+ 5,7% de croissance en France pour 2021 : tout va très bien Madame la marquise ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
+ 5,7% de croissance en France pour 2021 : tout va très bien Madame la marquise ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Rebond

La Commission européenne a relevé ses prévisions de croissance pour la France à 5,7% pour l’année 2021. Est-ce vraiment suffisant pour rattraper cette année perdue ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : La Commission européenne a relevé ses prévisions de croissance pour la France. Elle s’établit désormais à 5,7% pour l’année 2021. Un chiffre incroyable lorsqu’on le compare aux précédentes données de croissance pour les dernières années. Ce chiffre pourrait-il nous permettre de rattraper le niveau de croissance atteint sans crise sanitaire ? Les années perdues seront-elles compensées ? 

Philippe Crevel : Le taux de croissance de 2021 doit être évidemment comparé à celui de l’année 2020. L’année dernière, le PIB avait reculé de manière historique de 8,2 % du fait de la crise sanitaire. L’année 2021 sera marquée par un rebond qui devrait surtout avoir lieu au cours du second semestre. Nous devrions en 2022 dépasser le niveau du PIB atteint à la fin de 2019. Pour certains économistes, la crise sanitaire devrait laisser des traces persistantes dans le temps empêchant de retrouver le rythme d’expansion d’avant qui n’était pas très florissant. L’idée est que la croissance potentielle serait élimée par les pertes subies en 2020 et 2021. Avec une diminution du taux d’investissement, avec un recul du taux d’emploi, avec une diminution de la productivité ces douze derniers mois, tout concourt à une croissance, après la période de rebond, plus lente. Ce scénario est celui de la pente naturelle, toute chose étant égale par ailleurs. L’objectif du gouvernement, de l’Union européenne est de redresser le taux de croissance potentielle, c’est d’échapper à la fatalité de la faible croissance. Les plans de relance qui doit notamment accélérer la transition énergétique sont censés permettre la compensation des années perdues. Pour cela, il est important d’améliorer le taux d’emploi qui est en France structurellement faible, près de 10 points inférieurs à celui de l’Allemagne en lien avec des départs précoces à la retraite, d’augmenter la productivité en robotisant ainsi qu’en digitalisant la production. 

À Lire Aussi

Record du monde de la croissance en 2020 : les secrets de Taïwan sont-ils vraiment hors de notre portée ?

Comment expliquer que la France fait l’un des meilleurs rebonds de la zone euro ? Cette situation est-elle totalement bénéfique pour la population ? 

En 2020, la France figure avec l’Italie et l’Espagne au sein de l’Union européenne parmi les pays le plus touchés par la crise sanitaire en raison de sa forte exposition au tourisme. Les secteurs générateurs de croissance ont tous été touchés, les transports, la construction d’aéronefs et d’automobiles, l’hébergement, la restauration, les loisirs et l’industrie du luxe avec la disparition des touristes internationaux. Le recul du PIB au deuxième trimestre 2020 a atteint 13,6 %, un des plus importants de l’OCDE mais il a été suivi par un rebond tout aussi impressionnant au troisième trimestre, +18,5 %. La saison estivale a été un réel succès économique. Par ailleurs, la construction a retrouvé rapidement son rythme d’avant crise quand l’industrie s’en est rapprochée. Le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2021 ont été marqués par de nouveaux confinements mais dont les effets économiques ont été moindres. Les différents secteurs d’activité se sont adaptés à évoluer en mode dégradé. Les politiques mis en œuvre par les pouvoirs publics ont permis de maintenir le pouvoir d’achat des actifs et de sauvegarder les entreprises afin de faciliter le rebond. L’impact de la crise a été essentiellement supporté par l’Etat et les régimes sociaux avec la mise en place des PGE et du chômage partiel ainsi que des aides du Fonds de solidarité. Plus de 250 milliards d’euros ont été dépensés pour limiter les effets de la crise. Le niveau de vie des Français a même augmenté en 2020 quand le PIB se contractait de plus de 8 points. Certes, certains catégories sociales ont du faire face à des baisses de revenus, intérimaires, indépendants, salariés en CDD ou à temps partiel. Du fait de l’épargne accumulée et des plans de relance, le rebond devrait être important dès la fin de main. Certains métiers tournent déjà à plein, en particulier dans le secteur du bâtiment. Des goulots d’approvisionnement se font jour. La saison touristique s’annonce sous les meilleurs augures ce qui devrait permettre aux saisonniers de retrouver du travail. 

En cas de croissance trop faible, quelles sont les catégories qui en paieront le prix ?

Une croissance durablement faible provoquera le déclassement d’une part croissante des classes moyennes. Elles seraient alors exposées au risque de polarisation des emplois, beaucoup de petits boulots et des créations limitées d’emplois très qualifié avec au milieu de moins en moins d’emplois. Une croissance étale accentuerait l’évolution de ces dernières années. Elle serait susceptible de générer des mouvements de révolte peu ou mal structurés sur le modèle des gilets jaunes, une instabilité politique et la recherche de bouc émissaires. Les jeunes seraient également les premières victimes. Leur insertion professionnelle serait plus difficile. Un nombre non négligeable serait cantonné dans des emplois de service domestique à faible rémunération. Le choix de l’émigration pour trouver un emploi à la hauteur de leur aspiration se posera pour ceux qui auront la possibilité et la volonté de partir. Sinon, en cas de faible croissance, les personnes en CDD ou en intérim sont évidemment en position de vulnérabilité.

Est-il possible de suivre le chemin des USA où la trajectoire économique est sensiblement supérieure à la situation pré-Covid ? 

Les Etats-Unis ont opté pour des plans de dépenses publique sans précédent, plus de 4000 milliards de dollars en deux ans. Il faut souligner que le pays partait de bas en matière d’interventionnisme public. Il y a un rattrapage après des années de disettes de financement public. Il n’en demeure pas moins que cet engagement de l’Etat entraînera un rebond de la croissance tel que certains craignent à une surchauffe avec un risque inflationniste à la clef. Les Etats-Unis sont toujours un peu dans l’excès. Certes, l’Europe bénéficiera de ces plans du fait de l’incapacité des entreprises américaines de suivre la demande. La France pourrait bénéficier d’un surplus de croissance de 0,5point grâce aux Etats-Unis. De son côté, le plan de relance de l’Union européenne est plus modeste, 750 milliards d’euros mais pour la première fois, il est de nature fédérale avec une prise en compte de la situation de chacun des Etats membres. Par ailleurs, ce plan s’ajoute à ceux mis en œuvre au niveau national. L’Europe a été à la traîne dans les années 2010 en ayant été confrontée à deux crises, celle des subprimes et celle des dettes souveraines. Par ailleurs, elle a éprouvé des difficultés à surmonter l’échec du référendum français en 2005. Entre 2016 et 2020, elle a du gérer le Brexit. Malgré ces écueils et problèmes, l’Union européenne dispose de nombreux atouts pour être tout aussi compétitive que les Etats-Unis. Elle constitue un espace commercial homogène se caractérisant par le haut niveau de ses habitants. Le niveau de formation est élevé. Par ailleurs, la zone euro dispose de la deuxième monnaie mondiale, certes derrière le dollar, mais loin devant la monnaie chinoise ou celle du Japon. La création d’un véritable marché européen du financement des entreprises et le développement de programme communautaire structurant qui pourraient concerner l’énergie, l’éducation et les nouvelles technologies seraient à même de bonifier la croissance. Les Etats-Unis savent combiner à merveille libéralisme et interventionnisme. La NASA était en panne sur les solutions technologiques mais elle a réussi à confier la mission d’envoyer des hommes dans l’espace à une firme privée. Les intérêts publics et privés aux Etats-Unis cohabitent avec bien plus de facilité outre-Atlantique. A nous de nous en inspirer !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !