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"Frères sorcières" d'Antoine Volodine : quand le suffrage périt sous l'acclamation, de qui se moque-t-on ?
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Dans le monde culturel, il arrive souvent qu'un chat ne soit pas un chat, par conformisme, suivisme, boboïsme, voire complaisance. Et qui est le dindon de la farce? Le spectateur ou le lecteur. Le dernier roman d'Antoine Volodine en fournit un exemple édifiant.

Isabelle De Larocque Latour pour Culture-Tops

Isabelle De Larocque Latour pour Culture-Tops

Isabelle De Laroque Latour est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).  Culture-Tops a été créé en novembre 2013 par Jacques Paugam , journaliste et écrivain, et son fils, Gabriel Lecarpentier-Paugam, 23 ans, en Master d'école de commerce, et grand amateur de One Man Shows.

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LIVRE
Frères sorcières

d'Antoine Volodine

Ed. du Seuil

300 pages

20 €

RECOMMANDATION

           BOF !

THÈME

Avant de commencer, il faut savoir que « Frères sorcières » est le 43e ouvrage d’un cycle désigné sous le nom de «post-exotisme», qui en comptera 49.

Sous-titrée « entrevoûtes » (dispositif de textes édifiés par paires autour d’un axe central), cette œuvre sans unité  aborde plusieurs thèmes : la Magie par la sorcellerie incantatoire,  l’Eternité par la réincarnation ou la métempsychose et le Genre  par l’indifférenciation des sexes illustrée par l’oxymore du titre.  Aucun jalon temporel, aucun repère géographique autres que quelques images contradictoires, tantôt très modernes, tantôt très anciennes.

Le livre commence par « Faire théâtre ou mourir » : Dans une deuxième ou troisième URSS post apocalyptique, une troupe de comédiens ambulants, la Compagnie de la Grande-nichée, qui erre dans une taïga fantasmée, est massacrée par des bandits. L’histoire est racontée par la dernière survivante, interrogée après sa mort par une sorte d’enquêteur  évoquant les plus beaux jours de la Tcheka.

Viennent ensuite les « vociférations » ou Cantopéra, 343 injonctions rassemblées  en 49 pavés, sorte de transe théâtrale ou d’incantations magiques  sensées susciter la renaissance et la métamorphose des morts en figures libérées de leur identité.

Arrive enfin « Dura nox, sed nox », une phrase de 120 pages sans aucun point (mais non sans ponctuation, heureusement !) qui chante un Immortel passant par de multiples incarnations masculines et féminines.

POINTS FORTS

- Une certaine poésie, et même une poésie certaine, qui joue sur les échos et les répétitions, à la façon d’un lamento.

- L’influence très nette  de Lovecraft qui pourra séduire les fans de ce type de littérature.

- Beaucoup d’humour dans l’association de situations politiques antinomiques et de préceptes délirants, ponctué parfois d’une autodérision bienvenue, quand l’auteur cite, par exemple, «des quatrains de poètes post-exotiques qu’autrefois Volodine, par pure jalousie mesquine, avait passé sous silence ».

- La construction de la phrase unique (même si elle relève de la facilité)  qui illustre l’éternel recommencement en reprenant à la fin les quatre premières pages du début.

POINTS FAIBLES

-  Dans « le post-exotisme en dix leçons, leçon onze » (1994) Volodine affirmait : « Lire un recueil d’entrevoûtes renforce la certitude post-exotique qu’on est « entre soi »… C’est peut-être là que réside le malaise du lecteur lambda qui ne se sent pas obligatoirement en phase avec les prétentions sociales et littéraires de l’auteur.

- Ce  texte déconcertant, qui se veut à la fois intemporel et novateur,  accumule les artifices pour dénoncer de façon compliquée les errances de notre siècle. Pourtant, le passage d’un sexe à l’autre, en particulier,   n’est pas une nouveauté en littérature puisqu’il a été traité dès 1928 - et avec quelle finesse ! - par Virginia Woolf dans ce petit chef d’œuvre qu’est « Orlando ».

- Quant aux  slogans, incantations, vociférations, ou tout autre nom donné par Volodine  aux lignes qui forment le cœur de l’ouvrage (le liant de l’entrevoûte) elles semblent bien factices mais elles présentent  l’avantage de donner  au lecteur la furieuse envie de relire d’urgence les « Chants de Maldoror ».

EN DEUX MOTS

Artificiel et narcissique.

Ce Lautréamont au petit pied qui se met en quatre pour exister, soutenu par une critique unanime qui voit en lui un auteur « radicalement différent »,  ne m’a paru ni totalement original ni vraiment convaincant et je ne pense pas que fouillis et afféterie  riment systématiquement avec génie.

UN EXTRAIT

Un petit passage de « Vociférations » :

"320. MANGE LE BRUIT DU VENT AVEC TES OREILLES !

321. MANGE L’IMAGE DU VENT AVEC TES YEUX !

322. COUCHE-TOI SUR LA TERRE AVEC TA PEAU !"

L’AUTEUR

Né en 1950 à Chalon-sur-Saône, Antoine Volodine est un romancier et traducteur français aux multiples pseudonymes, (Manuela Draeger, Elli Kronauer ou Lutz Bassmann), créateur à lui tout seul, mais sous quatre hétéronymes, d’un courant littéraire baptisé « post-exotisme » qui pourrait se définir comme un réalisme socialiste magique (non sans arrière-plan idéologique).

Fort d’une cinquantaine d’ouvrages et récipiendaire de nombreux prix plus ou moins prestigieux, il reçoit le Médicis en 2014 sous le nom de Volodine pour « Terminus radieux ».

Adapté au théâtre, « Frères Sorcières »,   mis en scène par Joris Mathieu avec la Compagnie Haut et Court, part en tournée dès le mois de février prochain. Vous êtes prévenu(e)...

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