9 milliards placés en assurance-vie depuis le début de l’année : ce que vous risquez à miser sur un placement économiquement irrationnel mais fiscalement utile <!-- --> | Atlantico.fr
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L’assurance-vie demeure de loin le placement préféré des Français.
L’assurance-vie demeure de loin le placement préféré des Français.
©Reuters

A la hausse

L’assurance-vie demeure de loin le placement préféré des Français. François Hollande, conseillé par la députée Karine Berger, a voulu un temps lui tordre le cou. Il y a vite renoncé, car près de la moitié des ménages disposent de ce type de contrat.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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L’assurance-vie est une véritable success story qui a révolutionné l’épargne en France avec un modèle qui résiste plutôt bien aux crises et notamment aux dernières. Son encours est passé de 380 à plus de 1558 milliards d’euros de 1996 à 2015.

L’assurance-vie date, en France de 1787 avec la création de la « Compagnie royale d’assurance-vie ». En 1788, il a été décidé d’imposer la séparation des activités dommages de celles liées à l’assurance-vie, distinction qui demeure jusqu’à nos jours. Si la révolution française freina l’essor de l’assurance-vie avec notamment la loi Le Chapelier qui interdit tout groupement ayant pour but la défense de « prétendus intérêts communs » ; un décret d’août 1793 supprima les compagnies qui pratiquaient des opérations d’assurance-vie.

Il faudra attendre 1818 que le Conseil d’Etat autorise officiellement par arrêté l’assurance sur la vie. Trois grandes compagnies sont alors créées : l’Union (qui deviendra UAP et AXA), la Royale (GAN) et les assurances générales et le Phénix (AGF). Jusqu’à la crise de 1929, l’assurance-vie connaît un essor régulier. En revanche, avec la grande crise et la Seconde Guerre mondiale, elle a failli disparaitre. Il faudra attendre 1976 avec notamment la création de l’AFER et surtout les années 80 pour enregistrer une hausse des cotisations. De 1976 à 2006, elles sont passées de 2 à 140 milliards d’euros par an. Le produit a profité de son régime fiscal incitatif, de la garantie du fonds euros mais aussi des innovations techniques avec le développement des unités de compte.

Après une année 2012 difficile marquée par une décollecte de 6 milliards d’euros du fait de la crise des dettes souveraine, l’assurance-vie a vite renoué avec la croissance. Depuis le début de l’année 2015, la collecte nette moyenne (différence entre les cotisations et les retraits) est de 2,2 milliards d’euros par mois. De ce fait, la collecte nette sur 4 mois s’élève à 8,8 milliards d’euros. Sans revenir aux niveaux atteints durant les premières années 2000, l’assurance-vie trace sa voie dans un contexte de taux difficile. Les Français continuent à verser une part non négligeable de leur épargne. Les cotisations se sont élevées pour le seul mois d’avril. Cette bonne tenue est le produit d’un montant plus que correct des cotisations, 12,3 milliards d’euros au mois d’avril.

Si les Français plébiscitent année après année ce produit d’épargne, c’est avant tout parce qu’ils ont réussi à se l’approprier. Il s’agit avant tout d’une enveloppe fiscale permettant de déroger à l’impôt sur les revenus et aux droits de succession. Or, les Français adorent avoir l’impression de gagne de l’argent sur le fisc. Au-delà de ce régime fiscal incitatif, la grande force de l’assurance-vie a été le fonds euros avec sa fameuse garantie en capital. D’un seul coup, l’épargnant pouvant placer de l’argent en bénéficiant tout à la fois des rendements d’un placement à long terme et des avantage d’un produit à court terme (retrait possible à tout moment sans perte de capital) avec un maximum de sécurité.

Il est, de ce fait, assez logique que les fonds euros aient capté une très grande partie de l’argent de l’assurance-vie d’autant plus que les taux de rendements étaient élevés dans les années 90 et une partie des années 2000. Il aurait été fou de ne pas en profiter… Les rendements ont pu dépasser les 4 à 5 %. L’assurance-vie a suppléé ainsi les SICAV monétaires des années 80.

Ce succès a attiré les critiques. Les fonds euros ont été accusés de capter l’épargne des ménages pour le plus grand profit des administrations publiques au détriment des entreprises. Ils dissuaderaient les Français à prendre des risques. Il faut relativiser ces critiques. En effet, un fonds euros n’est pas constitué loin de là que d’obligations du Trésor. Il comprend des obligations d’entreprise, des actions et de l’immobilier. Les fonds euros même si c’est vrai les obligations souveraines constituaient le socle sont les principales sources de financement des entreprises. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les Etats ont pu se financier grâce à la montée en puissance de l’assurance-vie. Les Français ne sont, pas en outre, en la matière guère différents des autres épargnants de l’Europe continentale. Après trente ans de succès, il serait un peu facile de jeter le bébé et l’eau du bain dans un même geste.

La baisse des taux que nous connaissons peut-elle mettre en danger l’assurance-vie et les épargnants qui ont choisi ce placement ?

Jamais depuis le début de la révolution industrielle, nous avons connu des taux d’intérêt aussi bas. L’Etat emprunte à 10 ans à 0,8 %. Ce taux est même tombé à 0,4 % au mois d’avril.  Ce sont les taux les plus bas jamais enregistrés depuis plus de 250 ans ! Mieux, l’Etat s’endette à taux négatifs jusqu’à 2 ans. L’Allemagne fait mieux avec des taux négatifs jusqu’à 5 ans. Pour mesurer cette révolution, il faut bien prendre conscience que sur longue période, les taux tournent autour de 5%. A la fin des années 70 et début des années 80, ils avaient atteint des sommets, jusqu’à 16 %.

Cette baisse des taux a pour conséquence une diminution des rendements des fonds euros. Ces derniers sont passés de 4,4 à 2,5 % de 2004 à 2014. Si les compagnies d’assurance peuvent offrir encore 2,5 % voire plus pour certaines compagnies, c’est grâce aux obligations acquises ces dernières années et qui sont mieux rémunérées que celles qui sont achetées actuellement. Il ne faut pas oublier que l’assurance-vie est un produit de long terme ; les compagnies d’assurance conservent une grande majorité des titres qu’elles achètent jusqu’à leur terme. Le problème pourrait provenir si la période de très bas taux durait longtemps et si elle était suivie d’une vive remontée avec de plus d’importants rachats de la part des épargnants. Dans ce scénario, le stock d’obligations acquises en période de bas serait déprécié au moment même où les compagnies devraient faire face à des retraits. Mais, avant de tomber dans un scénario catastrophe, il ne faut pas oublier que l’assurance-vie est soumise à des règles prudentielles strictes qui sont en train d’être renforcées. Les compagnies d’assurance doivent disposer de fonds propres pour faire face à leurs engagements en cas de choc obligataire. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et des Risques (ACPR) intervient comme régulateur de la profession et contrôle la solvabilité des assureurs. Nul n’est infaillible mais les règles en vigueur sont très strictes voire pour certains trop stricts car elles pénalisent toute prise de risques.

Evidemment, en cas de poursuite des taux bas, l’épargnant ne peut pas escompter une remontée du rendement de son fonds euros. Pour améliorer les revenus de l’épargne tout en restant dans l’enveloppe fiscale de l’assurance-vie, il est incité à opter pour les unités de compte ou pour un fonds eurocroissance.

Les unités de compte représentent des parts d’organismes de placement collectif (SICAV, FCP, FCPI…). Les actions d’entreprise cotées peuvent être également intégrées dans un contrat d’assurance-vie. En cas de souscription d’unités de compte, l’assuré supporte directement le risque à la différence du fonds euros. En contrepartie, il peut espérer bénéficier d’un meilleur rendement.

Les Français semblent franchir de plus en plus le pas des unités de compte. Les cotisations en UC ont atteint 2,7 milliards d’euros en avril portant leur montant sur les 4 premiers mois à près de 10 milliards d’euros (9,9 milliards d’euros). En avril, les UC représentaient 27 % des cotisations. La progression de la bourse, 20 % sur les premiers mois de l’année a certainement contribué à cet essor. Depuis quelques mois, il peut également souscrire à un fonds eurocroissance qui se loge dans un contrat aux côtés d’un fonds euros classiques et des UC. Dans un fonds eurocroissance, la garantie du capital n’est pas immédiate. Elle est différée. Elle intervient au minimum après 8 ans. Entre temps, la valeur du fonds euros peut fluctuer en fonction des valeurs qui le constitue. L’objectif est de procurer un peu plus de rendement tout en restant dans la logique de la garantie de capital. L’assureur grâce à cette garantie différée peut développer une poche de diversification intégrant plus de valeurs dites corporate (actions, obligations d’entreprise…).

Le succès de l’assurance-vie est intimement lié à son régime fiscal. En alourdissant la fiscalité sur les revenus classiques de l’épargne, le Gouvernement bien qu’au départ ce n’était pas son intention, a renforcé l’attractivité de l’assurance-vie. Ce produit, du fait de son succès, a été une source d’innovations pour le secteur de l’assurance. Avec plus de 1500 milliards d’euros, il est devenu un tanker indispensable même si parfois il n’est pas facile d’en modifier les contours. L’épargnant mais qui pourrait lui en vouloir, est prudent et aime comprendre avant de changer ses habitudes. 

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