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"La société décadente", le livre qui fait débattre l’Amérique
©Eric BARADAT / AFP

Chute d'un empire

Pour le journaliste du New York Times Ross Douthat, l’Amérique est entrée en pleine étape de décadence. Depuis le désastre de la mission Challenger en 1986, l’Amérique gorgée de l’hybris d’avoir été la première nation à poser le pied sur la lune a atteint un point de stagnation telle qu’elle fait face à une croissance anémique.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le journaliste Ross Douthat décrit la décadence d’après la définition de Jacques Barzun comme une stagnation économique, un délabrement économique et un épuisement culturel et intellectuel avec pourtant un haut niveau de prospérité et développement technologique. Comment cela peut-il s’appliquer aux Etats-Unis actuellement ? 

Edouard Husson : Le livre de Douthat est très inégal. Il touche des aspects justes. Il peut être cohérent de défendre l’idée selon laquelle les Etats-Unis ont connu leur apogée avec l’ère Eisenhower. Depuis, ils restent les plus puissants mais leur avance sur le reste du monde a fondu. Dans les années 1950 et 1960, l’Europe de l’Ouest s’est reconstruite, jusqu’à menacer la prépondérance industrielle américaine. Puis ce fut, dans les années 1970 et 1980, le tour du Japon de sembler prendre de l’avance sur les Etats-Unis dans l’électronique. Dans les années 1990, on a parlé de « l’hyperpuissance » américaine. Mais, ensuite, les guerres moyen-orientales et la montée en puissance de la Chine ont semblé à nouveau mettre les USA en difficulté. Il est bien entendu possible de prendre comme point de repère la conquête spatiale: des premières expéditions sur la lune à l’explosion de la navette spatiale en 1986, vous avez une ambition permanente, qui semble être devenue impossible à financer depuis lors.  

En fait, à la fin des années 1960, les Etats-Unis ont eu un choix à faire: rester dans l’étalon de change or ou non. Comme ils avaient perdu en compétitivité par rapport à l’Europe, tout en prônant le libre-échange, il n’avaient pas d’autre choix, s’ils voulaient stabiliser le dollar, que de regagner en compétitivité. Mais Richard Nixon a préféré déstabiliser le système monétaire mondial en coupant le lien entre le dollar et l’or. Du coup le dollar est devenu la seule monnaie étalon de la planète et les USA ont pu maintenir leur leadership de manière indiscutée. Plus ils ont fabriqué de dollars, plus ils ont alimenté l’économie mondiale en liquidités et plus ils ont pu s’endetter puisque le premier réflexe des détenteurs de dollars était de les réinvestir aux Etats-Unis. Comme la quantité de dollars générés risquait de produire de l’inflation, les USA ont développé un secteur financier, tertiarisé l’économie, imposé le libre-échange partout et surtout délocalisé les emplois. Ce système, qui a fonctionné de 1978 à 2008 environ, a généré d’énormes inégalités. Cela s’explique facilement: l’état réel de la monnaie était celui d’une hyperinflation et l’un des moyens d’empêcher que cela fasse exploser les prix a été la concentration de la richesse entre les mains d’un tout petit nombre. Effectivement, ce sont ces Etats-Unis-là qui sont touchés de plein fouet par la crise des subprimes et le décrochage de 2008-2010. 

Le taux de natalité de la société américaine ne suffit plus à supporter le renouvellement de la population et la population vieillit. La tentation d’augmenter l’immigration amène une tension politique qui oblige les élus a cultiver un sens de solidarité et d’obligation sociale. N’est ce pas la meilleure méthode pour que l’individualisme devienne la norme en réaction à ces événements ? 

Le taux de fécondité des femmes en âges de procréer est en effet tombé à 1,7. C’est le signe le plus fort d’une société en déclin. Une société qui ne veut plus avoir suffisamment d’enfants est le produit d’un individualisme exacerbé et il est peu probable qu’elle sache répondre à des défis collectifs. C’est ce qui se passe en ce moment avec les sociétés européennes de l’Ouest face au Coronavirus. Dans le cas des Etats-Unis, je pense que le problème se pose différemment: la société américaine garde un fond très vital. L’élection de Trump montre une véritable envie de s’en sortir. Cependant le blocage par le parti démocrate du débat politique au profit d’une tentative de déstabilisation judiciaire du président légitimement élu montre bien une crise profonde, un décalage entre les Américains les plus riches, qui peuplent les rangs du Congrès et l’ensemble de la société américaine. 

Culturellement, on assiste à un éternel recommencement et Hollywood produit les mêmes films encore et encore comme avec les films Marvel, les jeunes se détournent du sexe pour la pornographie et la politique s’approche plus d’un jeu de tir qu’un terrain propice au débat. L’esthétisme à outrance ne va-t-il pas amener l’aliénation de nos sociétés ? 

Oui, c’est l’une des thèses de Douthat, l’industrie américaine du cinéma n’arrive pas à se renouveler. Je ne suis pas sûr qu’il rende justice à la capacité qu’ont eu les USA à inventer de nouveaux supports, miser sur la  diffusion des séries dites encore télévisées alors qu’elles sont aujourd’hui sur des plateformes de vidéo à la demande. Tout ce qu’il souligne est vrai: en particulier la pornographie fait des ravages dans une partie de la jeunesse. Cependant les Etats-Unis ne suivent pas une pente univoque. C’est surtout un pays extrêmement divisé, selon la même opposition qu’ailleurs: entre les « classes créatives » (Richard Florida) et ceux que Madame Clinton a appelés les « déplorables », à savoir les électeurs de Trump. A ce débat soit s’ajouter le débat religieux, très profond: entre les « Pro Life » et les « Pro-choice ». Dans ce cadre là, il est bon qu’il y ait une nouvelle polarisation droite/gauche du débat politique, cela revigore la démocratie. Il n’y aurait pas eu de débat sans Trump: avant l’actuel président, le parti républicain n’était au fond qu’un clone du parti démocrate et donc plus enclin à défendre les 1% les plus riches que l’ensemble de la population. 

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