2017 : à la veille d'un sommet où Donald Trump et Vladimir Poutine s'apprêtent à déssaisir l'Europe de son destin, Wolfgang Schäuble déclenche le renversement d'Angela Merkel...<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel est-elle usée, après douze ans au pouvoir ?
Angela Merkel est-elle usée, après douze ans au pouvoir ?
©REUTERS/Tobias Schwarz

Prévisions 2017

Alors que l'année 2016 touche à sa fin, Atlantico propose à ses lecteurs une série de prévisions pour le millésime 2017. Selon Edouard Husson, cette année pourrait être celle de profonds changements au sein de l'Union européenne, et notamment en Allemagne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Le 11 mai 2017, Bruno L.,  pressenti par François Fillon, le nouveau président français, pour devenir ministre de l'Economie et des Finances, reçut un appel de son mentor et ami Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand. Celui-ci l'attendait le surlendemain, samedi, pour un petit-déjeuner. Non à Berlin mais dans sa maison du Pays de Bade (on y serait plus tranquille pour parler). L'homme politique français fut surpris de l'insistance avec laquelle son interlocuteur lui dit, avant de raccrocher : "Vous n'en parlez qu'au nouveau président, vous n'avertissez aucun journaliste !". 

Bruno L. connaissait bien le Nestor de la vie politique allemande, né en 1942, membre du Bundestag depuis 1972 sans interruption, qui avait été l'un des ministres les plus écoutés d'Helmut Kohl, avant de devenir un pilier des gouvernements d'Angela Merkel. Il savait quel caractère de fer avait forgé le tragique attentat de 1990, une agression au couteau qui avait laissé Schäuble paraplégique et lui avait sans doute barré le chemin de la chancellerie. Le Français fut pourtant surpris de lire, dès son arrivée, une nuance qu'il ne connaissait pas encore dans les yeux de son interlocuteur. Fin germaniste, il n'ignorait pas que les Allemands sont en lutte perpétuelle avec le temps qui passe et il savait comme son interlocuteur avait fait de sa seconde vie, passée en fauteuil roulant, une traque de la moindre seconde perdue ; mais ce matin-là, les yeux du ministre indiquaient une urgence encore plus grande que d'habitude. 

Effectivement, ce que Bruno L. entendit ce matin-là dépassa tout ce qu'il avait pensé, même avec son imagination d'écrivain. Quelques heures plus tard, dans le TGV repris à Strasbourg, les propos du ministre allemand des Finances résonnaient avec toute la netteté d'injonctions auxquelles on ne résiste pas : 

"Cher Bruno, je ne perdrai pas de temps à vous féliciter pour le succès de votre parti. Je connais votre président, j'apprécie sa rigueur, je sais qu'il sera un partenaire exigeant, malcommode même pour le gouvernement allemand, habitué, depuis cinq ans, à imposer sa volonté, mais je préfère cela. La France a manqué à l'Europe. Je suis sûr que cette mauvaise phase est terminée. Les informations que je vais vous transmettre sont le signe de l'estime que je vous porte et de l'envie que j'ai de travailler étroitement avec Paris. 

Première information, dont vous devez disposer d'urgence : Donald Trump et Vladimir Poutine n'ont pas seulement rétabli les relations entre leurs pays. Ils s'apprêtent à annoncer, le 18 juin, quelques jours avant le prochain Conseil européen, une série d'accords, dont au moins deux vont bouleverser le statu quo de notre continent. Je m'étendrai peu sur l'annonce d'un règlement du conflit ukrainien. Notre chancelière avait abandonné le traditionnel équilibre de nos relations avec la Russie. Je n'ai aucune confiance en Vladimir Poutine. Mais si les Etats-Unis sont à bord, je mangerai mon chapeau concernant l'annexion de la Crimée et je me réjouirai de ce que l'économie allemande retrouvera un accès plein et entier au marché russe. 

Plus inquiétante me paraît l'autre information dont je dispose. Trump et Poutine vont complètement bouleverser la donne en Méditerranée. Vous savez que les guerres de Libye et de Syrie avaient un enjeu caché : le pétrole et le gaz de Méditerranée. Au large de tous les États de l'Est méditerranéen sont enfouies des réserves considérables. Les Russes souhaitent que la Syrie puisse se reconstruire rapidement. Les Américains sont d'accord pour être moins dépendants de l'Arabie Saoudite, des Etats du Golfe ou de l'Iran. Je vous passe les détails d'un accord très complexe, sauf pour vous indiquer que la Grèce fait partie du "deal". Rex Tillerson a donné son accord à Lavrov pour qu'Athènes puisse exploiter ses réserves en hydrocarbures, comme le demandaient les Russes, toujours soucieux de défendre les intérêts de leurs frères orthodoxes. C'est bien entendu un bouleversement considérable : la Grèce va être en mesure de rembourser ses dettes, l'euro sera stabilisé à première vue. 

Je ne vous cache pas mon inquiétude, pour autant. Je considère que l'Allemagne est ridiculisée, et l'Union européenne avec elle. La Grèce tient sa revanche et l'Italie, l'Espagne et le Portugal vont profiter habilement de la nouvelle donne méditerranéenne pour jouer un rééquilibrage de l'Europe. 

Notre politique de soutien à une Ukraine démocratique n'a pas tenu devant les jeux de la realpolitik. Nos voisins centre-européens sont ulcérés de ce que nous semblions épouser l'inflexion de la politique américaine sans états d'âme. Cela vient s'ajouter à la désastreuse gestion de nos relations avec la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque pendant la crise des réfugiés. L'Europe du Nord aussi est à bouts de nerfs : elle considère qu'au fond Berlin n'a jamais vraiment fait respecter le pacte de stabilité. Et elle commence à regarder avec intérêt la politique de Theresa May - visiblement le Brexit n'a pas nui à l'économie britannique. 

J'ai l'intention de réagir pour ne pas laisser les Etats-Unis et la Russie décider ensemble de notre destin. Et pour éviter que l'unification européenne, le combat de ma vie politique, ne succombe à des forces centrifuges. Je vais proposer à François Fillon de créer, enfin, un "noyau dur" de l'Union européenne..."

Bruno L. se rappelait que c'était à ce moment qu'il avait sursauté. Wolfgang Schäuble, depuis le début de la conversation, avait peu cité la chancelière, sinon pour la critiquer. Mais, désormais, il avait parlé à la première personne. Sans jamais rien dire explicitement, il avait chargé le futur ministre d'un lourd secret, dont il devrait informer, sans mettre en porte-à-faux sa source, le nouveau président français. Voilà pourquoi Schäuble n'avait voulu aucun témoin à la rencontre.

Le ministre allemand des Finances avait fait comprendre que, pour mettre en oeuvre de manière crédible le noyau dur de l'Union européenne, il faudrait deux nouveaux gouvernements, à Berlin comme à Paris. Angela Merkel était usée, après douze ans au pouvoir. La situation créée par l'ouverture totale des frontières à l'automne 2015 avait créé une situation potentiellement incontrôlable. La CSU, sœur bavaroise de la CDU, était menacée de perdre la majorité absolue, ce qui serait catastrophique pour l'ensemble de la famille chrétienne-démocrate. Partout en Allemagne, l'Alternative für Deutschland avait des chances de dépasser 15% des voix si on ne réagissait pas. Il fallait ramener la CDU à son point d'ancrage naturel, le centre-droit. Même si l'on devait à nouveau gouverner avec le SPD au terme des élections, il faudrait que ce soit aux conditions des chrétiens-démocrates. 

Ce scénario était vraisemblable, pensait le futur ministre dans le train qui le ramenait pour Paris. Schäuble était infiniment respecté des Allemands. Ces dernières années, il avait eu raison sur bien des points, contre sa chancelière : quand il avait exprimé son scepticisme quant à l'accord qui maintenait la Grèce dans l'euro en juillet 2015, quand il avait jugé irréaliste une ouverture totale des frontières aux réfugiés et prôné un "plan Marshall pour la Méditerranée"...

S'il avait été aussi explicite qu'il pouvait se le permettre, le ministre des Finances allemand était donc certain de son fait : comme il n'allait pas déclencher un "vote de défiance constructive" pour remplacer Angela Merkel à quatre mois des élections, il fallait s'attendre à un vote interne au parti, qui dissuaderait la chancelière de se présenter et porterait les suffrages vers Schäuble. Effectivement, ces derni!res semaines, les sondages s'étaient multipliés qui donnaient une CDU conduite par Schäuble à huit points de moyenne au-dessus de ce qu'obtiendrait Angela Merkel. Ce n'était pas pour rien que la jeune garde du parti serrait les rangs autour du doyen du parti. 

Nul ne pouvait anticiper sur le score des autres partis mais la candidature de Schäuble rebattrait les cartes et ferait de la CDU et la CSU les maîtres d'une future coalition. On construirait bien le noyau dur européen et le futur chancelier avait donné à son jeune protégé français de précieuses clés de lecture de la nouvelle donne européenne. Bruno L. envoya un texto à François Fillon : il devait le voir dès son retour à Paris, en tête-à-tête. 

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