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« L’Or du chemin », le roman de l’énergie spirituelle
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Le premier roman de Pauline de Préval paru chez Albin Michel, est consacré à l’Italie, la peinture et la foi.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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Hors des sentiers battus de l’autofiction si en vogue de nos jours, L’or du chemin retrace la quête artistique et spirituelle d’un peintre florentin du début de la Renaissance. Mais gare aux apparences ! Tout en restituant de manière saisissante l’atmosphère de la Toscane du XVème siècle, L’or du chemin n’est pas à proprement parler un roman historique. Les amateurs du genre n’y trouveront pas de quoi assouvir leur soif de faits éclairants un épisode de l’Histoire. Si le choix de Pauline de Préval de situer son récit dans une autre époque que la nôtre, répond au dessein de faire résonner les questions essentielles qui tiraillent un quadragénaire de l’Italie du Quattrocento et celles d’aujourd’hui, il constitue du même coup un procédé efficace pour marquer une distance avec unnarcissisme dominant la production romanesque actuelle.

Dans une lettre datée de 1425, Giovanni raconte la naissance de sa vocation qui surgit lorsqu’il a neuf ans, et l’enthousiasme que lui procure son apprentissage de l’art de la fresque avec sa senteur de chaux et de pigments, dont il perçoit le pouvoir mystérieux de fixer la lumière. Sous l’œil bienveillant de son maître Starnina et celui amoureux de la belle Léonora, il se lance dans la course aux commandes. Or il est vite confronté à un monde cruel dominé par banquiers et marchands, et où les conflits entre familles rivales se soldent par la torture et les condamnations à mort. Et dans une époque où les confréries des métiers se disputent la reconnaissance sociale, s’affirmer comme peintre s’avère être un réel combat semé d’épreuves, et d’autant plus difficile quand on est fils d’un teinturier. Tour à tour passionné et tourmenté par l’approfondissement de son art, il partage ses recherches avec son ami Brunelleschi. Celui-ci a conçu pour la cathédrale Santa Maria del Fiore une immense coupole, œuvre d’une prouesse architecturale sans précédent, qui est en cours de construction. Depuis les fresques réalisées par Giotto à la Basilique de Santa Croce, puis le cycle de Saint Pierre de la Cappella Brancacci peint par Masaccio et Masolino, Florence est devenue le berceau d’une transformation radicale de la conception et de la fonction de l’art, qui ne réside plus uniquement dans la maîtrise et la transmission d’une technique, mais également dans l’énonciation des principes et des processus de création d’une oeuvre. Cette révolution culmine dans la publication en 1436 du traité De Pictura de Leon Battista Alberti, qui fixe la théorie de la perspective et ses lois d’application. Giovanni est vite séduit par celle-ci, étant considérée comme l’invention suprême, et se laisse également éblouir par le raffinement de la peinture siennoise. Pourtant il est assailli par des doutes. Contraint à un long exil, l’abattement puis le désespoir s’emparent de lui. Mais c’est lorsqu’il n’attendra plus rien de la vie que sa transfiguration aura lieu. Effrayé par la perte de l’état de grâce que lui avait insufflé la vision du Christ du baptistère dans son enfance, et qui était à l’origine de sa vocation, il prend conscience que son chemin est autre et que « la peinture n’est pas d’abord une question de technique, mais de vision. »

Pour que la révélation du peintre florentin advienne, Pauline de Préval irradie son chemin de la lumière qu’elle a capturée dans les collines toscanes. Tantôt écrasante, fruit d’un soleil calcinant qui brouille la vue ; tantôt très fine, si cristalline que les plus infimes détails du paysage se découvrent. Nous sommes éblouis par tant de clarté qui s’impose au fil des pages avec force et douceur. Alors, d’une joie profonde et contagieuse, Giovanni nous révèle que le Paradis est ici et maintenant. Qu’il est partout, dans chacun de nos gestes, lorsque nous sommes prêts à renaître à nous-mêmes. Il s’agit d’être soi et croire. Rester fidèle, au cœur de son travail. Car aucune révolution sociale, ni le progrès, ne peuvent se substituer à l’évolution personnelle de chacun. Et comme le préconisait Konstantin Léontiev pour le salut de l’homme, la science devra reconnaître « la puissance et la raison de la mystique du cœur et de la foi ».

Avec une émotion palpable dans chacun de ses mots, Giovanni adresse ses confidences à un destinataire dont l’identité ne se dévoile qu’à la fin du récit. C’est une émotion de l’ordre le plus pur, libérée de tout sentimentalisme, celle qui se connaît elle-même, qui réside en profondeur. Et que Charles Du Bos dénomme « l’émotion créatrice », seule capable de stimuler l’âme, et à laquelle la littérature doit son existence. L’attrait de L’or du chemin n’est donc pas de surface. Son scintillement n’est pas de pacotille, tels ces titres aguicheurs venant couronner un texte bien façonné pour servir la réussite d’une stratégie de vente. Car cet or n’est pas celui du succès rapide et volatile si cher aux oligarchies de l’argent, mais il est synonyme de gloire qui, elle, est immortelle. Ce qui distingue fondamentalement ce roman de la plupart de ceux qui sont publiés en masse chaque année, c’est que de lui émane cette énergie spirituelle propre à toute création authentique. Bergson nous précise que le signe de sa plénitude d’expression, c’est la joie. Et ce texte l’exhale de bout en bout.

Privilégiant une forme dépouillée, condensée, faisant écho aux récits médiévaux de tradition orale, Pauline de Préval façonne son roman à l’image même d’une fresque, telle que nous la décrit André Suarès dans son premier voyage à Florence, et dont la miraculeuse « harmonie ne peut naître que de l’accord si difficile et si rare des lignes, des couleurs, du chant naturel au peintre et de l’architecture où toutes ces éléments ont leur espace. » Dans l’accomplissement de sa métamorphose en une polyphonie de formes et de couleurs, L’or du chemin incarne la parole porteuse de spiritualité de Pauline de Préval : « Va donc au bout de ce qui t’anime en restant toujours ouvert à l’inespéré. »

Pauline de Préval, L’or du chemin, Albin Michel, 2019, 140 pp., 14 euros

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