À qui profitent les images de guerre civile ? Voilà en tous cas les leçons venues des États-Unis après les émeutes du Black Lives Matter <!-- --> | Atlantico.fr
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La mort de George Floyd aux mains de la police le 25 mai 2020 avait provoqué de multiples émeutes aux Etats-Unis.
La mort de George Floyd aux mains de la police le 25 mai 2020 avait provoqué de multiples émeutes aux Etats-Unis.
©Kerem Yucel / AFP

Sortir "gagnant"

Ce n’est pas la première fois que des émeutes éclatent ainsi en France ou à l’étranger. Aux Etats-Unis notamment, le mouvement Black Lives Matter peut faire figure de comparaison.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Les violences qui émaillent diverses villes de France font le tour des réseaux sociaux et des chaînes de télés, le sujet a écrasé le reste de l’actualité. Ce n’est pas la première fois que des émeutes éclatent ainsi en France ou à l’étranger. Aux Etats-Unis notamment, le mouvement Black Lives Matter peut faire figure de comparaison. Quelles leçons tirer de cet exemple pour la France ? Qui en est sorti renforcé politiquement ?

Jean Petaux : La mécanique de l’information aujourd’hui est un facteur très puissant d’emballement médiatique. Divers commentaires, depuis avant-hier, soulignent combien les événements ont changé dans leur développement entre 2005 et 2023. Pour bien prendre la mesure des faits il faut considérer qu’une génération sépare l’avant-dernière séquence des « émeutes de banlieue » et celle d’aujourd’hui. Lorsque l’on constate qu’une partie des manifestants qui incendient des véhicules et des bâtiments publics, harcèlent les forces de l’ordre et pillent les magasins et autres centres commerciaux qu’ils attaquent cagoulés et en plein jour, ont entre 12 et 15 ans, on doit aussi réaliser qu’une bonne partie de ces jeunes gens sont nés parfois six ou sept années après les morts de Zyed Benna et Bounia Traore, le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois qui ont déclenché 21 jours d’émeutes nocturnes, essentiellement circonscrites à la banlieue parisienne alors. Les manifestants d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux d’il y a 18 ans, non seulement en âge, mais aussi dans le mode d’expression de leur colère même si celle-ci procède des mêmes ressorts : solidarité objective avec l’un des leurs auxquels ils s’identifient dans la vie et, de fait, dans la mort possible ; sentiment de relégation ; rejet des institutions et de l’autorité ; etc. Mais un autre élément modifie considérablement le comportement des jeunes qui affrontent la police aujourd’hui par rapport à ceux de 2015 : l’usage permanent des réseaux sociaux, des enregistrements vidéos et le fonctionnement en tous petits groupes très mobiles et surinformés. S’ajoute à cela une capacité à se mettre en scène, dans n’importe quel coin du territoire, qui fait qu’aussi bien à Sainte Foy-la-Grande, paisible petite bourgade girondine enclavée dans le département de la Gironde, qu’à Aulnay ou à Macon on se filme en train d’attaquer un Mac Do ou un Lidl…

Dans le courant de l’été 2008, un jeune Haïtien a été tué par un représentant de la police de Montréal lors d’un contrôle de routine dans un quartier très populaire de la grande cité québécoise. Il s’en est suivi une semaines d’émeute dans plusieurs « banlieues » de Montréal. Preuve que ce genre de situation n’est pas propre aux Etats-Unis pourtant habitués à ces flambées de violence depuis les grandes émeutes de Watts, l’un des ghettos noirs de Los Angeles, entre les 11 et 17 août 1965 consécutivement à un affrontement entre la police et trois membres d’une même famille noire. Au terme de six jours de violence on comptera alors 34 morts dont 23 civils tués par les forces de l’ordre… Ce fut la première grande révolte des ghettos, elle se renouvellera à LA, pour les mêmes raisons en 1992. D’autres noms sont, hélas, rentrés dans les mémoires : Fergusson, Saint-Louis, Minneapolis jusqu’à Black Lives Matter. Ce qui se passe en France n’est pas spécifique à la France. Les USA ont une antériorité qui tient principalement à l’histoire de la discrimination raciale dans ce pays, mais d’autres Etats en Europe (Royaume-Uni, Allemagne, etc.) ont été et sont encore confrontés à ce genre de problème.

Les leçons que les Etats, c’est réellement le cas de la France,  ont tiré de ces situations ont souvent été dictées par l’urgence d’une réponse politico-médiatique à donner. Lorsque les projecteurs se détournent de ces scènes de violence, le « retour à la normale » (terrible expression) se traduit souvent par le « retour à l’anormal », autrement dit la poursuite de l’abandon, la réappropriation des espaces publics par la délinquance et les trafics, la réapparition de zones de non-droit et les mêmes relations tendues et exécrables entre jeunes résidents de tels ou tels quartiers dits « sensibles » et les représentants des forces de l’ordre chargés de faire régner l’état de droit et la loi… On m’objectera que je fais vite l’impasse sur les milliards d’euros engagés par des structures comme l’ANRU (Agence Nationale de la Rénovation Urbaine), sur les très nombreux « plan banlieues » (dont le premier, « Banlieue 89 » fut lancé par la gauche au pouvoir entre 1985) et autres « politiques de la ville ».  C’est justement la multiplication de toutes ces politiques publiques, à grands renforts de « budgets » tous aussi mirobolants qu’irréels, qui a, aussi, accentué un  sentiment collectif de promesses non-tenues et d’incapacité à traiter les problèmes à la racine..

En France, qui sort traditionnellement renforcé des séquences d’émeutes comme celles que nous connaissons actuellement ? Comment cela s'est-il traduit électoralement ? 

Il n’y a pas eu, en France au moins, d’effet électoral des émeutes de banlieues. En 2005, Dominique de Villepin, tout juste premier ministre de Jacques Chirac, a été obligé de gérer la compétition interne à droite et au gouvernement avec son propre ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui multipliait les actions coup de poing dans les « quartiers » (souvenons-nous de l’épisode de la « dalle d’Argenteuil », le 25 octobre 2005, deux jours d’ailleurs avant les événements tragiques de Clichy-sous-Bois : « «Vous en avez assez hein ? Vous en avez assez de cette bande de racailles? Et bien on va vous en débarrasser » . La droite républicaine de gouvernement, considérée par la majorité du corps électoral, comme plus apte que la gauche à combattre la délinquance et surtout à rétablir l’ordre a toujours été plus à même de recueillir les fruits électoraux produits par un besoin d’ordre et de sécurité. En 2005 Nicolas Sarkozy, premier flic de France et exploitant au maximum son profil de « sécuritaire » a renforcé encore cet aspect de son image politico-médiatique. Il y a là une vraie différence avec d’autres types d’événements, bien plus graves dans leurs « coûts humains », ceux des attentats terroristes que le pays va connaître alors que la gauche est au pouvoir :  les attentats islamistes de janvier 2015 (épisodes Charlie-Hebdo et Hyper-Casher), de novembre 2015 (Bataclan et « terrasses ») ou du 14 juillet 2016 (Nice). Dans ces trois exemples, les « retombées électorales » ont été très faibles et la droite n’en a absolument pas profité. La vraie nouveauté cette fois-ci, par rapport aux épisodes d’émeutes antérieures, réside dans la pluralité des formations concurrentes entre elles à droite et à l’extrême-droite « candidates » à la captation d’une réaction sociétale contre les fauteurs de trouble et les « incendiaires ».

Dans quelle mesure est-ce que plus la guerre civile paraît proche, moins les gens veulent de ceux perçus comme susceptibles de jeter de l’huile sur le feu ?

Je crois qu’il faut se garder de toute surenchère verbale dans ce genre de contexte. Je ne pense pas que la guerre civile soit proche, même si des scènes d’émeutes spectaculaires et concentrant une forme de grande violence existent bel et bien. Leur « mise en intrigue », pour reprendre les mots du philosophe Paul Ricoeur, contribuent sans aucun doute à les doter d’une « identité narratrice » qu’une partie des (très) jeunes émeutiers renforcent eux-mêmes par leurs vidéos et leurs stories sur Tik-Tok, Instagram et autres social-médias qui amplifient les faits et les diffuse à très grande vitesse et en très grands nombres. Pour autant on voit bien que l’immense majorité des Français observe les événements avec un mélange de consternation, de sidération mais aussi, à tout le moins, d’exaspération. Dans ces conditions les discours politiques (corpus qui va bien au-delà des discours partisans) sont scrutés et entendus avec beaucoup de vigilance. Les « pompiers pyromanes » encourent évidemment le risque de se prendre « un retour de flammes » et d’être les futurs perdants politiques de la séquence.

Qui pourrait, cette fois-ci, sortir « gagnant » politiquement de la séquence actuelle ? Pourquoi ? 

Compte tenu de ce que j’ai évoqué antérieurement, autrement dit la « concurrence » entre la droite et l’extrême-droite pour cueillir les fruits d’une demande sécuritaire accrue, incontestablement pour moi le gagnant potentiel est le RN et surtout sa présidente qui se donne une « posture » responsable, jusque dans ses derniers propos, ne réclamant pas, à l’inverse d’un Eric Ciotti, l’instauration sur tout le territoire de « l’état d’urgence » comme il a été mis en place, en octobre 2005, au bout d’une quinzaine de jours par le gouvernement de l’époque (il s’agissait d’une « première » d’ailleurs depuis 1962, autrement dit la fin de la guerre d’Algérie). L’autre bénéficiaire potentiel peut être le chef de l’Etat s’il parvient à rétablir le calme et l’ordre rapidement, sans « casse », c’est-à-dire sans victimes et en usant de la force, de manière proportionnée, pour y parvenir.

LFI court le risque majeur de s’enfoncer dans une radicalité qui achèvera de lui mettre à dos les catégories les plus populaires et peut même perdre le petit capital électoral qu’elle est parvenue à se constituer, aux législatives de juin 2022, dans certaines banlieues à forte concentration de populations issues de l’immigration la plus récente, en Seine-Saint-Denis par exemple où elle a fait le grand chelem en matière de circonscriptions gagnées. Il ne faut pas oublier que les « victimes » des émeutes sont les habitants et les travailleurs des quartiers sur lesquels elles explosent et se déroulent. Il ne serait pas surprenant que cette partie du corps électoral refuse de revoter, demain,  pour celles et ceux qui applaudissent des deux mains les émeutiers sur les plateaux des chaines d’info en continu avant de rejoindre l’hémicycle et d’y insulter le monde entier, donnant ainsi, une bien piètre illustration du respect des institutions républicaines à de jeunes adolescents pour lesquels ni le respect, ni les institutions, ni la République n’existent…

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