1976 - 2022 : le match des sécheresses ET de nos moyens d’y faire face <!-- --> | Atlantico.fr
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La sécheresse va avoir des conséquences sur les cheptels.
La sécheresse va avoir des conséquences sur les cheptels.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Canicule

Les deux épisodes sont d'intensité comparables. Certaines leçons de 1976 ont été tirées, mais pas toutes.

Serge Zaka

Serge Zaka

Docteur en agroclimatologie chez ITK, administrateur d’Infoclimat et chercheur-modélisateur, Serge Zaka étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

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En 1976, une sécheresse historique frappait la France. Certains dressent la comparaison entre cet épisode et celui que nous vivons actuellement. La comparaison a-t-elle du sens ? Les deux épisodes sont-ils comparables ?

 En règle générale, deux épisodes de sécheresse sont difficilement comparables. De nombreux critères définissent les sécheresses : la durée, la surface, l’intensité. Néanmoins, il y a des indicateurs uniformes. C'est le cas de l’indicateur d’humidité des sols entre 0 et 2 m, les cumuls de pluie, etc. Cela permet une comparaison nationale. Si on compare 1976 à 2022, la sécheresse actuelle est plus conséquente. L'indice hydrique des sols, uniformisé par Météo France depuis 1959, est à son plus bas historique au niveau national. La sécheresse 2022 est intense sur 95% du territoire. Les réserves hydriques du sol superficiel sont clairement très basses.

Mais il y a des disparités régionales, en dessous de la ligne Biarritz Strasbourg, 2022 est uniformément plus intense que 1976. C’est plus contrasté au nord de cette ligne, mais les valeurs sont très proches et la sécheresse de 2022 n’est pas finie. C'est déjà un épisode comparable à 1976.

En termes de superficie, 2022 est bien plus importante car en 1976, le sud-est avait été très largement épargné. En PACA, il y avait un excédent d’humidité. La sécheresse de 2022 est de taille inédite, comme on le voit dans d’autres pays. 1976 est donc largement battue.

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Entre 1976 et 2022, avons-nous appris à mieux gérer notre eau et nous préparer à affronter les sécheresses ?

1976 a été un traumatisme majeur en France, notamment pour les agriculteurs. Pourtant, depuis, il n’y a pas eu d’action majeure par rapport à la protection de l’eau en France : retenues d’eau, bassines, etc. Nous avons même beaucoup plus de difficultés qu’en 1976 à mettre en place des solutions car nous avons des réticences du grand public ou des ONG. Au niveau de l’agriculture, nous sommes en retard par rapport à l’évolution du climat. Nous n’avons pas suffisamment mené d’actions sur l’eau et tiré suffisamment les leçons de 1976. J’espère que nous allons tirer les conséquences de 2022. En revanche, nous avions mis en place un des systèmes les plus performants en matière de protection des forêts et nous avons vu une réduction drastique des surfaces brulées. Mais depuis cinq ans, les sécheresses répétées ont causé une augmentation des surfaces, ce qui signifie que notre système n’est plus suffisamment adapté. De même, nous continuons à produire beaucoup de maïs, très consommateur d’eau. Il faudra peut-être en produire moins et le remplacer par d’autres cultures comme le sorgho. Mais globalement, les politiques et la société civile attendent souvent le dernier moment, et un impact fort, pour agir. Il a fallu 2003 pour la mise en place un système de protection des personnes âgées par temps de canicule alors que le GIEC alertait déjà sur le changement climatique depuis 20 ans. Nous parlons désormais de sécheresse tous les ans et nous avons encore une mauvaise gestion de la ressource en eau en France.

Les arbitrages sur la gestion de l’eau ont-ils évolué ?

Entre 1976 et 2022, nous avons utilisé des variétés largement plus économes en eau : maïs et blé en tête. On produit beaucoup plus avec la même quantité, donc il n’y aura pas de risque de famine en France. C'est la grosse différence par rapport à 1976 : une stabilité alimentaire forte. Concernant l’eau, de nombreuses politiques de restrictions ont été établies. Ce sont les cartes de propluvia. Les arrêtés préfectoraux qui disent s’il est possible ou non d’arroser sa pelouse (entre autres) constituent une avancée administrative majeure. Le problème c’est que les consciences, elles, ont reculé. L'eau a été foisonnante pendant 40 ans et cela laisse toute une éducation à refaire sur la rareté de l’eau. Il est important qu'il y ait une éducation qui soit faite pour réhabituer à la pénurie.

Des militants anti-bassines manifestent régulièrement. Est-ce une incompréhension des enjeux ?

Tout dépend des discours tenus. Il ne faut pas aller dans les extrêmes. Ni un extrémisme de production, voulant produire coûte que coûte, ni un extrémisme cherchant à vouloir produire sans eau. La création de bassines oui, mais sous conditions. Il faut adapter l’agriculture en même temps, sinon la bassine ne fera que retarder une échéance. Il faut aussi protéger les sols, et leur permettre de mieux retenir l’eau via une agriculture de conservation des sols, là où cela est possible. Il faut remettre une connaissance des terroirs au cœur du système plutôt que de proposer des solutions nationales. Il faut aussi chercher des espèces moins consommatrices d’eau comme le sorgho ou la pistache. Pour cela, il faut que l'État crée des filières complètes et puissantes comme pour le maïs et le blé : production, stockage, transformation, vente, consommation. Le numérique est aussi une manière de protéger les cultures et de s’adapter : le numérique permet de savoir, suivant les prévisions météos, les tendances climatiques, pour savoir quoi faire et comment le faire. Le numérique n’est pas un gros mot, il permet des anticipations. La prévention permet l’adaptation et la limitation des pertes de rendements. Globalement, il n’y a pas une solution miracle mais un ensemble de choses à faire évoluer afin de réduire notre consommation d’eau, tout en la préservant.

À quel point la sécheresse nous menace ? Quelles vont être les conséquences ?

Sur le court terme, c’est un manque d’eau pour les animaux d’élevage, sauvages ou les humains, des coupures d’eau, des pénuries. Ce n’était pratiquement plus envisageable en 2022 dans nos sociétés. Depuis 1976, la distribution a largement progressé. Il y a beaucoup moins de villages coupés du monde car nos systèmes d’acheminement d’eau sont plus développés. Pour l’instant, les coupures ne concernent que quelques villages. Au niveau des cultures, les prairies sont largement impactées. Les pâturages ne produisent plus rien pour nourrir les animaux. Nos productions de maïs et de fourrage sont très largement déficitaires (entre – 60 et – 100 % en PACA par exemple ; - 30% sur les fourrages au niveau national). 

Heureusement, il y a des stocks pour les animaux. Mais ces stocks, faits au printemps, doivent permettre de tenir jusqu’au printemps prochain. Si on les attaque dès le milieu de l’été, on pourrait avoir du mal à durer jusque-là. Si c’est le cas, il faudra acheter - ce qui va être compliqué et cher si tout le monde fait pareil – soit, dans le pire des cas, il faudra se débarrasser d’une partie du cheptel pour ne plus avoir à les nourrir. C'est une réduction de la production sur le long terme pour les éleveurs. Un certain nombre de plantes vont voir leurs rendements diminuer à cause de la chaleur. De notre côté, cela va interroger nos capacités à nous nourrir, notamment de viande.

A cela, il faut ajouter les conséquences sur les écosystèmes : un dessèchement des écosystèmes. Il y a une évapotranspiration qui fait perdre de l’eau aux végétaux, cela les rend plus sensibles aux feux de forêts. La sécheresse entraîne aussi une mort d’animaux : hérissons, grenouilles, oiseaux voire certains mammifères qui verraient disparaître leur point d’eau. Une forêt met 30 ans à se remettre d’une situation comme celle-ci. C'est plus rapide pour les animaux, mais si les sécheresses se reproduisent dans les années à venir, on assistera à des dépérissements d’écosystèmes. Le stress, répété, entraîne la mort des écosystèmes qui mettront des décennies à se reconstruire. A terme, c’est une modification complète de nos paysages qui est en jeu : l’augmentation des garrigues, la remontée des hêtraies vers le nord (Belgique, Allemagne, etc.).  Là encore, si l’impact économique n’est pas forcément important, cela va provoquer un choc certain sur notre moral et sur notre bien-être. Cela peut être source de traumatismes.  Cela va changer nos habitudes tout comme cela va changer la géopolitique mondiale des échanges. Si l’on n’adapte pas notre agriculture, nous allons perdre notre force de frappe actuellement établie. 

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