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"Les déserteurs de Dieu" : pourquoi de plus en plus de jeunes s’arrachent de leur milieu ultra-orthodoxe
©Reuters

Bonnes feuilles

On les appelle les « sortants vers la question », ces hommes et ces femmes issus des milieux utra-orthodoxes israéliens qui, un jour, décident de rejoindre la vie laïque. Ce choix douloureux les plonge dans un univers inconnu où ils sont coupés de leur famille, souvent sans ressources et sans éducation autre que religieuse. Là d’où ils viennent, la vie est réglée de façon précise et immuable, soumise à une loi implacable mais rassurante. Là où ils vont, ils sont seuls face à eux-mêmes. Extrait de "Les déserteurs de Dieu", de Florence Heymann, publié chez Grasset (2/2).

Florence  Heymann

Florence Heymann

Florence Heymann est anthropologue, chercheur au CNRS, en poste au Centre de recherche français à Jérusalem. Elle a publié Le Crépuscule des lieux. Identités juives de Czernowitz (Stock 2003, Prix Wizo 2004) et, avec Dominique Bourel, une édition des Lettres choisies de Martin Buber 1899-1965 (CNRS Éditions, 2004).

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Les abandons du monde ultra- orthodoxe sont à relier à ses évolutions internes. Sa démographie exponentielle provoque toujours plus de contacts avec le monde exté- rieur. Les jeunes ultra- orthodoxes américains ou euro- péens, venus étudier quelques années dans les yeshivas israéliennes, moins ghettoïsés que leurs camarades israé- liens, leur entrouvrent des fenêtres sur le monde envi- ronnant, la société de consommation et la culture de loisirs. Enfin, et peut- être surtout, les téléphones por- tables, les ordinateurs et Internet aident à décloisonner et à ouvrir des brèches dans ce monde insularisé, per- mettant le franchissement des frontières sociales et les transgressions qui l’accompagnent2. Les défis drastiques posés à la société ultra- orthodoxe par les nouvelles tech- nologies provoquent en réaction une guerre sans merci menée pour les combattre. Une petite plaquette inti- tulée « Shoah !!! » distribuée il y a quelques mois aux mères de Méa Shéarim, le plus ancien quartier ultra- orthodoxe de Jérusalem, leur conseillait, si elles attra- paient leur enfant à utiliser un Smartphone ou à surfer sur Internet, de l’égorger ou encore de lui planter des clous dans les yeux. J’ose espérer que, même dans les familles les plus obscurantistes, ces conseils n’ont pas été suivis à la lettre !

>>>>>>>>>>>> A lire également :  Les déserteurs de Dieu, témoignages de ces ultra-orthodoxes qui sortent du ghetto : "ce mode de vie ne laisse pas une minute pour penser"

Les ultra- orthodoxes gagnent peut- être des batailles, mais il est évident qu’ils ont perdu la guerre contre ces nouveaux modes de communication. De fait, à l’exception des secteurs les plus extrêmes, plus de la moitié des foyers religieux sont équipés d’un ordinateur, même si, pour certains, Internet est régulé par des fournis- seurs d’accès cashers, qui censurent tout contenu non conforme. Quant aux familles qui ne possèdent pas d’or- dinateur, leurs membres peuplent les cybercafés du pays. Pour Amir, un sortant, « l’Internet décompose tout le sentiment tribal. Il crée de nouveaux clans, mais libres. Il donne au citoyen ce que la télévision lui a pris. C’est comme la caverne de Platon où celui qui a vu le monde dira aux autres : Sortez ! »

Qui peut vivre aujourd’hui sans ordinateur, sans Smartphone ou sans tablette ? Les téléphones cashers, des appareils munis d’une carte Sim spéciale et de numéros repérables, dépourvus d’Internet et d’appareil photo, n’autorisant ni messages, ni SMS, ont ainsi été inventés pour tenter de maintenir un strict contrôle social interne. Surfer sur le Net a d’ailleurs provoqué la mise à la rue de nombre de sortants. Reouven, un adepte de la cour hassidique de Reb Arelah, une com- munauté particulièrement extrémiste de Méa Shéarim, a été chassé de la maison familiale après qu’un voisin l’avait surpris en passant devant un café Internet :

Quand je suis rentré à la maison, mon père m’a frappé et m’a traité d’idolâtre. Il m’a accusé d’avoir été contaminé par le monde extérieur. Pour lui, j’allais attirer la disgrâce sur toute la famille. Cela m’a fait réa- liser que je voulais partir et tout quitter. J’ai traîné dans les rues jusqu’à ce que je sois recueilli par les services de la municipalité qui m’ont hébergé quelques jours dans un abri d’urgence. Aujourd’hui, je surfe régulièrement sur le Net et j’y ai même fait des rencontres, masculines et féminines.

Il est quasiment impossible de donner des statistiques fiables sur le phénomène des sortants, même si Yardena Schwartz avance dans un article récent du journal Haaretz que, selon le Bureau central des statistiques, il y aurait environ 12 500 hommes et femmes entre vingt et qua- rante ans qui ont quitté la communauté ultra- orthodoxe. Pour 2014 uniquement, ils seraient plus de 1 300.

Extrait de "Les déserteurs de Dieu - Ces ultra-orthodoxes qui sortent du ghetto", de Florence Heymann, publié chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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