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10% de PIB de fuite de capitaux : Poutine est-il en voie de ruiner la Russie à vitesse grand V ?
©Reuters

Une fuite dans la baignoire

Lors de sa conférence de presse du 8 mai à Bruxelles, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a annoncé que de récentes sorties de fonds depuis la Russie avaient été estimées à 160 milliards d'euros, soit 10% du PIB du pays.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Atlantico : D'après Mario Draghi, la Russie accuse aujourd'hui 160 milliards d'euros de sortie de fonds, soit 10% de son PIB. Ces estimations de la BCE sont-elles crédibles ? Vladimir Poutine est-il effectivement en train d'assécher les ressources financières de la Russie ?

Jean-Michel Rocchi : Ces estimations sont tout à fait crédibles. La bourse, et plus généralement l'économie russe, sont perçues comme risquées et sans grande visibilité. Le niveau de risque est perçu non pas comme celui d'un pays développé mais comme celui d'un pays en voie de développement. En 2013 le Price to Earnings Ratio (PER) n'était que de 8,7 années pour la bourse russe (base : MSCI Russia Capped Index Fund) contre une valorisation moyenne autour de 20 années de multiples de bénéfices pour les bourses européennes. Si la bourse russe est aussi bon marché c'est parce que les investisseurs considèrent qu'elle intègre une très forte prime de risque. Je pense que le marché à entièrement raison. Outre le risque politique je pense qu'il y a une vieille tradition de non respect des investissements étrangers.

Peut-on, finalement, parler d'une victoire des Etats-Unis sur Vladimir Poutine, ou bien est-ce davantage la victoire des marchés ? La Russie a un véritable passif avec ceux-ci. Comment a-t-il pu jouer ?

C'est la victoire des marchés mais ce sont les marchés financiers anglo-saxons qui dominent encore pour un temps le monde :

Voir la victoire directe d'Obama serait simpliste, ce sont les investisseurs institutionnels qui retirent leurs avoirs de Russie, ce n'est pas la CIA qui est à la manœuvre. En 1917 les soviets n'ont pas reconnu la dette de la Russie tsariste (les Français étaient les premiers détenteurs au monde de dette russe), Lénine poussera le cynisme jusqu'à déclarer que " le dernier capitaliste vendra la corde qui servira à le pendre". Le 17 août 1998 la Russie se place en défaillance sur plus de 80% de son encours d'obligations d'Etat (GKO), la bourse et le rouble se sont également effondrés. La restructuration de la dette se réalisera finalement avec un abandon de 90% de la valeur.

A la même époque le hedge fund géant américain Long Term Capital Management (LTCM) faisait l'objet d'un plan de sauvetage. Ce que peu d'observateurs ont noté c'est que le hedge fund disposait de contrats de couverture parfaitement valables qui le protégeaient d'une baisse du rouble. Les banques russes, avec l'aval de leur gouvernement n'ont pas payé le hedge fund car elles auraient alors réalisé de très fortes pertes, pourtant c'était totalement illégal.  Les investisseurs qui investissent en Russie savent qu'ils le font à leurs risques et périls, ce sont des capitaux volatiles (dits "hot money"). A la moindre tension ils repartent aussi vite qu'ils sont arrivés.

Vladimir Poutine a récemment demandé un report du référendum visant à décider un rattachement de l'Ukraine de l'Est à la Russie, et retiré ses troupes de la frontière. Doit-on voir dans cet effondrement une des motivations à ce changement d'attitude ?


Le problème c'est que Poutine a très bien exhorté le nationalisme et alors qu'il est au plus haut dans les sondages, il est à présent prisonnier de sa posture. Les russes tentent de déstabiliser l'Ukraine de l'Est mais pas au prix d'une guerre ouverte que ne souhaite pas la grande majorité de la population ni les milieux d'affaires.

En Ukraine de l'Ouest Svoboda (qui signifie "liberté") parti d'extrême droite qui ne revendique guère que 15 000 membres (à rapprocher des 41 millions d'ukrainiens) s'avère très utile pour les russes qui peuvent agiter le péril fasciste ! La grande majorité des Ukrainiens vit très mal cette déchirure dramatique mais qui n'est pas étonnante tant il existe bien deux entités culturellement et économiquement distinctes. Pourtant la majorité silencieuse rêve toujours d'une poursuite de la coexistence pacifique.

Depuis Juin 2013, le cours du rouble chute. Vladimir Poutine pourrait-il, opportunément, profiter de la crise ukrainienne pour "noyer le poisson" ?

La chute du rouble mais aussi la baisse des cours du gaz ou du pétrole sont des épées de Damoclès au dessus de l'économie russe.

Les démocrates en Occident ont tendance à être dans le déni. Poutine est très populaire en Russie et est légitime. La Russie n'en demeure pas moins à l'inverse un pays à part qui n'inspire pas une grande confiance aux investisseurs internationaux. Cela se retrouve dans le classement des Investissements Directs Etrangers - IDE en cumulé sur longue période (1866 à 2011) : la Russie n'occupe que le 15e rang, très loin derrière les autres grands pays européens. Je ne crois pas à une volonté de punir la Russie, la confiance n'est pas là, c'est tout.

Quel est le rôle de la Banque Centrale russe dans cette situation ? Les Russes sont-ils dupes ?

La Banque Centrale russe, comme toutes les banque centrales, n'aime ni les incertitudes ni les déstabilisations. Elle a relevé son taux directeur à 7% en mars sans citer l'Ukraine mais personne n'a été dupe. En outre elle est dans une position compliquée car elle avait annoncé qu'elle laisserait le rouble flotter librement à partir de 2015, bien avant le déclenchement de la crise elle avait même élargi son "corridor flottant". En terme de timing l'affaire ukrainienne tombe donc vraiment très mal pour une banque centrale qui essaie de se construire une crédibilité. Les milieux d'affaires ne sont probablement pas très contents de la crise actuelle, mis à part ce que l'on appelait dans les années 60 aux Etats-Unis le complexe militaro-industriel. L'indice de la bourse de Moscou le Micex-RTS montre que les milieux financiers ont cru à la guerre en mars lors du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie (l'indice était au plus bas) à présent cette crainte ne domine pas, même si les cours demeurent volatiles comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous :

Il existe un enjeu économique très important entre l'Ukraine de l'Est (plus industrielle, plus russophone et orthodoxe) et la Fédération de Russie. En outre on a tendance aussi à oublier que deux millions d'Ukrainiens vivent en Fédération de Russie, pour y travailler le plus souvent car les salaires sont plus élevés . Il ne faut pas oublier non plus que deux millions d'Ukrainiens vivent en Amérique du Nord (55% au Canada et 45% aux Etats-Unis)  et dès lors Obama ne peut pas s'en désintéresser au-delà des seuls intérêts économiques ou de défense (OTAN)

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