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"Nous avons besoin de la religion" : petits conseils de lecture sur la foi et la raison à tous ceux qui se sont étranglés en entendant Emmanuel Macron à Rome
©Alessandra Tarantino / POOL / AFP

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Le chef de l'Etat a déclaré, lors de son entretien avec le pape : "Nous avons anthropologiquement, ontologiquement métaphysiquement besoin de la religion".

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Lors de son entretien avec le pape, Emmanuel Macron, a déclaré : « Nous avons anthropologiquement, ontologiquement métaphysiquement besoin de la religion ». Ces propos font l’objet de vives critiques de la part de ceux qui opposent strictement foi et raison. Pourquoi ces notions s’opposent-elles ? Quels sont les penseurs qui ont apporté une réponse à cette opposition ?

Bertrand Vergely : Pour comprendre ce que le chef de l’État a dit il importe de distinguer trois choses. D’abord le plan du religieux et celui du non religieux. Ensuite, le plan de la foi et celui de la raison. Enfin le plan de l’ontologique, du métaphysique et de l’anthropologique et ce qui est proprement empirique et existentiel.

     Comme le souligne Mircea Eliade, le grand spécialiste des religions, est religieux le fait de penser que la réalité se relie à une source d’être non mondaine et non humaine. Est de ce fait religieux le fait de vivre religieusement ce lien avec cette source d’être en étant dans la plus grande attention. Forcément cette attitude est une attitude de foi dans la mesure où poser qu’il existe un plan de réalité non humain et non mondain ou naturel demande de dépasser le plan de la raison courante qui, de façon pratique et utilitaire, ramène tout à la réalité matérielle de la nature et du monde ou bien encore de l’homme. D’où l’aspect métaphysique de la foi, métaphysique voulant dire au-delà de la nature. D’où son aspect ontologique, ontologique voulant dire science de l’être. Appelons l’être la réalité fondamentale, est de l’ordre de l’être le fait que les choses et les êtres existent.  Fait mystérieux, bouleversant, transcendant, dépassant l’imagination. Fait cependant accessible sous la forme de l’expérience de la présence. En ce sens, qu’est-ce qui est religieux ? Une croyance irrationnelle ? Nullement. Une adhésion profonde au contraire à l’essence de l’existence.

     Il y a à l’origine de toute chose et de tout être une présence inouïe. On est religieux quand on s’ouvre à celle-ci. Ouvrons-nous à cette présence, l’existence se met à parler. Elle devient parlante. Dialoguant avec cette présence on vit un rapport de plus en plus fort, de plus en plus profond à l’existence. La vie prend alors un sens. On vivait dans un monde plat, insignifiant, vide. Soudain l’existence se met à parler, à signifier, à résonner.  De sorte qu’il se met à valoir la peine que l’on vive.

 Les Anciens comme Héraclite pensaient que le Logos ou Raison gouverne le monde. Ils entendaient par raison ou Logos la présence qui rend toute chose, tout être parlant. En philosophie, c’est la phénoménologie, science des phénomènes, science des manifestations, science de la présence, qui a développé cette relation à la présence. Hegel, Husserl, Heidegger, en sont les fondateurs. Jaspers, Gabriel Marcel et Michel Henry en sont les représentants chrétiens. Sartre en est le représentant athée. Notre culture marquée par l’utilitarisme et, le matérialisme et l’athéisme oppose foi et raison en reléguant la foi dans les brumes de l’irrationnel.  Cette culture commet une erreur. La foi est de l’ordre de la profondeur et non pas de l’irrationnel. Ouvrant sur la présence elle est à l’origine de l’expérience de la vie la plus profonde qui soit. C’est ce que souligne le chef de l’État dans ses propos.  

     Nous avons besoin de la religion. Nous avons besoin de la foi. Pour nous ouvrir à la profondeur et à la richesse de l’existence. Gaston Bachelard, éminent spécialiste des sciences était aussi un éminent spécialiste de la vie poétique. Il pensait que la culture a besoin de raison mais aussi d’âme. On ne survit pas sans raison utilitaire. Mais on ne vit pas sans présence.  Depuis la préhistoire tous les peuples de la terre ont vécu la présence. Seul notre monde dominé par la techno-science se prive de cette source créatrice. D’où l’arriération de cette culture. Et les nombreux problèmes psychologiques et moraux que celle-ci rencontre. Vivons dans un monde sans présence et sans âme uniquement dominé par la raison matérielle et utilitaire. On se met à vivre un monde coupé en deux. En ce sens, les propos d’Emmanuel Macron n’ont rien de scandaleux. Ce sont au contraire des propos pleins de sagesse, de bon sens, d’humanisme. De la part d’un homme politique et d’un chef d’Etat ce sont des propos extraordinaires. Enfin, un homme politique, un chef d’État qui comprend quelque chose à l’existence et à l’homme.

Est-il dangereux d’opposer la foi sans la raison et la raison sans la foi ?

Bien évidemment, cette coupure engendrant le piétisme et le scientisme, l’un alimentant l’autre. Avec de graves conséquences. Coupons la foi de la raison et la raison de la foi. C’est la présence que l’on tue et avec la présence le sens de la religion comme celui de la science. Dans le domaine de la religion, la religion a besoin de la raison comme de la foi pour cultiver la présence et ainsi déboucher sur une religion parlante. Supprimons la raison. C’est la religion comme culture de la présence que l’on détruit. L’obscurantisme religieux se nourrit de cette coupure. L’infantilisme religieux également.

La religion a besoin d’être une religion parlante. La science aussi.  Coupons la raison de la foi en opposant la raison à la foi, la raison devenant purement utilitaire celle-ci donne une science mutilante et mutilée. Notre monde connaît aujourd’hui la violence du fanatisme religieux et la violence de la techno-science. La perte du sens de la présence en est la cause.

Le fanatisme et le scientisme  rêvent de changer le monde ainsi que l’homme. Tous deux procèdent de la même source à savoir une ignorance complète de la présence supplantée ici par la violence comme technique et là par la technique comme violence. Notre monde est incroyablement brutal.  L’opposition entre foi et raison et la perte du sens de la présence en sont la cause.

Que répondre à ceux qui opposent radicalement foi et raison ?

Qu’ils se trompent. Qu’ils ignorent qu’il existe entre foi et raison un point de rencontre sous la forme de la présence. Qu’ils peuvent en faire l’expérience en revenant à eux-mêmes et en se mettant à écouter l’existence qui vit en eux. Le christianisme a une longue tradition du sens de la présence, tradition trop peu connue, parfois refoulée par le christianisme lui-même du fait d’un moralisme et d’un conformisme religieux. La vraie science a, elle aussi, une longue tradition du sens de la présence, malheureusement refoulée par un scientisme assoiffé de domination technique. Ceci veut dire que la vraie religion comme la vraie science ne sont pas derrière nous mais devant nous. Quand religion et science retrouveront le sens de la présence le monde connaîtra une religion et une science extraordinaires.

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