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"Empire Falls Building" : une combinaison de thématiques d'une extrême richesse
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Atlanti-Culture

Les hommes cherchent-ils plus à être inspirés qu’à être libres ?

Nicolas Autier pour Culture-Tops

Nicolas Autier pour Culture-Tops

Nicolas Autier est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THÈME

Le jour de la remise de son prix du concours d’architecture de l’Université de Philadelphie, Edgard Whitman, jeune et brillant lauréat, reçoit une proposition qu’on ne peut refuser : finir la construction du mythique immeuble new-yorkais, l’Empire Falls Building, commandité par le non moins célèbre homme d’affaires Kosmo Vassilian. 

Séduit par la personnalité et la culture architecturale de la femme de celui-ci, la fragile et évanescente Selma ; fasciné par la stature et les partis-pris des trois architectes l’ayant précédé ; écrasé mais stimulé par le défi à relever : « Donner un contour à l’infini » ; envoûté par l’aura mystérieuse de « l’immeuble de tous les désirs et de tous les vertiges »  ; happé par l’emprise du magnat des affaires, Edgard Whitman se lance à corps et esprit perdus dans ce projet dont il ne sait pas encore qu’il sera celui d’une vie. 

POINTS FORTS

Au travers de l’histoire d’un jeune architecte naïf – dont le nom est un clin d’œil à l’un des plus grands poètes américains, Walt Whitman – Empire Falls Building combine des thématiques d’une extrême richesse et diversité : comment l’ambition créatrice et artistique se confond avec les mythes prométhéens et démiurgiques ; comment le processus créatif peut s’inspirer de l’œuvre des maîtres, la respecter tout en la transcendant ; quels ressorts d’ambition poussent un exilé sans moyen à conquérir un pays grâce aux opportunités du monde des affaires ; dans quelle mesure l’inspiration peut conduire un homme à accepter d’être humilié et de rogner sur sa liberté ; quels liens profonds d’attention, de sensibilité et de pudeur permettent à un couple de durer par-delà tous les aléas de la vie… ?

Empire Falls Building foisonne également de superbes trouvailles d’ordre quasi mystique : arbre des origines sur lequel repose tout le bâtiment, forêt intérieur factice en forme de paradis originel, immeuble sous-terrain symétrique de l’aérien pour y loger les plus démunis, musée intime où Kosmo Vassilian stocke les témoignages de son parcours…

Les personnages de Empire Falls Building sont tous fascinants. Pleins de faiblesses, défauts, lâchetés et renoncements, ils sont aussi épris de beauté, de grandeur et de spiritualité. Les relations qui les unissent sont toutes en ambiguïtés et en non-dits d’une grande finesse. Le triangle Kosmo-Selma-Edward, qui peut se muer en binôme(s) d’une grande plasticité, est à ce titre emblématique.  

Et que dire du dessin de Tommy Redolfi ? Combinant lignes dures et grande douceur, il fait de l’Empire Falls Building un monde en soi, comme flottant, déconnecté de l’environnement qui l’entoure. La palette dominée par les tons sombres et neutres crée un sentiment d’oppression et de désespérance latente.

QUELQUES RÉSERVES

Empire Falls Building pose plus de questions qu’il n’apporte de réponse, forçant le lecteur à chercher le sens qu’il entend donner aux « blancs » laissés par les auteurs. 

Empire Falls Building regorge de références plus ou moins explicites que je n’ai pas su toutes identifier, loin de là. Bravo à l’habileté des auteurs pour truffer ainsi l’album d’indices qu’il reviendra au lecteur d’identifier.

ENCORE UN MOT...

Empire Falls Building renvoie évidemment au gratte-ciel qui l’a inspiré, l’Empire State Building, et à son histoire. Elle n’est pas moins fascinante : délais extrêmement courts pour en dessiner les plans, ambition sans limite donnée au projet ainsi résumée : « autant d’étages que possible », personnalité du fondateur John J. Raskob, course au plus haut bâtiment du monde avec notamment le Chrysler Building…

Empire Falls Building aborde également le sujet de l’héritage artistique que les grands hommes d’affaires entendent léguer au -delà de leur réussite professionnelle. Et comme l’histoire se passe à New-York, il fait inévitablement penser à la Frick Collection, du nom de cet homme ayant fait fortune dans l’acier et les chemins de fer qui fut un des plus grands collectionneurs de peinture de son temps au point de faire construire son hôtel particulier de la 5° avenue autour de sa collection de plus de 1000 œuvres.

UNE ILLUSTRATION

L'AUTEUR

Avant de se lancer en BD en tant que scénariste, Jean-Christophe Deveney suit des études d’histoire et de lettres à Aix en Provence et à Montréal. Devenu Lyonnais, il y démarre sa première série BD, Pitchusan, éd. Albin Michel, 2002-2004. Il crée avec Guillaume Martinez et Raf Sarfati L’épicerie Séquentielle, association des auteurs de Bd lyonnais dont il est le secrétaire en plus de ses activités de professeur de scénario aux arts appliqués et d’auteur. Récemment, on lui doit le scénario du très instructif Les naufragés de la Méduse, éd. Casterman, 2020, avec Jean-Sébastien Bordas au dessin. 

Dessinateur, Tommy Redolfi a été formé à l’école Émile Cohl de Lyon avant de retourner vivre à Grenoble. Sa carrière démarre avec la participation aux cinq numéros du fanzine Mister Green et à divers collectifs (Patate Douce et Verlaine, Ronsard, Rimbaud, éd. Petit-à-petit). Il se lance véritablement en BD avec deux albums remarqués par le public et la presse, tous les deux publiés aux éditions Paquet : Rayban Dog, 2003, sur un scénario de Paul Murphy ; La Perspective Nevski, 2005, adaptation d’une nouvelle Nicolas Gogol pour laquelle il œuvre au scénario et au dessin.

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