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​Si, la mondialisation - et non la robotisation - est bien le coupable principal de la désindustrialisation dans les pays occidentaux
©Pixabay

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Selon une étude publiée par Natixis, l'automatisation et la robotisation seraient responsables de 75% des destructions d'emplois dans le secteur manufacturier, alors que la mondialisation porterait une responsabilité de 25%. Pourtant, les arguments avancés pour justifier cette hypothèse avaient déjà été invalidés par d'autres recherches, constatant pour leur part la brutalité de l'effet mondialisation au cours des 15 dernières années.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon une étude réalisée par Natixis, l'effet de la désindustrialisation subi aux États Unis au cours de ces dernières années serait le fait, non pas de la mondialisation, mais de la robotisation. Cette analyse est-elle fondée ? 

Nicolas Goetzmann : Cette question fait débat depuis plusieurs années aux États Unis, et Natixis reprend une argumentation bien connue. Celle-ci repose sur une double analyse. D'une part, le poids de l'industrie manufacturière est resté plutôt stable aux États Unis au cours de ces dernières années, passant de 12% à 11.6% de la valeur ajoutée, alors que les emplois manufacturiers ont subi une forte chute depuis le début des années 2000, passant de 16% à 8% de l'emploi total. Ce qui signifie que le secteur manufacturier est parvenu, en 25 ans, à afficher le même rythme de croissance que le PIB, et ce, avec une portion toujours plus réduite d'emplois. Ce sont donc les gains de productivité du secteur qui auraient ravagé l'emploi manufacturier américain, et non la mondialisation.

Mais une telle analyse avait déjà trouvé ses contre arguments, notamment dans un rapport datant de 2013, réactualisé en 2015, qui indiquait comment une approche trop globale pouvait masquer une autre réalité. En effet, selon les économistes Houseman, Bartik et Sturgeon, il existe une autre explication que celle de la robotisation à ce phénomène de hausse de la productivité concomitante à la baisse du nombre d'emplois.

Selon les auteurs, la hausse de productivité du secteur manufacturier s'explique largement par l'explosion à la hausse d'un seul sous-secteur ; l'informatique et les semi-conducteurs. 

Tous les autres sous-secteurs manufacturiers voient leur productivité baisser ou augmenter de façon médiocre. Or ce sous-secteur informatique ne pèse que 13% du total de la valeur ajoutée manufacturière. Ainsi, et en excluant ce sous-secteur de l'ensemble manufacturier, il apparaît que la productivité est à peine plus élevée aujourdhui qu'elle ne l'était 25 ans auparavant. Ce qui signifie qu'un phénomène particulier est à l'oeuvre concernant ce seul secteur informatique :

"La croissance extraordinaire du PIB réel dans les industries liées à l'informatique reflète des prix de semi-conducteurs, qui, lorsqu'ils sont ajustés de l'amélioration qualitative des produits, chutent lourdement." (…) "Bien que les industries informatiques aient entraîné la croissance du secteur manufacturier, la production s'est déplacée vers l'Asie et le déficit commercial des États-Unis s'est envolé depuis les années 1990 pour ces produits. L'effet démesuré de l'industries informatique sur les statistiques manufacturières pourrait fausser les relations économiques dans les données et ainsi aboutir à des résultats de recherche pervertis"

En résumé : "La croissance rapide de cette industrie n'implique pas nécessairement que les usines américaines produisent beaucoup plus d'ordinateurs et de produits liés, elles pourraient même en produire moins. Cela signifie plutôt que la qualité des produits est meilleure que dans le passé.". De cette façon, l'argumentation liée à la hausse de la productivité, qui est un trompe l'oeil, masque une réalité bien plus morose pour l'ensemble du secteur manufacturier américain. 

Dès lors, quels sont les éléments permettant de soutenir l'idée que la mondialisation est la principale cause du phénomène de désindustrialisation ? 

En fait les deux causes sont valables, mais à des degrés différents. L'automatisation et la robotisation expliquent davantage une tendance lourde amorcée dès les années 50, tandis que la mondialisation a eu un impact beaucoup plus brutal depuis le début des années 2000, soit une perte de 30% des emplois manufacturiers entre 2000 et 2015. Selon les auteurs précités, il existerait également un phénomène d'entrainement entre automatisation et mondialisation. Il suffit de prendre exemple sur deux entreprises concurrentes, dont une délocalise sa production à l'étranger pour bénéficier de coûts moins élevés. Dans un tel cas, et pour éviter de perdre ses marchés, l'autre entreprise peut faire le choix de suivre la même décision en délocalisant à son tour, ou de passer à l'automatisation des tâches en installant des robots. Finalement, le résultat est le même, les emplois manufacturiers les plus routiniers disparaissent sous les coups conjoints de la mondialisation et de l'automatisation. Il faut simplement faire la distinction entre une tendance de fond sur l'automatisation des tâches, et la brutalité de la mondialisation constatée au cours des 15 dernières années, c’est-à-dire depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC en décembre 2001.

Robotisation, mondialisation, quelles sont les risques de mener des politiques bâties sur une erreur de diagnostic ?

On ne peut pas voir la mondialisation et la robotisation qu'en termes négatifs. De nombreux emplois ont été créés au sein des pays émergents, ce qui a permis une forte baisse du nombre de pauvres dans ces pays, soit 1 milliards de personnes lors des 15 dernières années, (principalement en Chine). De plus, les consommateurs européens ont largement alimenté ce courant, en achetant des produits toujours moins chers au détriment des produits locaux. Ils en ont bénéficié. Enfin, la destruction des emplois manufacturiers, des emplois routiniers a été compensée en partie par des créations d'emplois plus qualifiés.

Vouloir en finir avec la mondialisation en croyant permettre des nouvelles créations d'emplois sur le sol national contribuerait sans doute à un échec, en constatant une amplification de l'automatisation des tâches. En effet, lorsque Donald Trump menace l'industrie automobile de tarifs douaniers prohibitifs, le rapatriement des activités sur le sol américain a plus de chance de se produire sous l'angle de la robotisation que de l'embauche de salariés peu qualifiés. D'autant plus que les bienfaits de la mondialisation, entre prix contenus, et créations d'emplois qualifiés, seraient perdus.

Au lieu de vouloir revenir en arrière, il pourrait être plus pertinent d'identifier clairement le problème : la mondialisation et l'automatisation mettent principalement en danger les emplois de faible ou de moyenne qualification. En France, le taux de chômage des ouvriers non qualifiés était de 20.3% en 2015. Lorsque l'on regarde le niveau de chômage à l'aune du niveau de qualification, on se rend compte les diplômés du supérieur subissent un taux de chômage de 6.2%, puis, 6.3% pour les BAC+2, 10.1% pour les BAC ou brevet professionnel, 10.8% pour les CAP ou BEP, 14.1% pour ceux ayant le brevet des collèges et 18% pour les personnes n'ayant aucun diplôme (année 2015/ INSEE). Il existe donc une forte gradualisation du taux de chômage en fonction du niveau diplôme. Or, si la France parvient à améliorer sensiblement ses scores pour les diplômés du supérieur, il apparaît que le taux de scolarisation des 15- 19 ans a baissé de 5 points lors des 20 dernières années, passant de 89% à 84% entre 1995 et 2009. Ce qui provoque un effet ciseau entre l'augmentation du nombre de non qualifiés et une probabilité toujours plus forte pour ces personnes d'être au chômage.

À partir de constat, deux solutions peuvent être mises en œuvre pour répondre à la problématique posée. D'une part, mettre en place une véritable politique de plein emploi en Europe au travers une modification du mandat de la BCE, ce qui permettra de lutter contre le chômage de façon globale. Cette solution aura en plus l'avantage de voir les entreprises être de plus en plus attirées par un accroissement de la demande sur le sol européen, ce qui peut conduire à une augmentation de la production locale.

D'autre part, il faut lutter contre la surreprésentation des moins qualifiés dans les chiffres du chômage, en mettant des moyens plus importants en termes d'éducation et de formation pour éviter qu'une part croissance de la jeunesse française ne se retrouve sans aucun bagage éducatif, et donc promise à la précarité. Au final, la réorientation de la mission de la BCE permettra la création de millions d'emplois en Europe, pour tous les niveaux de diplômes, et l'élévation du niveau de qualification permettra aux populations les plus exposées de réintégrer une économie de plus en plus en demande de profils qualifiés. 

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