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Ah que coucou ?
Ah que coucou ?
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Ah que Karim

Il ne voulait plus s'appeler Johnny Layre mais Karim Layre, son deuxième prénom, car il en avait « marre des moqueries, des "Ah que coucou!"». La Cour d'Appel de Pau lui a donné gain de cause lundi 11 avril. Au-delà de cette affaire, c'est le rapport des Français à leur prénom qui est en jeu, comme l'explique le sociologue Baptiste Coulmont.

Baptiste Coulmont

Baptiste Coulmont

Baptiste Coulmont est sociologue, maître de conférences à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis.

Son dernier ouvrage s'intitule Sociologie des prénoms (La Découverte, 9 juin 2011).

Il tient par ailleurs un blog.

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Atlantico : Que vous inspire l’affaire « Johnny Layre » ?

Baptiste Coulmont : Cette affaire m’évoque un précédent : il y a quelques années déjà, à Nantes, la Cour d’appel avait permis à un Johnny de changer de prénom. L’homme cachait à l’époque à son entourage son prénom d’état civil et se faisait appeler autrement que Johnny. Il vivait en quelque sorte deux vies parallèles. Cette affaire n’est donc pas inédite.

En réalité, les Français ne sont pas propriétaires de leurs prénoms, pourrait-on résumer. Ils l’ont en usufruit de l’État. Entre la Révolution française (loi du 6 fructidor an II), et 1957, il n’y avait pas la possibilité juridique de changer de prénom. Depuis le début des années 2000, on compte environ 3000 demandes de changement de prénoms par an. Ce n’est pas beaucoup. Cette possibilité a été introduite dans le droit français au milieu des années 1950. La procédure en vigueur aujourd’hui date seulement de 1993. Elle n’est pas simple : il faut faire appel à un avocat et c’est le juge aux affaires familiales qui décide de la possibilité ou non de changer de prénom. En Grande-Bretagne, la procédure est plus facile : une espèce de déclaration notariée suffit.

En France, pour changer de prénom, il faut qu’il existe un intérêt légitime : l’usage constant et prolongé d’un prénom d’usage peut causer des difficultés administratives, la conversion peut être liée à l’intégration à une nouvelle communauté, un changement de sexe peut nécessiter un changement de prénom, une erreur de déclaration à la naissance peut être corrigée... Il existe aussi de nombreux cas de « défrancisation » du prénom (quelques années après avoir demandé une francisation du prénom au moment de la naturalisation).

Comment a évolué le rapport des Français avec leurs prénoms ?

Il faut savoir que longtemps, les Français n’ont pas eu un seul prénom. C’est ce qu’ont montré les enquêtes qui ont comparé les listes de baptême, celles de l’état civil et les listes de recensement réalisées une vingtaine d’années plus tard (Dupâquier et al.,  Le temps des Jules, 1987, p.4).

On peut ainsi penser qu’au XIXe siècle, un tiers des Français utilisait un prénom différent de celui de leur état civil. Quand vous leur demandiez « comment vous appelez-vous ? », ils auraient pu répondre « ça dépend », à l’Eglise ainsi, à la maison Untel. Souvenons-nous qu’à cette époque, il n’existait pas vraiment de banques ou d’abonnements téléphoniques permettant de fixer constamment un prénom sur une personne. Pour le dire rapidement, le seul moment où vous étiez confronté à votre prénom d’état civil était lorsque vous vous mariez, ou au moment de la conscription.

L’idée que les gens ne possèdent qu’un seul et unique prénom est donc finalement un phénomène récent : Michel Foucault appelait cela la « morale d’état civil ». Aujourd’hui encore, il existe beaucoup de Frédéric qui se font appeler « Fred » ou de personnes qui, trouvant leur prénom vieillot, ont un autre prénom d’usage.

Notre prénom influe-t-il sur notre vie ?

Certains psychologues vous diraient oui (comme Nicolas Guéguen, auteur de Psychologie des prénoms - Pour mieux comprendre comment ils influencent notre vie, Dunod, 2008), mais j’ai du mal à m’y retrouver en tant que sociologue. Ce qui est certain quoi qu’il en soit c’est que notre prénom est lié à notre milieu social. Les prénoms anglo-saxons sont par exemple aujourd’hui beaucoup plus choisis par les classes populaires. Le prénom n’est pas qu’une caractéristique individuelle. Par exemple, un collégien qui s’appelle « Brandon » ou « Mohammed » est plus fréquemment dans un collège comprenant de nombreux enfants défavorisés qu’une Clémence ou une Agathe. Il suffit d’étudier les résultats du brevet : les résultats des élèves diffèrent selon leurs prénoms, même si ce n’est pas lié au prénom lui même, qui n’est qu’un indicateur.

Les prénoms à la mode commencent leur « carrière » en général chez les classes supérieures et les professions du spectacle. Quelques années plus tard, ceux-ci se retrouvent dans toutes les cours de récréation, une fois que les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers s’en sont emparés pour leurs enfants. On peut citer comme exemple l’évolution des prénoms a la mode dans les années 1960 ; Monique, Christiane ou Françoise, par exemple. La diffusion peut se faire très rapidement. Une dizaine d’années suffit.

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