3 questions pour comprendre l’importance du Digital Services Act<!-- --> | Atlantico.fr
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Le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton a été à la manoeuvre d'un règlement unique qui vise à réguler l'espace numérique
Le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton a été à la manoeuvre d'un règlement unique qui vise à réguler l'espace numérique
©OLIVIER MATTHYS/AFP

Avancée capitale

Le Digital Services Act est un texte qui vise à apporter de nouvelles protections au bénéfice des utilisateurs des giga-plateformes. Il vient de faire l’objet d’un accord provisoire entre le Parlement et le Conseil de l’Union Européenne.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Dans quelle mesure le Digital Services Act (législation sur les services numériques), qui vient de faire l’objet d’un accord provisoire entre le Parlement et le Conseil de l’Union Européenne, peut être qualifié d’avancée importante ? Que vise ce texte et quels en sont les contours ?

Je crois que l’on peut dire qu’il s’agit, lorsqu’on le considère simultanément avec son cousin le Digital Markets Act (législation sur les marchés numériques), de deux textes réellement fondateurs parce qu’ils donnent aux autorités compétentes une feuille de route, mais aussi, les armes qui pourraient permettre de mieux réguler l’économie numérique et ses champions, les Big Tech.  

Plus précisément avec le Digital Services Act, l’UE se donne les moyens de lutter contre tout un tas de dérives constatées sur Internet, et contre lesquelles elle n’était pas suffisamment bien armée sur le plan juridique : campagnes de désinformation, revenge porn, propos haineux, cyber harcèlement, et même lutte contre les contrefaçons et les produits non conformes, voire défectueux, puisque les places de marché sont également visées.

Pour être précis, le texte cible les principales plateformes numériques, c’est-à-dire celles qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs actifs dans l’UE. Le Digital Services Act va leur imposer de nouvelles obligations, de façon à mieux surveiller les agissements sur leurs sites, bannir les contenus illégaux, mais aussi limiter les pratiques intrusives telles que le ciblage publicitaire basé sur des données sensibles, orientations politiques ou convictions religieuses en tête. 

Ces plateformes seront auditées annuellement par des organismes indépendants (mais sous la supervision de la Commission Européenne), et les sanctions prévues en cas de manquement sont, je le pense, dissuasive car elles peuvent aller jusqu’à 6% du CA annuel, avec des astreintes de 5% du CA quotidien par jour de retard. 

Qu’est-ce que le Digital Services Act va changer pour les utilisateurs des services numériques ?

Le texte vise explicitement à apporter de nouvelles protections au bénéfice des utilisateurs des giga-plateformes. 

Il faut bien comprendre qu’avec ce texte, les Big Tech vont avoir de nouvelles responsabilités pour traquer et dénoncer systématiquement et promptement toutes les pratiques susceptibles de constituer une fraude ou une infraction pénale grave. 

Si elles manquent à ces obligations, et que vous êtes victime de leur inaction, qu’il s’agisse d’une annonce frauduleuse, de propos haineux ou de revenge porn par exemple, alors vous pourrez porter plainte et faire constater auprès des autorités compétentes le préjudice subi, et demander réparation. 

Je crois qu’il s’agit là d’une avancée majeure qui, couplée aux sanctions monétaires prévues en cas de manquement à ces nouvelles obligations, va largement contribuer à discipliner les géants de l’internet d’une part, et à modifier les comportements inappropriés ou franchement illégaux d’autre part.

Quelles conséquences pour les GAFAM ?

Déjà, commençons par rappeler que le texte ne vise pas uniquement les GAFAM, mais toutes les plateformes sociales ou de e-commerce qui ont une audience supérieure à 45M d’utilisateurs actifs par mois au sein de l’UE. Donc, le texte vise bien évidemmment les GAFAM, mais aussi probablement des acteurs majeurs de la sphère numérique comme Twitter, Booking, TikTok ou Zalando par exemple.

Pour toutes ces entreprises, la conséquence immédiate sera évidemment une augmentation des coûts. Elles vont devoir investir pour se mettre en conformité, notamment en embauchant des modérateurs, ou en investissant dans des algorithmes permettant de faire la chasse aux mauvais comportements et aux contenus illégaux. Elles vont également subir des risques juridiques nouveaux qui les obligera, au moins dans un premier temps, à provisionner en vue d’éventuels recours juridiques et sanctions. Ce qui, de leur point de vue, s’apparentera encore à un coût.

Enfin, je crois qu’on peut aussi imaginer une autre conséquence, en tout cas pour toutes les plateformes qui monétisent de la publicité ciblée. Les obligations de transparence algorithmique et la prohibition des ciblages trop intrusifs, basés sur l’exploitation des connaissances de vos convictions religieuses ou orientations politiques, pourrait se traduire par une baisse des revenus de ses plateformes, puisqu’on sait que ce type de ciblage est très prisé des annonceurs.

Alors si je synthétise : augmentation de certains coûts, réduction de certaines recettes… En sciences économiques, cela s’apparente à un effet de ciseau, ou dans tous les cas, de réduction des marges. Or, faute d’alternative concurrentielle crédible, il est possible d’imaginer que ces plateformes dominantes répercutent en totalité ou en partie ces nouvelles contraintes en augmentant les prix qu’elles pratiquent, notamment en B2B auprès de leurs clients entreprises. C’est peut-être là que réside l’angle mort de ce texte et qu’il faudra surveiller dans les mois qui suivront sa mise en œuvre pour s’assurer que l’ensemble de ces nouveaux coûts ne se traduisent, par un effet de cascade, par une inflation dont les consommateurs finaux seraient les victimes.

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