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  Le divorce avec le roman national français, premier des séparatismes ?
©000_1VQ8HC Clément Mahoudeau

FRANCE

Le gouvernement semble vouloir prendre la question des séparatismes culturels, religieux ou ethniques à bras le corps. Mais la France ne souffre-t-elle pas en premier lieu de son incapacité à définir qui elle est et quelle mémoire elle souhaite entretenir ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Quelle est la responsabilité gouvernementale dans le divorce entre notre communauté nationale et le récit national ?

Bertrand Vergely : La France est confrontée à l’expansion croissante de l’islamisme qui se sert des élections où il gagne des postes pour avancer ses pions. Comme le titre le Figaro en date de ce Lundi 17 Août, l’inquiétude du gouvernement vient de ce que des élus musulmans sont en train d’utiliser les responsabilités qui leur sont confiées pour s’engager résolument  dans un radicalisme religieux qu’ils entendent imposer à la société française laïque toute entière. Face à cette situation préoccupante,  au lieu d’incriminer l’islamisme, il est intelligent de s’interroger sur notre responsabilité en se posant la question de savoir  si, dans notre faiblesse actuelle, il n’y a pas une responsabilité  gouvernementale. 

Il convient d’être honnête. C’est vrai. L’islamisme est fort parce que nous sommes devenus faibles. 

Il est beau d’être français. La France est l’un des pays les plus extraordinaire non seulement de l’humanité mais de l’histoire de l’humanité. En ce sens, aimer la France, ce n‘est pas être bêtement nationaliste. C’est aimer l’humanité à travers une nation, une culture, un esprit et une âme qui ont fait briller et qui font encore briller ce que l’histoire humaine peut avoir de plus noble, de plus intelligent et de plus remarquable. Regardons toutefois ce qui s’est passé depuis la seconde guerre mondiale. 

À la suite du pétainisme,  de la guerre d’Algérie et de la décolonisation, puis de la montée du communisme, de l’internationalisme prolétarien et des mouvements de libération des minorités et des ethnies opprimées,  quand on aime la France, il n’est plus  possible de dire qu’on l’aime, qu’on se sent Français et que l’on a envie d’être fier d’être français et d’aimer la France, sans être immédiatement taxé de nationaliste nauséabond  potentiellement pétainiste, nazi et raciste.  La raison de cela ? La bêtise. Une invraisemblable bêtise liée à de la médiocrité. Une invraisemblable médiocrité. 

Dans les années soixante, quand la gauche a voulu prendre le pouvoir, elle a utilisé les dérives  pétainistes et colonialistes d’une partie de la droite,  sa médiocrité xénophobe voire raciste, sa nullité intellectuelle et morale, comme levier de pouvoir pour terroriser l’ensemble de la société politique française en interdisant toute critique de la gauche. Les choses étaient alors simples. On n’était pas de gauche ? On était de droite et si on  était de droite on était accusé d’être pétainiste, colonialiste et  raciste.

 Exagération ? Non. Simplement le regard de quelqu’un qui observe la société française depuis cinquante ans. Et la mémoire de quelqu’un qui, un soir lors d’un dîner, a entendu la fille de l’un des plus grands penseurs des années soixante-dix dire à table le plus tranquillement du monde que le plus beau jour de sa vie avait été celui où, dans la cour de la Sorbonne,  elle avait pu, avec ses camarades révolutionnaire, piétiner le drapeau français, cracher dessus et le brûler.  

    Dans la peur de se dire français, les gouvernements qui se sont succédés ont une responsabilité. 

Pour expliquer ce que nous vivons à savoir un effondrement complet de l’identité française, on avance la  rupture entre la communauté nationale et le récit national. On n’a pas tort. La France est aujourd’hui faible parce qu’au lieu d’avoir un récit national, elle suit les modes idéologiques.  

Avant-hier, il y avait le récit chrétien. Il a disparu. Hier, il y avait le récit républicain. Il a disparu. Aujourd’hui, il y a la démocratie. Celle-ci est incapable d’un grand récit, le bavardage d’egos névrosés tenant lieu de récit national. Cet effondrement reflète la démission à l’égard de la question de l’immigration. 

 Depuis cinquante ans, on entend des voix s’élever pour dire qu’il serait bon d’être vigilant et de prendre des mesures de contrôle. Il va y avoir un problème lié à l’immigration en France. Attention au basculement ethnique. On ne change pas les données d’une population du jour au lendemain. 

Il y avait des mesures de contrôle humaines et justes à prendre dans le respect des populations immigrées.   Depuis cinquante ans, en matière de politique d’immigration, rien n’a été fait. Si bien qu’aujourd’hui, ce n’est plus la France qui s’occupe de l’immigration. C’est l’immigration qui s’occupe de la France. Le langage à ce sujet en est l’illustration. 

Pour ne pas froisser les sensibilités, on masque pudiquement les réalités.  Si on avait quelque courage, on appellerait les choses par leur nom. Appelant les choses par leur nom, on dirait clairement qu’il y a un problème avec l’islamisme. Au lieu de cela, par peur d’apparaître raciste, on n’appelle plus l’islamisme islamisme mais communautarisme avant de changer de nom et de l’appeler séparatisme. 

 Hier, quand on voulait s’opposer à l’islamisme on ne l’appelait pas islamisme mais intégrisme et on mettait dans le même sac l’islamisme qui commet des attentats en tuant au nom de Dieu avec le catholicisme qui ne tue personne, le protestantisme qui ne tue personne, quelques rabbins et quelques bouddhistes. On avait trouvé la solution pour critiquer l’islamisme sans donner l’impression d’être raciste. Aujourd’hui, changement de politique. L’islamisme n’est plus assimilé à un intégrisme religieux mais à un séparatisme politique comme le séparatisme catalan par exemple. 

Il existe un séparatisme catalan, basque, breton. Avec le Brexit, les Anglais ont clairement fait preuve de « séparatisme ». Puisqu’il s’agit de lutter contre « les «  séparatismes que va-t-on faire ? Activer une répression contre les catalans, les basques, les bretons et tous les régionalismes ? 

La politique française a peur de l’islamisme. Et elle a encore plus peur du politiquement correct qui sévit dans les medias. Tant qu’elle aura peur, elle sera incapable de régler la question de l’islamisme. 

Si nous ne sommes plus qu’une somme de victimisations sans mémoire de notre grandeur passée, comment une union nationale est elle réalisable ?


Pour comprendre la question du sentiment national en France, il importe de distinguer deux niveaux. 

À un premier niveau, les Français ne cessent de critiquer la France. Qu’ils soient de droite ou de gauche, tous ils pestent en ayant comme sport national la descente en flammes de leur pays. Pas d’accord avec la France en général, ils ne sont en plus pas d’accord à propos de leur désaccord concernant la France. Pour la droite conservatrice, la France n’est plus ce qu’elle a été. Pour la gauche progressiste elle n’est pas ce qu’elle devrait être.

 Maintenant, attention. Ne nous limitons jamais à cette opposition qui dirige le monde des apparences.

 En vérité, les Français adorent la France. Et l’écrasante majorité des « étrangers » qui vivent en France,  que ce soient les musulmans, les Africains, les asiatiques, les roumains les polonais, les Italiens les Espagnols, les Portugais etc., tous adorent la France. 

On n‘imagine pas l’amour qu’il peut y avoir pour la France. Certes, il y a des égoïsmes, des haines, de la méchanceté, des minorités qui veulent détruire ce pays. Il n’empêche. Il y a des trésors d’amour pour la France que l’on ignore. 

Demandons à ceux qui vitupèrent contre la France de retourner dans leur pays. Il n’y aura personne pour lever le doigt. On s’interroge sur le fait de savoir pourquoi il y a un malaise en France. Parce que la France est raciste, clame l’opinion qui gouverne les medias et les réseaux sociaux. Non Écoutons plutôt ce chauffeur de taxi algérien 

« Nous qui sommes issus du Maghreb et qui vivons en France, nous n’attendons qu’une chose. C’est que les Français aiment la France et qu’ils  la respectent. Comment voulez vous que nous respections les Français si ceux-ci ne se respectent pas eux-mêmes ? Le jour où les Français aimeront la France, on aimera les Français. » 

En ces temps de Covid, il y a eu beaucoup d’amour des Français pour la France. Malgré toutes les r-erreurs et touts les manquements qui ont eu lieu et qui ont encore lieu, que d’efforts pour respecter malgré tout des règles sanitaires. Au-delà de ce sérieux collectif, en ce mois d’Août, que de bel engouement  chez tous ceux et toutes celles qui, au leu, de partir à l’étranger, se sont mis à  aimer des villages perdus entre la Corrèze et les Cévennes. 

On se demande si le sentiment national est perdu parce que nous sommes tous et toutes de fieffés égoïstes. Allons sur un marché des bords de Loire, de Bretagne et de Provence. Le sentiment d’appartenir à une nation commune pleine de couleurs, de saveurs et de merveilleuse humanité est manifeste.  Il n’y a que ça. 

Les politiciens n’arrivent pas à créer un discours et une politique pour unir les Français. Rien de plus normal. Ils ne laissent pas parler leur cœur. On leur a interdit de le laisser parler. 

Quand a-t-on entendu un homme politique expliquer qu’il aimait la France et pourquoi il l’aimait ? Sauf erreur, depuis cinquante ans cet amour ne s’est jamais exprimé. 

 « J’ai aimé un homme », disait un jour une femme.  « Le problème, c’est qu’il n’a jamais su me dire qu’il m’aimait. C’est pour cela que je l’ai quitté ». 

Notre histoire ressemble à cette femme. La France nous aime. Mais, un jour, à force d’oublier de lui dire qu’on l’aime, elle nous quittera. Ce jour là, nous aurons beau pleurer et demander pardon, ce sera trop tard. Elle ne reviendra pas. 

Comment pouvons nous retrouver une union nationale dans notre pays ? Quel récit doit être raconté?

Il y a deux types de récit. Le premier est mythique. Le second est éthique. 

Le récit mythique est le récit que l’on trouve chez les enfants. Il fonctionne de façon simple. On raconte une histoire qui fait rêver et, soudain, magiquement, par le truchement de ce récit qui fait rêver, on fait une société, une nation, un peuple. 

Le monde a connu de grands mythes qui ont fait rêver. En Occident, il y a eu trois grands mythes : le héros grec, le chevalier du moyen-âge et le révolutionnaire des temps modernes. 

Aujourd’hui, nous assistons à un effondrement du mythe qui fait rêver. Ce qui s’est passé avec la téléréalité en est la raison profonde. En faisant croire qu’il suffit d’être filmé chez soi en train de sucrer son café pour être un grand acteur, la téléréalité a tué le héros, le cinéma et l’art par la même occasion. 

 Le sentiment national s’efforce aujourd’hui pourquoi ? Parce que la démocratie est médiocre et qu’elle ne sait pas faire autre chose que bavarder au sujet de la médiocrité. Il y a toutefois un second récit qui a de la valeur. Il s’agit du récit éthique. 

Les sages et les saints ne parlent pas de morale. Ils sont la morale. Être ainsi la morale au lieu de parler de morale, c’est ce que l’on appelle l’éthique.  Quand cet événement prodigieux se produit, on en parle encore. L’éthique créant une mémoire et un récit, cette mémoire et ce récit font vivre les générations. 

De Gaulle a marqué le XXème siècle pourquoi ? Parce qu’il a été une figure éthique. Il a été la France. Lorsqu’il parlait, il ne parlait pas de la France. Il était la France. 

Depuis lui, il faut le dire, les présidents qui se sont succédés à la tête de notre pays n’ont pas su avoir cette dimension éthique. Ils ont eu des qualités, notamment celle de savoir tuer leurs adversaires et leurs concurrents pour prendre le pouvoir. Sauf erreur, jamais  il n’a été question de célébrer en eux un homme, remarquable dont on a envie de se souvenir pour la hauteur et la profondeur de sa pensée morale et spirituelle.

On s’interroge sur le fait de savoir comment il va être possible de rebâtir une unité nationale.  On regarde les politiques. On ferait mieux de se regarder.  Tant que nous vivrons dans la médiocrité morale et spirituelle dans laquelle nous vivons, nous n’aurons pas le ciment capable de créer une fraternité digne de ce nom. 

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