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2 ans de dédiabolisation mais retour discret de militants identitaires : mais que veut donc être le FN ?
©Capture d'écran

Cohérence

Steeve Briois a rendu hommage à Philippe Vardon (indépendantiste Niçois, tête de liste région, skinhead, condamné par la justice pour ses activités au sein du FN), Nicolas Bay a embauché comme assistant parlementaire le frère Benoît Vardon, Damien Rieu (chef de file génération identitaire) salarié au conseil régional de PACA…

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Les nominations de personnalités sulfureuses comme Philippe Vardon, identitaire niçois ou  Guillaume Pradoura ancien chef de file des identitaires marseillais, à différents postes à responsabilité au sein du parti semblent paradoxales avec la politique de dédiabolisation engagée par le Front National depuis des années. Est-ce une stratégie du grand écart pour conserver à la fois le noyau d'électeurs historiques du FN tout en séduisant de nouveaux électeurs ? 

Jean-Philippe Moinet : Oui, il s’agit d’une stratégie du très grand écart même, sachant que la "dédiabolisation" recherchée depuis des années par Marine Le Pen, en vitrine médiatique avec Florian Philipot, a toujours été combinée avec des arrangements de famille (qui reste d’extrême droite). Philippe Vardon, condamné par les tribunaux de la République pour ses propos et son activisme d’incitation à la haine raciale, a bien été élu, en 2015 en région PACA, sur une liste FN en place éligible et cela a bien été validé par la présidente du FN. Les tensions actuelles qui traversent le FN montrent les limites de l’exercice de dédiabolisation et, à mon avis, nous n’en sommes qu’à un début : des explications vont avoir lieu, car l’approche des élections appelle nécessairement des clarifications.

Dans ce contexte, il est actuellement très important pour Marine Le Pen, à l’approche de la campagne de la présidentielle et alors que des signes de faiblesse sont clairement apparues dans la "famille", de donner des gages en interne, de montrer qu’elle reste bien l’héritière politique de Jean-Marie Le Pen et qu’elle ne laissera pas un espace trop large à sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen pour incarner l’orthodoxie lepéniste. Si elle avait d’ailleurs eu le moindre scrupule concernant les "durs" de l’extrême droite française, Marine Le Pen n’aurait jamais été à la direction du FN, elle n’aurait pas passé une si longue partie de sa vie dans le sillon politique de son père. Et si, une fois élue présidente du FN, elle a instrumentalisé avec habileté la rupture avec Jean-Marie Le Pen, c’est bien pour des raisons tactiques, de marketing électoral d’abord : pour ratisser bien plus large que lui mais sans renier des fréquentations et mêmes des amitiés politiques qui caractérisent encore ce parti comme un mouvement d’extrême droite parmi les plus importants mais aussi les plus durs d’Europe.

Où en est ce cœur historique des électeurs du FN ? A quel point cette nouvelle ligne "dédiabolisée" les rebute ? Dans quelle mesure une scission vous semble-t-elle possible aujourd'hui entre les électeurs frontistes ?

Au niveau des électeurs, de grandes différences de sensibilités se sont juxtaposées ces dernières années. A un noyau dur lepéniste de toujours, qui n’a pas totalement disparu sous la présidence de la fille, s’est ajouté des apports électoraux substantiels qui, a priori, n’avaient rien à voir avec une adhésion idéologique d’extrême droite traditionnelle mais qui, a posteriori, n’ont pas grand chose à y redire ! La xénophobie ambiante, alimentée par exemple par les peurs (légitimes) liées au terrorisme ou au djihadisme, constitue un ciment qui semble plus solide que les divergences idéologiques de militants que rebute une dédiabolisation poussée. Dans cette perspective, les militants et cadres "identitaires" durs, qui colportent des thèses racistes et antisémites, paraissent d’importance mineure par rapport aux gros bataillons de cadres et d’élus pour partie "dédiabolisés" qui maîtrisent volontairement leur propos et leurs actes. En cela, le marinisme a été un succès. Mais la candidate du FN, même si elle cherche à gommer le maximum d’aspérités au point d’effacer le sigle FN de ses outils de campagne, sait aussi jusqu’où ne pas aller : elle connaît trop la machine et la culture FN pour ne pas voir le risque, pour elle, de se voir d’un seul coup contestée par une double force : une force de l’intérieur, que constitue le courant Marion Maréchal-Le Pen qui, avec des militants très structurées d’extrême droite traditionnelle, mise sur une radicalité assumée ; et une force de l’extérieur, celle de Jean-Marie Le Pen, qui peut paraître à première vue peu significative et vieillissante mais qui peut constituer à sa manière un autre courant contestataire, très nocif pour Marine Le Pen pendant sa campagne présidentielle mais aussi pendant la campagne des législatives qui suivra rapidement.

Au FN, qui est forgé dans une culture autoritaire qui n’admet pas les courants et les divergences, une scission est toujours possible. Moins entre les électeurs qu’entre des personnalités qui peuvent, à un moment donné, considérer qu’il est de leur intérêt d’organiser une dissidence active. Celle-ci peut paraître risquée mais certains considèrent que c’est au moment où le mouvement a le vent en poupe qu’il peut se permettre, paradoxalement, le luxe de perturbations, idéologiques et politiques. C’est sans doute pour se prémunir d’hostilités internes que Marine Le Pen donne des gages à des soutiens d’extrême droite qui lui sont utiles. Reste à savoir si elle peut ainsi ancrer son parti à l’extrême droite toute en prétendant mener une campagne sur le thème de "la France apaisée" et des thèses qui ne seraient que simplement "souverainistes"...

Lorsqu'on voit les écarts idéologiques sur les questions économiques (en témoigne les divergences à propos de la loi el Khomri) et sociétales (sur l'IVG notamment) entre les idées de Florian Phillipot et celles de Marion Maréchal le Pen, est-ce que la ligne centrale du FN qui liait les électeurs, c.-à-d. l'immigration n'a pas changé pour s'orienter désormais plus sur des thématiques plus économiques et sociétales ?

Je ne pense pas que la ligne centrale du FN, qui fait essentiellement et systématiquement de l’étranger un fonds de commerce électoral, ait vraiment changé. A période régulière, comme des piqûres de rappel, Marine Le Pen le rappelle d’ailleurs à "son" public. Bien sûr, le programme du FN versus Marine Le Pen ne se réduit pas à cela mais le thème de l’immigration "invasion" et de l’islam "menace" est trop "porteur" pour que Marine Le Pen y renonce. En cela, elle est bien la fille de son père ! Sa sortie sur l’école et son projet d’y exclure des enfants d’immigrés (la précision d’immigrés clandestins étant d’ailleurs venue dans un deuxième temps) montrent bien à l’électorat d’extrême droite d’époque ancienne et d’époque plus récente qu’il y a continuité en la matière. Des mesures économiques et sociétales séparent clairement, il est vrai, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen, on voit bien, depuis plusieurs années, qu’un FN du Nord s’est constitué sur des thèses différentes, voire opposées, d’un FN du Sud. On voit bien que l’interventionnisme étatique de Florian Philipot ne convient pas du tout à Marion Maréchal-Le Pen et que l’ultra-conservatisme et le traditionalisme religieux de cette dernière déplaît foncièrement au premier. Le débat va donc être nourri, dans les prochaines semaines et les prochains mois. Les incohérences d’un parti attrape tout vont sans doute se voir davantage, même si la récupération protestataire va chercher à fonctionner à l’identique, en surfant sur un marketing aseptisé. Une chose est déjà avérée : les projecteurs de la campagne aiguisent, en interne, des appétits !

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