"Bibliothèque de survie" de Frédéric Beigbeder : Les résistants<!-- --> | Atlantico.fr
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Frédéric Beigbeder publie "Bibliothèque de survie" aux éditions de L'Observatoire".
Frédéric Beigbeder publie "Bibliothèque de survie" aux éditions de L'Observatoire".
©Bertrand GUAY / AFP

Atlantico Litterati

Romancier, essayiste, réalisateur et critique littéraire, Frédéric Beigbeder a obtenu en 2003 le prix Interallié pour "Windows on the world" (Grasset) et, en 2009, le prix Renaudot pour "Un roman Français" (Grasset). Frédéric Beigbeder publie en ce mois de mai une déclaration d’amour à la littérature, et à ceux qui la font ("Bibliothèque de survie" aux éditions de l’Observatoire).

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Frédéric Beigbeder publie  en ce mois de mai une déclaration d’amour à la littérature, et à ceux qui la font.« Bibliothèque de survie » (éditions de l’Observatoire) réunit les cinquante livres ( Roth, Singer, Simone de Beauvoir, Colette, Simon Liberati)  que l’écrivain et critique voudrait toujours avoir sous la main. Ces œuvres le nourrissent chaque fois qu’il a faim et  l’abreuvent  lorsqu’il meurt de soif- la soif du beau, bizarre ou pas. Plus encore  que Sagan, Colette, Kafka ou Fitzgerald, c’est l’art et  les artistes que chérit Beigbeder. La littérature est sa religion,  sa raison, sa passion, le sens de sa vie. Le pain de chaque jour. L’eau du puits. Ce que Frédéric Beigbeder nous dit  d’Oscar Wilde  est d’autant plus passionnant qu’on pourrait croire  qu’il parle de lui ; écrivain-critique refusant les oukases de  la mode  (grossière et cousue de fils blancs),   Frédéric Beigbeder ne ressemble à personne… sauf à Oscar Wilde ; je parle de l’esprit.  Ce qui est frappant, c’est la  similitude dans la posture : cette exigence de liberté, ce désir du vrai-beau et du beau-vrai. Wilde hier en Angleterre et Beigbeder aujourd’hui en France sont des résistants. Des artistes qui résistent à la bêtise  .  Ceux qui, entendant leurs noms, font parfois la fine bouche sont les lourds, les sourds, les insistants, toujours les  mêmes, par-delà les époques. Ils craignent  la liberté de ton,  la légèreté profonde de ces compères par delà la mort de Wilde . Frédéric Beigbeder et Oscar Wilde pensent leur époque. Ils choquent parfois. Ce  sont des artistes dérangeants,  extrêmement utiles- je dirais nécessaires-  ils créent une sorte d’appel d’air. Notre postmodernité se fait terriblement moutonnière, voire bêlante ;  face à la pensée unique ( la non -pensée, donc), il nous faut respirer, nous aérer : la    présence altière, vive et moqueuse d’ Oscar Wilde qui survit par ses oeuvres et  celle, tout aussi noble, de  Frédéric Beigbeder,  qui vit  l’époque avec nous, l’observant avec une cruauté salutaire incarnent  une sorte d’antidote à la lourdeur, le remède anti- modeux idéologiques et  autres décoloniaux  ennuyeux. L’auteur de « L’amour dure trois ans » n’est pas gay, au contraire de   Wilde, mais c’est la même religion de l’art, un semblable culte du « beau- bizarre »,  ce côté dandy tel que l’incarnait à sa  chère manière un autre rêveur  sacrément délicat :Christophe.

 On ne le dira jamais assez : Oscar Wilde et Frédéric Beigbeder sont des résistants. Ils résistent à la bêtise, ce  qui n’est pas rien. « L’art ne doit jamais essayer d’être populaire, c’est le public qui doit essayer de se faire artiste », affirmait Wilde, assassiné par la bêtise . Le roman que publia en 2020 Frédéric Beigbeder dérangea  fort quelques uns mais un an plus tard, tout le monde  semble abonder dans ce sens, sur  le thème  que  Beigbeder s’était contenté de moquer doucement : les travers de ces radios d’État fonctionnant avec nos impôts,  quoique nous imposant leur grille puritaine  : un faux « neutre » ultra « woke ».

Oui, nous avons besoin de courants d’air car le conformisme ambiant dans la France d’aujourd’hui est pesant, lourd, et la bêtise est aussi contagieuse  que les variants.Nous aimons  par contraste l’ironie de ceux qui  ne disent jamais les « papas » et « les mamans « -sur BFM hier : « La maman du tueur » (sic) -mais préfèrent, à cette langue de Bisounours,  évoquer les « pères » et « mères », ceux qui ne se rendent pas  aux « marches blanches ».Ceux qui  s’inclinent  seulement devant l’évidence.  Nous manquons d’artistes  tel Wilde et Beigbeder, rieurs, moqueurs,  pas suivistes pour deux sous, anges parfois cinglants, artistes donc jamais plats ni vulgaires. « La littérature ne sert qu’à être belle et donner du plaisir au lecteur «  dit ce fin connaisseur qu’est Frédéric Beigbeder. Oscar Wilde  confirme : «  L’Etat  doit s’occuper de l’utile. L’individu, du beau. » Beau programme, bien déstabilisant.AG

Bibliothèque de survie par Frédéric Beigbeder, (extrait)

Frédéric Beigbeder : « rien n’est vrai que le beau d’Oscar Wilde »

« Si la Pléiade est une vieille mais rutilante Bentley, alors « Quarto » est un SUV ( sport utility vehicle). Plus aérée, plus spacieuse et moins onéreuse, la collection proposait au mois de mai 2019 de faire le point sur la prose romanesque du grand Oscar Wilde(1887-1897). Bien qu’inégal ( les « contes parlés » ne sont pas tous du même niveau), le bilan est étourdissant. Si aujourd’hui la presse littéraire surévalue certains auteurs uniquement parce qu’ils sont homosexuels, c’est -inconsciemment- pour compenser l’ignoble injustice qui a été faire à l’auteur du Portrait de Dorian Gray. Rarement écrivain a été autant vilipendé, conspué, humilié, emprisonné, torturé, insulté et méprisé par ses contemporains, alors que son génie éclate à chaque page de de ce recueil .

« Les femmes sont faites pour être aimées, non pour être comprises » (Le Sphinx sans secret, 1887). « Cette fleur est si belle que je suis certain qu’elle possède un interminable nom latin. » (Le Prince heureux et autres contes, 1888). « Il n’est pas si laid, au bout du compte, pourvu qu’on prenne l’élémentaire précaution de fermer les yeux et de ne pas  le regarder «  ( Une maison de grenades, 1891). « Le péché est la seule note de couleur vive qui subsiste dans le monde moderne ».( Le portrait de Dorian Grey, 1891)Le papier mural et moi nous livrons un duel à mort. Il faut que l’un de nous s’en aille » ( propos tenus Claire de Pratz le 29 octobre 1900, un mois avant sa mort à l’Hôtel d’Alsace, rue des Beaux-Arts, Paris 6 e).

Comment un même homme a-t-il pu être le plus drôle  d’Angleterre et rédiger la lettre d’amour la plus triste de l’histoire de la littérature britannique (De profundis, 1897) ? Le destin de Wilde est évidemment christique et il le savait. Toutes ses fictions annonçaient son sacrifice humain. Lors de son procès inique, il osa déclamer la phrase qui peut encore nous sauver aujourd’hui : « Il n’existe pas de livres  moraux ou immoraux, les livres sont seulement bien ou mal écrits ». Quand on veut faire de sa vie une œuvre d’art, le sommet de l’esthétique est d’imiter Jésus. La société des hommes crucifie toujours ce qui la dépasse, pour, ensuite, se prosterner et demander pardon. Ne serait-il pas, un jour, préférable de pardonner aux génies de leur vivant ? Il est sain et naturel que les grands écrivains se prennent pour Dieu. Quoi qu’il en soit, Oscar Wilde a gagné son pari. Comme Dorian Gray, il est un jeune homme éternel, mort à quarante-six ans. Ne jamais oublier cette réalité : les génies anciens sont infiniment plus jeunes que nous. Et plus le temps passe, plus ils rajeunissent ».

 Copyright Frédéric Beigbeder/ « Bibliothèque de survie »/ éditions de l’Observatoire/18 euros

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