Atlantico : Aux États-Unis, les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) jugent "important", dans une logique de prévention, "d'améliorer la ventilation de nos espaces intérieurs tout au long de l'année". Quels sont les avantages d’une telle pratique pour la prévention des risques de maladies par voie respiratoire, mais même au-delà ?

Antoine Flahault : La pandémie a ouvert une formidable fenêtre d’opportunité pour espérer nous débarrasser du fardeau que font peser les maladies dues à des virus respiratoires, comme le Covid, la grippe, la bronchiolite, la varicelle ou la rougeole ainsi que celles dues à des bactéries qui se transmettent aussi par voie aérosol comme le mycoplasme pneumoniae ou la tuberculose. Toutes ces maladies ont en commun de se transmettre par les aérosols contaminés de notre respiration qui nous infectent dans les lieux clos, bondés et mal ventilés où l’on séjourne le plus souvent pendant plus d’une heure.
L’enjeu est de taille, car on pourrait probablement ne presque plus contracter ces maladies devenues communes au fil du temps mais qui impactent la qualité de nos vies et parfois se compliquent voire tuent, surtout si nous sommes fragiles, très jeunes ou très âgés, sans mentionner leur impact socioéconomique considérable.
Au delà des bénéfices sanitaires sur les infections respiratoires que je viens de mentionner, on sait aujourd’hui qu’un air intérieur de bonne qualité, c’est à dire voisin de la qualité de l’air extérieur, permet aux écoliers de meilleurs apprentissages scolaires, aux employés, moins de somnolence au travail et moins d’absentéisme professionnel, et à tous moins de maladies allergiques.

Aujourd’hui, la France applique-t-elle ces recommandations ? Le cas échéant, quels sont les progrès que nous devons faire en la matière ? 

Il n’y a pas de réel déficit en réglementation en France à ce sujet, tout le cadre juridique est en place concernant la qualité de l’air dans le bâti, mais il est mal appliqué. Les normes du bâtiment sont en effet satisfaisantes, mais elles ne sont pas considérées par les pouvoirs publics et par les usagers avec le même sérieux que, disons, les normes incendie. Généralement les constructeurs livrent des locaux qui répondent aux normes de ventilation et d’aération des espaces intérieurs. Puis l’utilisation des bâtiments vivent leur vie, voient l’usage et parfois la destination des locaux initiaux se transformer, à la faveur de cloisons qui s’érigent ça et là, de meubles qui viennent encombrer l’espace, de halls qui deviennent des cafétérias, et personne ne pense à revérifier l’adéquation aux normes en vigueur de la ventilation dans ces espaces modifiés. Quasiment aucun contrôle n’est mené à ce sujet dans le suivi du bâti collectif. Parfois aussi les systèmes de ventilation mécanique ne sont pas correctement maintenus, les filtres contre les particules fines ne sont pas changés à leur péremption. La qualité de l’air se détériore insidieusement, car l’accumulation de particules de CO2 dans l’air intérieur ne se voit pas, à moins de la mesurer en continu. Donc, non, on peut dire que dans les trains, les écoles, les Ehpad, les hôpitaux, les prisons, les salles de cinéma, les bars, les restaurants, les lieux de culte et de culture, les salles de sport, nulle part, on ne vérifie la qualité de l’air intérieur de manière simple et continue. Il suffirait pourtant d’y installer un peu partout des capteurs de CO2, peu coûteux, et de fixer des procédures assorties en cas d’alarme : au dessous de 800ppm de CO2, comme on se rapproche de l’air de la rue, l’on est en sécurité ; au dessus de 1000ppm, il convient d’aérer ; et au-delà de 1500ppm, il convient d’évacuer les locaux. C’est simple, mais la mise en œuvre de telles règles, qui seraient favorables à la santé des usagers, conduirait à évacuer 60% des salles de classe après une heure de cours en France, ainsi que la plupart des hôpitaux ou des trains. Il y a encore du chemin à parcourir, pendant lequel on continue à contracter des rhumes, des grippes, et le Covid à répétition, avec leur cortège d’arrêts de travail, de complications, d’hospitalisations, de syndromes post-infectieux (Covid longs), et parfois malheureusement de décès.

Est-ce que nous payons aujourd’hui les débats sur la transmission ou non de la covid par voie respiratoire ?

La pandémie de Covid a frappé de plein fouet une humanité qui y était indubitablement mal préparée, y compris dans les pays développés, qui ont payé eux aussi un très lourd tribut au coronavirus. Il est vrai que les errements du début de la pandémie ont contribué à ce tribut payé par toute la population, y compris en préconisant des mesures qui se sont avérées n’avoir aucune efficacité comme le nettoyage des surfaces ou des aliments avant de les mettre au réfrigérateur. On sait aujourd’hui que les deux mesures les plus efficaces en plus des vaccins sont le port de masques FFP2 à l’intérieur et une meilleure ventilation des locaux. Aujourd’hui encore cependant, on ne cherche toujours pas à investir ni à terminer le job. On n’essaie pas de réduire considérablement et durablement le risque lié à ces agents pathogènes respiratoires. On se rend coupables de laisser ainsi l’humanité à la merci de l’émergence d’une nouvelle souche ou de la mutation d’un virus qui pourrait s’avérer plus virulent et plus contagieux que les virus circulants actuellement. On continue à déplorer un grand nombre de morts dus à toutes ces maladies, seulement parce qu’elles n’entraînent plus de saturation de nos systèmes de santé, qu’elles ne représentent plus de menaces de nouveaux confinements. C’est heureux que les vaccins nous aient mis à l’abri des saturations hospitalières et des restrictions sanitaires, mais c’est faire preuve d’une ambition quand même très modeste que de ne pas chercher à mieux se protéger de ces maladies infectieuses respiratoires. En améliorant au siècle précédent la qualité de l’eau du robinet, on a su éliminer le choléra et les dysenteries de nos sociétés développées. En améliorant au vingt-et-unième siècle la qualité de l’air intérieur, on pourrait disposer entre nos mains des moyens d’éliminer les maladies infectieuses respiratoires et d’en faire même un véritable indicateur de développement de nos sociétés contemporaines.