doivent être également apprises du côté des disrupteurs populistes. L’expérience récente montre que si ceux-ci veulent véritablement changer la politique, ils doivent faire des compromis – ce qui implique un prix à payer vis-à-vis du « système » qu’ils sont censés combattre. Sous Henri IV, Paris valait bien une messe, et l’exercice du pouvoir exige des anciens disrupteurs européens une vraie conversion aux valeurs démocratiques.

Le retour d’un clivage droite - gauche beaucoup plus marqué que dans les années 2000-2010 nous incite aussi collectivement à une remise en question. En l’absence d’un consensus fort et dans le cadre d’une société plus atomisée, il y a une vraie incitation à une certaine tolérance politique – nous avons désormais des idées très différentes, et il va falloir faire avec cette diversité, en évitant un retour à la violence politique.

Enfin, avec le post-populisme, on recommence à parler de certaines valeurs et de certains concepts, dont celui de l'Occident qui est décrié à la fois par la gauche (pour qui l’idée était en soit raciste), et par la droite, qui l’associait aux thèses déclinistes. Le post-populisme nous invite au contraire, à droite comme à gauche, à renouer avec une certaine idée de l'Occident. 

Thibault Muzergues publie « Post-populisme La nouvelle vague qui va secouer l'Occident » aux éditions de l’Observatoire

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