4 milliards de dollars suffiront-ils vraiment à résoudre le problème israélo-palestinien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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John Kerry a annoncé dimanche un ambitieux programme de développement pour les territoires palestiniens.
John Kerry a annoncé dimanche un ambitieux programme de développement pour les territoires palestiniens.
©Reuters

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John Kerry a annoncé dimanche un ambitieux programme de développement pour les territoires palestiniens. Ce « plan Marshall » de 4 milliards de dollars pour la Cisjordanie vise à doubler le PIB palestinien en trois ans, espérant ainsi créer des conditions plus propices à la résolution du conflit.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : L’optimisme de John Kerry pour favoriser la paix entre Israéliens et Palestiniens par davantage de prospérité n’est pas nouveau et peut ressembler à certains espoirs nés dans la foulée des accords d’Oslo. La rhétorique n’est pas non plus sans rappeler le Nouveau Proche-Orient – en tant que région pacifiée par des intérêts commerciaux, défendu à l’époque par Shimon Peres. La question israélo-palestinienne est-elle réductrible à un problème économique ? Quels en sont ses ressorts les plus profonds ?

Frédéric Encel : Cette question résume bien l’ensemble de la problématique. Si l'on pense pouvoir résoudre le conflit israélo-palestinien par des avancées économiques, on se trompe lourdement. En cela, Oslo nous a, d’une part, appris que ce n’était pas possible, et d’autre part, que nous pouvons rappeler qu’après la réunion d’Annapolis (en novembre 2007) 7,7 milliards de dollars avaient été réunis en faveur de l’Autorité palestinienne. Le conflit n’a pas été résolu pour autant, bien qu’il s’agissait alors d’une somme plus conséquente que les 4 milliards de dollars prévus ici par Kerry. La question est donc fondamentalement politique, diplomatique et identitaire. Donc bien évidemment non réductible à une aide économique extérieure et il faudra bien finir par s’entendre sur les sujets qui fâchent. Et ceux-ci ne sont pas d’ordre économique et financier.

J’ajouterais malgré tout qu'il ne faut pas négliger ce genre de mesures. Notons qu’après Annapolis, l’aide débloquée en faveur des Palestiniens, conjuguée à la politique très rationnelle et socio-économique de Salam Fayyad (l’ancien premier ministre palestinien) a permis à la société palestinienne de se structurer mieux qu’auparavant. On a ainsi assisté à l’apparition d’une classe moyenne, avec des cols blancs, et on a vu l’émergence d’agglomérations modernisées comme celle de Ramallah, offrant du travail à de nombreux Palestiniens. Cette évolution a contribué à faire baisser considérablement le niveau de violence sur le terrain. Ce que propose John Kerry est donc certes de l’ordre du provisoire, mais ce n’est pas négligeable et l’impact peut être là aussi positif, même si l’essentiel du problème est politique.

Quelles peuvent-être les répercussions sur le terrain de ces 4 milliards de dollars d’investissement ? À quoi vont-ils servir et quelles en sont les limites ?

Je crois que c’est positif mais avec un effet limité, parce que précisément on se borne à la dimension économique et sociale du conflit, qui encore une fois n’est pas du tout négligeable. Je pense que ce que propose Kerry est très positif, mais ce n’est pas de nature à régler de façon définitive la question palestinienne.

N’est-ce pas justement un certain interventionnisme récurrent sur le conflit israélo-palestinien qui en empêche paradoxalement le règlement, notamment en entretenant des intérêts financiers à sa perpétuation et le détournement des capitaux qui y sont attribués ?

Tout d’abord, je ne pense pas qu’il y ait un quelconque intérêt de la part des Occidentaux et des États arabes modérés à maintenir le conflit « à petit feu ». Il y a en effet toujours ce risque de déstabilisation même s’il paraît mineur aujourd’hui dans le monde arabe, comme on l’a vu avec les printemps arabes qui ne concernent pas du tout la question palestinienne. Cela reviendrait à être obligés tous les 5 ou 10 ans de redonner de l’argent, ce qui au vu de la situation économique actuelle des pays européens n’aurait pas grand sens.

En revanche, lorsque l’on constate qu’il n’y a manifestement pas d’avancées politiques possibles à court ou moyen terme sur le plan politique, comme c’est le cas aujourd’hui, alors on retrouve à ce moment-là Américains, Européens et Japonais autour d’une table pour solliciter des donateurs. Il s’agit en fait d’apaiser provisoirement les « symptômes » les plus criants du conflit, à commencer par éviter une paupérisation de la population palestinienne.

Dernier point, très important : il s’agit ici d’abord de soutenir Mahmoud Abbas et avec lui l’Autorité palestinienne. Il représente en effet parmi les Palestiniens le seul interlocuteur légitimement reconnu par la communauté internationale. Par conséquent, en décidant de cette manière de soutenir l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, on lui donne des arguments à opposer au Hamas qui quant à lui mène la politique du pire dans la bande de Gaza. Il ne s’agit pas seulement de « faire taire » les Palestiniens en achetant leur patience, il s’agit surtout de soutenir très concrètement Mahmoud Abbas dans sa lutte à mort contre le Hamas actuellement en position de force à Gaza. De ce point de vue-là, on revient dans le politique et ce n’est pas négligeable

Quant à cette question de la perpétuation du conflit, bien que cela fût un élément très important de la politique d’Arafat, je ne crois pas que la stratégie politique de son successeur relève des mêmes éléments. Je crois justement qu’Abbas est sérieusement attaché à un règlement du conflit. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2005, je n’ai pas la sensation qu’il joue cette politique de pourrissement du conflit et d’enrichissement personnel pratiquée alors par Arafat. Je n’en ai pas le sentiment car on voit bien que depuis Annapolis en 2007, les deniers internationaux sont utilisés correctement par l’Autorité palestinienne. On peut accuser Mahmoud Abbas de beaucoup de choses, mais pas de corruption massive et systématique.

Propos recueillis par Benjamin Weil

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