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2020 ou l’année qui força les géants du Web à assumer leurs responsabilités. Mais le monde s’en portera-t-il vraiment mieux ?
©DENIS CHARLET / AFP

Arbitres de la vérité

Entre l'élection américaine et la pandémie mondiale, Twitter et Facebook se sont énormément impliqués cette année dans la modération et la régulation des contenus publiés sur leurs plateformes. Avec, en conséquence, une augmentation de leur emprise sur la société.

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Entre l'élection américaine et la pandémie mondiale, 2020 est-elle l'année où Twitter et Facebook se sont le plus impliqués dans la modération et la régulation des contenus publiés sur leurs plateformes ?

David Fayon : Les réseaux sociaux et les plateformes se souciaient jusqu’à peu du contenu même s’il existe dans les pays des lois pour les responsabilités entre les hébergeurs, les éditeurs et les internautes qui publient. En France, cela a été matérialisé dès 2004 avec la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et de nombreuses évolutions qui ont suivi.

La stratégie des acteurs numériques est d’acquérir très rapidement une masse critique et de devenir leader sur un marché naissant, puis dans un deuxième temps de monétiser l’audience. Désormais, nous sommes plus dans une période de consolidation : le nombre d’utilisateurs de Facebook ou de Twitter ne progresse tangiblement plus dans le monde alors que d’autres acteurs arrivent comme TikTok. Et pour le numéro 1 des réseaux sociaux, Facebook, la croissance est désormais tirée par ses autres marques comme Instagram par exemple, notamment pour les moins de 30 ans. Dans ce contexte, il s’agit plus de fidéliser les utilisateurs et d’accroître les revenus publicitaires. C’est le fameux temps d’attention ou « temps de cerveau humain disponible » décrit par Patrick Le Lay lorsqu’il était PDG de TF1. Ceci passe par une crédibilité à la fois du côté des annonceurs et du côté des utilisateurs.

Et oui, effectivement, dans cette année 2020 très particulière, Twitter puis Facebook se sont employés à modérer certains contenus. Cela a été rendu possible avec l’apport des algorithmes et de l’intelligence artificielle mais aussi pour certains comptes comme celui de Donald Trump grâce à une surveillance humaine. Les événements se sont accélérés avec un tweet de Donald Trump fin mai qui évoquait le fait que le vote par correspondance fausserait les résultats des élections présidentielles américaines. Un marquage de Twitter l’a qualifié de potentiellement trompeur. Les marquages d’avertissements se sont ensuite développés sur Facebook et sur Twitter avec notamment des signalements de comptes publiant des informations officielles sur la Covid19. Ou encore en France, le compte Twitter de Jean Castex marqué « Compte gouvernemental » selon une procédure définie par Twitter alors que celui du président n’a pas de signalement particulier, les deux comptes étant par ailleurs certifiés.

Il est vrai que la crise de la Covid19, alimentée par les mensonges d’État, à commencer par le scandale sur la non-nécessité du port du masque en mars et la minimisation de la pandémie, a alimenté un climat de suspicion de la part des citoyens. Celui-ci était auparavant déjà fort envers l’État et a généré de fausses informations. Cette crise a par ailleurs augmenté, dans un autre registre, la fraude en ligne (rançongiciel, smishing ou fraude par SMS).

Les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter mais aussi YouTube, se sont investis pour signaler le contenu susceptible d’être nuisible. Ils pratiquaient déjà un premier filtrage pour ce qui concerne la protection de l’enfance (images choquantes ou pornographiques).

Aux États-Unis, cela s’est également vu pour les causes des incendies en Californie en septembre dernier, liés en partie à la canicule et pour lesquels d’autres théories étaient véhiculées. Il en va de même pour les théories du complot, les publications de QAnon, etc. Il est vrai que la théorie du platisme (croyance en le fait que la terre est plate et non sphérique) a été amplifiée avec Internet. Ainsi 16 % des citoyens aux États-Unis le pensent et c’est même 1 sur 3 chez les 18-24 ans !

Toute cette modération demande une plus grande réactivité de la part des réseaux sociaux qui voient défiler une masse considérable de publications à chaque instant et a un coût. Même si elle permet une plus grande crédibilité par rapport aux annonceurs et à l’audience, elle n’est pas parfaite et peut soit censurer ou mentionner qu’une information est erronée à tort soit au contraire ne pas modérer une information qui devrait l’être. L’équilibre entre liberté d’expression et recherche de l’objectivité des informations n’est pas un exercice aisé. Il est encore plus difficile pour un algorithme sachant par ailleurs que l’adaptation des algorithmes de modération de l’anglais au français n’est pas simple. En effet, même si on a du filtrage sur des mots clés, il existe des subtilités, des sous-entendus, une polysémie, etc. qui font le charme d’une langue. De surcroît, nous avons toute la question de la modération des images et des vidéos.

Avec la suspension des comptes de Donald Trump par Facebook ou Twitter, les deux réseaux sociaux ont-ils assumé leurs responsabilités ?

Déjà, le président américain sortant n’a pas odeur de sainteté chez les entreprises de la tech et plus particulièrement les réseaux sociaux qui ont majoritairement leur siège dans la Silicon Valley et San Francisco en Californie, État qui vote traditionnellement démocrate et où Donald Trump vient de recueillir 34 % des suffrages lors de la présidentielle. Signalons au passage que le PIB de la seule Californie est proche de celui de la France avec 40 % de citoyens en moins ! Ensuite, le compte de Twitter de Donald Trump, qui compte 13,5 fois plus d’abonnés qu’Emmanuel Macron, n’a dans un premier temps pas été suspendu mais seuls les tweets trompeurs ou litigieux étaient signalés. Ainsi, il en va de certains tweets relatifs à la prise d’assaut et aux affrontements du Capitole qui ont fait 5 morts. Ils étaient accompagnés d’un commentaire.

Il en est de même pour le compte Facebook de Donald Trump pour lequel des messages accompagnent certains posts, par exemple quand il indique que les élections sont truquées ou quand il dit qu’il faut corriger les résultats du vote par correspondance. Les autres restent publiés sans avertissement.

Les comptes de Donald Trump tournaient toujours jusqu’à vendredi 8 janvier et n’étaient nullement pas suspendus ou supprimés mais modérés humainement étant donné les enjeux. Mais coup de théâtre le compte Twitter de Donald Trump vient d’être définitivement suspendu voici quelques heures.

C’est un événement majeur, le cinquième pouvoir, Internet, prime le pouvoir politique ! Et oui, effectivement ces réseaux sociaux interviennent en prenant leurs responsabilités. Ceci n’empêche pas, par ailleurs, que des messages de haine peuvent passer entre les mailles du filet. Mais il est illusoire de vouloir surveiller l’ensemble des comptes par rapport au coût et aux potentielles erreurs. Pour autant, la suspension définitive du compte Twitter du président américain (jusqu’au 21 janvier), avec le hashtag #TrumpBanned qui fleurit, n’a rien de réjouissant même pour les opposants à Trump. Elle est même inquiétante et ne doit pas laisser indifférent car demain cela peut être la liberté d’expression de chacun de nous qui peut être menacée, dictée et régulée par les algorithmes voire les dirigeants des réseaux sociaux. En effet, on peut garder en mémoire ce qu’écrivait le pasteur Martin Niemöller à propos de la lâcheté des intellectuels allemands alors que les nazis accédaient au pouvoir :

«  Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.  »

Ces réseaux sociaux avaient-ils anticipé de devoir un jour devenir des arbitres de la vérité ?

C’était peut-être le rêve inavoué de Mark Zuckerberg. Le risque est que les réseaux sociaux outrepassent leur droit alors même que les GAFAM concurrencent déjà les entreprises « traditionnelles » dans de nombreux domaines d’activité (énergie, transport, télécoms, santé, éducation, etc.). On pourrait à terme ne plus avoir besoin de pièce d’identité, un compte sur un réseau social et son smartphone suffirait ! Ceci pose une sérieuse question quant au rôle de l’État et à ses missions régaliennes alors qu’en France nous sommes de plus en plus administrés. Peut-il être un jour être « ubérisé » ? Telle est la question !

Pour autant, on s’aperçoit que l’évolution de la modération des contenus sur les réseaux sociaux s’accélère. Facebook a annoncé en décembre qu'il se joindrait à des plateformes comme YouTube et TikTok pour supprimer – et non simplement marquer ou rendre moins visibles des publications dans le fil de suivi du compte d’un utilisateur – les fausses allégations concernant les vaccins pour la Covid19. Il faut reconnaître que la vaccination est devenue un sujet clivant et ceci remonte en France en partie à la période du H1N1 en 2009-2010. Pour autant, la suppression d’un contenu peut avoir un effet inverse, ce que l’on appelle « l’effet Streisand » : empêcher la publication d’informations que l’on ne souhaite pas diffuser peut a contrario attiser la curiosité et provoquer le résultat opposé avec des relais de celles-ci en cascade.

Il convient d’observer que la neutralité n’existe pas mais que les algorithmes sont opaques et peuvent faire des erreurs. Aussi, la connaissance en amont de leurs principes est un préalable nécessaire pour que les utilisateurs aient la transparence requise et agissent en connaissance de cause. Le risque ultime est que la fiction de George Orwell, « 1984 », ne devienne réalité. Ce serait que les réseaux sociaux – même s’il n’existait pas lors de cet écrit fondamental – constituent le « ministère de la vérité » (ou Miniver), lequel était le ministère de la propagande pour la pensée unique.

Des documents internes de Facebook qui avaient fuité montraient comment leur algorithme opérait une hiérarchie des propos haineux, avec par exemple une plus forte modération des commentaires "anti-noirs" que "anti-blancs". Si la lutte contre la haine en ligne et les fake news est légitime, n'y a-t-il pas un risque de dérive idéologique ?

Oui, la dérive potentielle existe avec un système de surenchère tant algorithmique qu’idéologique existe. Je l’expliquai déjà lors d’une précédente interview pour Atlantico.

Nous devons faire bloc pour que le pluralisme puisse s’exprimer sur Internet, avec une équité de traitement et avec un équilibre complexe et délicat à rechercher car comme l’écrit le Général Pierre de Villiers « L’équilibre est un courage ».

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