25% d’élèves neuro-atypiques ? Ce qui se joue vraiment derrière la nécessité de groupes de niveaux à l’école<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que les résultats des élèves français sont en recul, selon le classement PISA de l’OCDE, le ministre de l’Education nationale a dévoilé un plan pour rehausser le niveau scolaire.
Alors que les résultats des élèves français sont en recul, selon le classement PISA de l’OCDE, le ministre de l’Education nationale a dévoilé un plan pour rehausser le niveau scolaire.
©Ludovic MARIN / AFP

Dispositifs positifs

Dans le cadre de ce « choc des savoirs », Gabriel Attal a annoncé la mise en place de groupes de niveaux flexibles au collège pour les 6e et 5e lors de la rentrée prochaine, pour les cours de maths et de français. Et quid des élèves neuro-atypiques ?

Michel Dib

Michel Dib

Michel Dib est neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière depuis plus de vingt ans. Membre de la Société Française de Neurologie, il est auteur de plusieurs ouvrages scientifiques et destinés au grand public, notamment Apprivoiser la migraine aux Editions du Huitième Jour.

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Richard Etienne

Richard Etienne

Richard Etienne est professeur en sciences de l'éducation. Il travaille notamment sur le changement en éducation, sur l'éducation du citoyen, ainsi que sur la pédagogie du voyage scolaire.

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Atlantico : Alors que les résultats des élèves français sont en recul, selon le classement PISA de l’OCDE, le ministre de l’Education nationale a dévoilé un plan pour rehausser le niveau scolaire. Dans le cadre de ce « choc des savoirs », Gabriel Attal a annoncé la mise en place de groupes de niveaux flexibles au collège pour les 6e et 5e lors de la rentrée prochaine, pour les cours de maths et de français. Quels sont les bienfaits de ces groupes de niveaux pour les élèves ? Comment cette répartition va permettre de mieux accompagner les élèves et les faire progresser plus rapidement ?

Richard Etienne : Pour avoir mené avec plusieurs collèges du Gard une recherche sur les groupes de niveaux, je peux confirmer qu'ils ont certains avantages par rapport à des dispositifs de classe hétérogène (où - en principe – tous les niveaux sont mêlés) : le niveau désignant les résultats des élèves permet de travailler différemment avec les élèves qui ne maîtrisent pas ou peu les compétences requises. Tout enseignant formé peut alors adapter sa stratégie et faire ce que recommandait le chercheur Louis Legrand, une différenciation pédagogique, c'est-à-dire ajuster en termes de temps, de connaissance des acquis indispensables pour progresser, voire de sécurité affective (un élève réussit davantage quand le maître est à côté de lui dans une attitude bienveillante), etc. Le secret est de réunir un effectif suffisamment faible pour pouvoir déployer une attention à chaque élève. Ainsi dans un collège, les groupes de niveaux d'excellence étaient d'un effectif de 30 élèves tandis que ceux de niveau le plus faible n'en comptaient que 8. L'attention pouvait se concentrer sur chaque élève alors que dans les groupes de 30, les élèves n'éprouvaient aucun besoin d'accompagnement, ils "galopaient". Le double avantage est donc celui du "chacun à son rythme" et de "l'accompagnement ciblé" sur les élèves qui en ont le plus besoin. Quant aux enseignants, ils avaient décidé de tourner entre les groupes car le travail était beaucoup plus fatiguant avec le groupe du niveau le plus faible. Il ne s'agit donc pas de nier les avantages des groupes de niveaux. Mais ils présentent aussi de graves inconvénients, le premier étant de se fonder sur les résultats. C'est un peu comme si dans un hôpital on traitait les patients selon leur degré de fièvre. Le problème, c'est qu'on peut obtenir de mauvais résultats pour de nombreuses raisons (dyslexie non diagnostiquée, élève à haut potentiel, milieu familial non francophone, etc.). Si l'on veut être sérieux et garder les avantages des groupes à effectif plus réduit pour personnaliser l'enseignement en vue de permettre aux élèves dont les résultats sont les plus faibles de progresser, il est indispensable de faire un diagnostic sur les raisons qui expliquent cette difficulté. Pour le même coût, on va alors être plus "ciblé" et mettre en place des groupes de besoins, un peu à la manière d'un médecin qui interprète des symptômes, prescrit des analyses et fait son diagnostic. Chaque patient est différent, chaque élève est différent. Enfin, le grand risque des groupes de niveaux réside dans l'intériorisation de l'échec chez l'élève qui se sent "mauvais". Les collèges auxquels je me réfère avaient organisé chez les élèves aussi des passages systématiques de groupe en groupe pour éviter "l'autodévalorisation" et cela se passait dans des classes hétérogènes : ainsi, il n'y avait pas ou que peu de sentiment d’exclusion, d'être mis dans une voie de relégation dont toutes les recherches montrent qu'elles entraînent un retrait, voire une révolte, contre une école inégalitaire, fondée sur la sélection des meilleurs.

Michel Dib : Il faut se poser la question globalement et s’interroger sur le niveau actuel des élèves. Est-ce que l'on a envie vraiment de garder ce niveau qui est vraiment archaïque en France ? Notre pays est très mal classé au niveau scolaire, Hong Kong, la Suisse et l’Angleterre ont un bien meilleur niveau que nous. Cette situation est un peu honteuse pour notre pays. Les groupes de niveaux pourraient permettre de faire évoluer le niveau des élèves et d’améliorer la situation. Il faudrait revoir nos méthodes d'enseignement globalement. Il y a également des écoles qui proposent des méthodes adaptées pour les élèves neuro-atypiques. Il est possible de maintenir leur attention et leur concentration sur certains exercices. L’enseignant peut les aider à canaliser leurs pensées. Ils seront tout à fait capables de limiter leur attention sur un champ de travail bien précis qui permettra de faciliter le travail de l'attention.

Quelles sont les spécificités de l’apprentissage chez les élèves neuro-atypiques d’un point de vue cérébral ? Quels sont les mécanismes du cerveau des neurotypiques ? Est-ce qu'ils réagissent mieux à des méthodes et des enseignements plus intuitifs ?

Michel Dib : L'apprentissage en France est un processus validé par l'Education nationale. Au regard du classement PISA, la France est aujourd'hui le 22ᵉ pays en termes d'éducation au regard du classement de l’OCDE alors que la Suisse se classe en deuxième position.

Les processus sont très mal adaptés à tous les élèves en réalité. Les méthodes d’enseignement ne permettent pas à l'intelligence basée sur le raisonnement de s’épanouir dans les cours. L’intelligence émotionnelle ne peut pas s’exprimer.  

L'enseignement des mathématiques ne passe pas malheureusement par le raisonnement et la transmission mais plutôt par les manuels aujourd’hui. Il vaudrait mieux plutôt raisonner par la règle.

Ce mode d’apprentissage n’est pas développé ou encouragé. L’apprentissage par cœur est plutôt privilégié plutôt que de déduire les choses et d’arriver à solutionner les exercices par un raisonnement.

Les élèves neuro-atypiques, à cause du manque d'attention, ne sont pas capables de retenir par cœur beaucoup de choses. Ils ne vont pas faire attention à tout ou retenir la totalité des exercices ou des leçons. Mais par contre, ils sont capables de se rappeler du processus.

L'intelligence procédurale et la mémoire procédurale sont donc plus développées chez les élèves neuro-atypiques par rapport à la mémoire visuelle ou linguistique. Certains élèves neuro-atypiques ont aussi  des troubles linguistiques.

Les centres de l'intelligence intuitive sont beaucoup plus développés chez les neuro-atypiques que les centres de la mémorisation, de la mémoire visuelle et de la mémoire linguistique.

Les élèves neuro-atypiques, qui sont souvent en situation d’échec scolaire, ont-ils tendance à mieux réagir à des méthodes d’enseignement plus adaptées et intuitives comme les groupes de niveaux ?

Richard Etienne : Sans entrer dans des considérations médicales qui ne sont pas ma spécialité, je ne peux que confirmer que tous les élèves sont sensibles à l'attention que leur porte l'enseignant dans la classe et en dehors. Pour reprendre à un ami chilien une comparaison, le traitement de toutes les maladies ne peut pas se contenter d'être le même pour toutes et tous, du doliprane, par exemple. Ainsi, les groupes de niveaux se fondent sur le cœur de la mauvaise conscience des professeurs et des élèves : l'échec. Et ce, malgré les efforts déployés, au début, par les uns et les autres. Pour que les élèves comprennent que l'école s'adresse à toutes et tous mais aussi à chacune et chacun, encore faut-il commencer par les accueillir et ne pas commencer par la course à l'évaluation dont on vient de voir les effets destructeurs. André Antibi a parlé de "constante macabre" pour la notation que Jules Ferry voulait réserver au seul certificat de fin d'études primaires. Donc, le conseil pour réussir et faire réussir consiste à penser une stratégie d'enseignement globale dans laquelle tout dispositif (par exemple, les groupes plus de besoins diagnostiqués que de niveaux trop fondés sur des résultats bruts) s'inscrit dans le temps et dans un dialogue avec chaque élève et sa famille. Il ne s'agit pas, encore une fois, de faire un "acharnement thérapeutique" mais de co-construire avec tous les partenaires un dispositif évolutif ponctué de rendez-vous avec l'équipe et tous les spécialistes requis; comme les médecins, les infirmiers et assistants sociaux sans que cette liste soit exhaustive. C'est ainsi que peut s'esquisser puis se développer et se confirmer le "projet personnel de l'élève" dans un cadre scolaire bienveillant et attentif. Mais PISA 2022 souligne que 68% des chefs d'établissement déplorent de ne pas disposer de tous les enseignants prévus, sans compter ceux qui sont recrutés sur "Le bon coin" sans formation, et les élèves de la Seine-Saint-Denis perdent en moyenne un mois d'enseignement en raison de non-remplacements alors que le ministère rendait naguère de l'argent au budget de l’État chaque année. Alors, les groupes de niveaux ressemblent à un cautère sur une jambe de bois. Il faudrait d'abord éviter l'amputation ! Les groupes de niveaux pourraient y contribuer en étant étudiés comme des groupes de besoins et intégrés dans une démarche globale d'attention à l'origine de la difficulté des élèves pour aller vers une pédagogie ajustée à chacune et chacun, une véritable personnalisation de l'enseignement.

En quoi les groupes de niveau à l’école pourraient permettre d’aider réellement les élèves neuro-atypiques sur le plan scolaire et pour leur avenir professionnel ?

Michel Dib : Ces dispositifs vont effectivement permettre aux élèves et aux neuro-atypiques d’être meilleurs et plus performants. Le phénomène des neuro-atypiques est beaucoup plus fréquent que l’on ne l’imagine. Il y a près de 25 % d'élèves neuro-atypiques. C’est une des raisons et des causes du retard scolaire de beaucoup d'élèves qui n'arrivent pas à suivre dans le système scolaire actuel.

Richard Etienne : Répétons qu'en cas de troubles pathologiques avérés, un diagnostic médical se révèle indispensable. Par la suite, dans une logique d'inclusion bien pensée, une réunion de partenaires médicaux et éducatifs qui travaille avec la famille et l'élève permet d'arrêter les dispositifs et les alternances éventuelles. Cependant, il me semble qu'aucune étude épidémiologique n'a établi que 25% de la population serait "neuro-atypique". Une population aussi nombreuse peut bénéficier des deux attitudes pédagogiques que j'ai évoquées ci-dessus car les résultats de PISA montrent constamment que les 50% qui obtiennent les meilleurs résultats à PISA en France sont dans la partie supérieure des pays de l'OCDE tandis que les 50% inférieurs sont eux en bas des tableaux. Qu'en conclure ? Que le système éducatif est effectivement pensé et conçu pour pratiquer une "distillation fractionnée" qui aboutit aux classes préparatoires et aux grandes écoles. En revanche, la recherche en éducation a fourni des études qui montrent que le recours à une différenciation pédagogique (y compris des groupes de niveaux avec les précautions énoncées ci-dessus), un recours à des dispositifs didactiques (c'est-à-dire de transposition des savoirs pour les mettre à disposition d'élèves de bonne volonté) qui se préoccupent des savoirs et de la voie d'accès selon les profils des élèves et à une démarche de projet personnel de l'élève, entre autres dispositions, permettent d'améliorer, de façon parfois spectaculaire, l'attitude des élèves, et, à court terme, leurs résultats, comme dans ces collèges étudiés par mon collègue Sylvain Connac où les classes coopératives ont fait la démonstration de leur pertinence et de leur efficacité. Enfin, sur le plan de l'avenir professionnel, je suis très inquiet à la suite de la disparition des conseillers d'orientation aujourd'hui psychologues de l'Éducation nationale. Les choix professionnels ne dépendent pas que de variables psychologiques alors qu'un accompagnement du projet de l'élève réclame une équipe multi-catégorielle et une coopération avec l'élève et sa famille.

Est-ce que l’intelligence procédurale, les spécificités des neuro atypiques, les rendent plus aptes à des méthodes d’enseignement et d’apprentissages originales ?

Michel Dib : Effectivement, les neuro-atypiques vont être performants et très forts en mathématiques, en physique, dans les métiers où les tâches sont courtes. Ils sont faits pour travailler dans le commerce, dans le marketing, dans la production, dans des tâches rapides qui font appel à la mémoire procédurale.

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