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20 ans que nous vivons avec Google pour le meilleur et pour le pire… mais dans quelles proportions
©Reuters

Noces de porcelaine

Google a fêté ses 20 ans ce lundi 24 septembre avec une conférence de presse à San Francisco. Depuis 1998, le simple moteur de recherche est devenu l'une des multinationales les plus puissantes au monde.

Frédéric Mouffle

Frédéric Mouffle

Directeur général associé du groupe ASK’M / KER-MEUR. Expert en cyber sécurité. Conférencier sur les menaces émergentes, spécialisé dans la sensibilisation auprès des entreprises.

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David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Selon vous, comment Google a profondément modifié, de manière positive, nos sociétés ? Quels grands changements sociétaux ont été rendu possibles grâce à Google ? Est-ce seulement quantifiable ?

David Fayon : Initialement, Google était un moteur de recherche avec un algorithme performant qui délivrait des résultats pertinents avec une interface sobre contrairement à ce qui existait à la fin des années 1990 (moteur de recherche Altavista et annuaire Yahoo!). La monétisation du service avec le système d’enchères sur les mots clés et les AdWords et AdSense pour la publicité en ligne a permis de générer énormément de cash (profitabilité à 2 chiffres), ce qui a permis à Google d’investir, de développer un laboratoire de recherche et de développement très puissant (Google X), de procéder à des rachats d’entreprises innovantes (dont YouTube en 2006 ou Waze en 2013 par exemple), de se développer avec l’essor de Chrome, des smartphones avec le système d’exploitation Android et de bâtir un empire qui s’est mué en Alphabet en 2015.
Google a permis d’ancrer des réflexes dans nos habitudes comme le fait de rechercher des informations sur une personne avant de la rencontrer ou de consulter tout type d’informations avec des mots clés, ce qui se prolonge aujourd’hui avec également l’assistant Google Home et la recherche vocale avec Ok Google et une concurrence frontale avec les autres acteurs numériques que sont Apple, Facebook et Amazon ainsi que des entreprises qui étaient positionnées jadis dans les services traditionnels non numériques. Les services proposés par Google sont de nature à nous faire gagner du temps. Que ce soit avec son PC, son smartphone, sa tablette, Google a formaté des habitudes et avec son écosystème (messagerie Gmail performante, etc.), il en sait beaucoup de nous, ce qui lui permet de nous proposer des services sur mesure ou d’anticiper nos envies (le fameux zero moment of truth dans le parcours d’achat du consommateur, https://business.critizr.com/blog/zero-moment-of-truth-zmot-le-moment-de-v%C3%A9rit%C3%A9-du-parcours-client). Et Google a élargi son spectre dans les domaines de l’énergie (par exemple Nest), des télécoms (Google Fiber) et du transport (Google Car, drones, etc.) et bien au-delà (santé et biotechnologie avec Calico, éducation, etc.). En outre Google avec ses outils bureautiques, Google Drive, les Doodle a proposé une alternative à Microsoft Office et a stimulé une concurrence qui a poussé Microsoft à se réinventer et à s’orienter vers des solutions open source en complément de sa suite bureautique traditionnelle. Plus généralement la façon de travailler dans l’entreprise et de télétravailler pour l’entreprise ont été en partie révolutionnées par Google, acteur aux premières loges de la révolution numérique. Il n’est pas simple de quantifier mais force est de constater que Google a été un acteur de l’ubérisation avant l’heure. 
Frédéric Mouffle : Il est difficile de parler de changements sociétaux à l'initiative de Google. Pour mettre un peu de contexte il convient de souligner que Google avait quand même un avantage qui était celui d'être les premiers sur le marché. Ils ont pris beaucoup d'avance sur la concurrence et ont favorisé le développement. On ne peut toutefois pas nier que la bulle internet a favorisé le développement de choses qui ont changé nos vies. Google est à l'initiative de nombreuses technologies, il a maillé une grande partie de ce qui est téléphonie mobile et objets connectés. C'est une entreprise très dynamique qui dépose notamment beaucoup de brevets et a accompagné le changement sociétal. C'est une entreprise qui n'a cessé de se développer depuis qu'elle a été lancée et qui a créé des services extraordinaires comme Google Earth par exemple.

A contrario, Google engrange aujourd'hui, en plus des milliards, de nombreuses critiques. Au point où son ancien slogan "Don't be Evil" pouvait prêter à sourire. Qu'est ce qui est reproché à Google aujourd'hui ? Qu'a-t-il apporté de néfaste selon vous ?

David Fayon : Google soulève aujourd’hui les mêmes critiques que celles qui étaient formulées à l’encontre de Microsoft au début des années 1990 alors qu’il était hégémonique pour les systèmes d’exploitation et la suite bureautique des PC. C’est la crainte de l’abus de position dominante. Sa position de leader dérange d’autant plus qu’il s’agit de l’exploitation de nos données personnelles. Celle-ci est sensible dans notre société, bien davantage qu’aux Etats-Unis dont l’histoire n’a pas été marquée par le fichage et l’utilisation faite par le Gouvernement de Vichy. La prise de conscience de ce côté « 1984 » et Big Brother s’est accrue avec les révélations d’Edward Snowden en juin 2013 mais cette cybersurveillance n’est pas le seul apanage de Google. Les autres parmi les GAFA (Google Amazon Facebook Apple) sont également concernés comme le montre l’affaire Cambridge Analytica avec l’exploitation des données Facebook à des fins de ciblage et d’influence politique.
Le côté néfaste est que pour générer des profits toujours plus importants sous couvert de financer son développement et au service des utilisateurs, l’entreprise pourrait d’une certaine façon perdre l’âme de ses débuts car en l’échange de l’exploitation de ses données personnelles contre la gratuité d’utilisation du service, tout peut être permis.
Pour autant, il existe une réglementation (loi Informatique, fichiers et libertés de 20 ans l’aîné de Google avec la CNIL, RGPD, etc.) et aussi des évolutions en matière de fiscalité. A tout pouvoir qu’il soit, politique ou numérique, doit exister un contre-pouvoir dans l’intérêt des citoyens ou utilisateurs.
Il est également reproché la fraude à l’impôt avec des optimisations fiscales qui se traduisent par un manque à gagner pour les nations qui est à compenser par d’autres acteurs économiques. Ainsi récemment, il a été révélé que les GAFA payaient moins d’impôt en France que le seul Leboncoin !
D’autres reproches ont été formulées comme une politique interne qui, tout en favorisant la diversité, qui constitue une richesse se traduit par une discrimination à l’encontre des communautés des hommes blancs ou asiatiques en faveur des hispaniques, des blacks et des femmes. Un ancien cadre, James Damore (@JamesADamore), a ainsi révélé des notes internes relatives à cette pratique.
Frédéric Mouffle : Comme toutes les grosses entreprises, Google mène des politiques très agressives. On peut reprocher à Google, cette politique très agressive notamment de rachat d'entreprises qui peuvent vous faire de l'ombre. C'est un modèle économique qui écrase certaines entreprises et Google a été condamné plusieurs fois par la commission européenne pour abus de position dominante et s'est vu infliger des amendes record.
Ensuite on pourrait parler très longuement de l'utilisation que fait la firme des données personnelles des utilisateurs de Google et qui est d'ailleurs régulièrement épinglée pour ses pratiques par les médias ou les politiques.
Aujourd'hui il y a quand même une arrière-pensée, notamment sur l'utilisation des données qui est indéniable et qui constitue également le modèle économique de l'entreprise. Mais là encore, on commence à peine à légiférer dessus avec notamment en Europe le RGPD.
On peut encore citer la pollution même si je suis plus partagé sur cette dernière mais Google à travers ses datacenters pollue énormément. Je suis plus partagé car Google réfléchit vraiment à ces questions et depuis une dizaine d'années on remarque qu'une bonne dynamique a été enclenchée par l'entreprise, même si elle n'est pas assez rapide.
Enfin, on peut aussi commencer à s'interroger sur le fait que cette entreprise ne paye pas d'impôts en France grâce au système d'optimisation fiscale. Mais ce dernier encore une fois est permis par l'Union européenne.
Même si c'est une entreprise qui, à bien des égards, est fantastique, il faut se poser la question de la puissance de cette firme. Une entreprise qui connaît toutes nos habitudes de vie, nos données de santé, toutes nos informations personnelles et tous nos secrets cela lui donne peut-être trop de pouvoirs et une capacité de nuisance illimitée.

Contrairement à un mariage classique, est-il possible de "divorcer" de Google ? 

David Fayon : Il existe des alternatives à Google et plus généralement aux GAFAM. Mais celles-ci peuvent être contraignantes pour les utilisateurs car Google est la solution de facilité. Les Gmail, YouTube sont des services fonctionnellement riches et qui sont massivement utilisés. Passer par des services alternatifs offre moins de richesse fonctionnelle. Et pour remplacer la « suite Google » il convient d’utiliser plusieurs services non forcément interopérables et qui nécessitent de jongler de l’un à l’autre. On peut songer à remplacer le moteur de recherche Google par Qwant ou DuckDuckGo par exemple, à remplacer Gmail par une messagerie alternative, etc. Ceci est également valable pour Facebook, Apple ou Amazon. Mais à chaque fois, c’est un acteur remplacé par les services de plusieurs autres sans compter que ses amis, contacts utilisent souvent les mêmes services que vous avec un phénomène de Panurge. Les GAFA sont de véritables couteaux suisses numériques de très grande qualité quant à l’exploitation des données même si leur exploitation est tranchante et parfois saignante pour les libertés des utilisateurs. Il appartient à chacun de mesurer le plus et le moins et d’agir en internaute éclairé.
Frédéric Mouffle : Je ne pense pas que l'on soit bloqué car des solutions annexes existent toujours pour se passer des services de Google. Il n'empêche qu'aujourd'hui un internaute lambda est bloqué et qu'il n'est pas possible de « divorcer » de Google. Par contre on peut faire des modifications au contrat marital et essayer de trouver des solutions alternatives justement pour se désengager notamment grâce à des solutions open-source. C'est une question de volonté individuelle mais aussi de volonté politique. Si l'on se met à protéger et à choyer nos entreprises qui développent justement ces solutions alternatives et qu'on leur donne les moyens de se développer. Nous aurons plus d'options au quotidien et nous protégerons un peu plus notre souveraineté, que ce soit au niveau national ou européen.

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