Voilà pourquoi Greenpeace pourrait être expulsée de la commission des Nations unies sur l’exploitation minière sous les océans<!-- --> | Atlantico.fr
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Le navire Arctic Sunrise navigue lors d'une expédition scientifique de Greenpeace dans l'archipel des Galapagos, en Équateur, le 1er mars 2024.
Le navire Arctic Sunrise navigue lors d'une expédition scientifique de Greenpeace dans l'archipel des Galapagos, en Équateur, le 1er mars 2024.
©ERNESTO BENAVIDES / AFP

Atlantico Green

Greenpeace est aujourd’hui confrontée à un combat l’opposant à une entreprise d’extraction minière sous-marine, à la suite d’une opération qui pourrait lui valoir d’être expulsée de la commission des Nations unies portant sur ce sujet.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Greenpeace est aujourd’hui confrontée à un combat l’opposant à une entreprise d’extraction minière sous-marine, à la suite d’une opération qui pourrait lui valoir d’être expulsée de la commission des Nations unies portant sur ce sujet. Que sait-on exactement de ce qu’il s’est passé ?

Alexandre Baumann : On sait depuis les années 60-70 qu'il y a sur certains fonds marins des zones riches en petits amas rocheux, qualifiés de "nodules", riches en métaux. L'idée serait d'avoir des robots pour les récolter. Néanmoins, la question environnementale préoccupe. C'est une des raisons pour lesquelles des recherches sont faites.

Les 25 et 26 novembre 2023, Greenpeace a abordé le navire d'exploration "MV Coco" de l'entreprise  Nauru Ocean Resources Inc (NORI), filiale de The Metals Company, afin de "perturber la collection de données" mandatées par l'ISA (Council of the International Seabed Authority).

L'ISA est, en bref, un organisme de l'ONU mandaté par 168 États membres, plus l'Union Européenne, pour encadrer l'exploration et le développement de régulation pour l'exploitation minière profonde.

Le 30 novembre 2023, la District Court of Amsterdam a décidé que les militants devaient quitter le vaisseau, mais pouvaient continuer de manifester autour et de compliquer les recherches, refusant la demande de l'ISA. Ce n'est qu'après cette décision que les militants ont désembarqué.

La question a été abordée à la "29e session" (= une assemblée générale ?) de l'ISA. Greenpeace a été entendu sur le "doit à protester" le lundi 18 mars et NORI le jeudi 21 mars. D'après la BBC, l'ISA pourrait retirer à l'ONG son statut d'observateur.

Quel est le consensus scientifique sur la question de l’exploitation minière sous-marine ? Que sait-on exactement de l’impact environnemental de telles activités (et cela permet-il de “justifier” ou “légitimer” l’action de Greenpeace) ?

Le terme de "consensus scientifique" s'est beaucoup popularisé avec les travaux du GIEC et la lutte contre le climatoscepticisme. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que de telles choses sont rares, surtout dans des matières aussi complexes et peu connues que l'impact environnemental en général. Il est plus pertinent de parler d'état de l'art et de toujours garder une certaine réserve.

L'exploitation minière des fonds marins a été envisagée à partir des années 60 et a connu une première "hype" entre 1972 et 82 (au même moment que l'hydrogène d'ailleurs), mais a été abandonnée en raison du prix. On avait pourtant déjà identifié un gisement d'une richesse extraordinaire dans l'Océan Pacifique: (ces chiffres sont de l'époque) une zone de 6 millions (M) de m² contenant environ 11 Md tonnes de manganèse, 115 M de cobalt, 650M de nickel et 520M de cuivre. Une nouvelle phase d'intérêt a commencé dans les années 90 avec le Japon, la Chine, la Corée et l'Inde (Glasby G.P., Lessons learned from deep-sea mining, Science, Vol. 289, 28 juil. 2000). Les progrès des matériaux et de la robotique, ainsi que l'augmentation des besoins en métaux, comme le cobalt ou le manganèse, accélèrent cette recherche.

Il semble admis qu'elle aura des effets négatifs sur la vie sous-marine.de plusieurs manières:

· Sur les surfaces prospectées évidemment, qui sont mécaniquement perturbées.

· A travers la création d'un nuage de poussière.

· Par la pollution sonore.

· Par la pollution lumineuse.

Dans un environnement habitué à plusieurs milliers de kilomètres sous l'eau, habitué à une absence totale de mouvement, de son et de lumière, il est évident qu'il y aura des dommages écologiques. Néanmoins, dire cela, c'est dire bien peu.

La mine terrestre cause aussi des dommages écologiques considérables. On peut notamment penser aux forêts rasées pour faire de la place aux mines de nickel en Indonésie, aux enfants dans les mines de cobalt au Congo ou aux lacs toxiques laissés par les mines de cuivre au Chili. (sur les dégâts de la mine terrestre, en anglais:  The True Cost of Mining for the $500 Billion Electric Car Industry | True Cost | Insider News )

En outre, le premier danger pour la biodiversité marine est le changement climatique. Le pire danger est l'inaction technique prônée par les ONG.

Ainsi, la vraie question est l'ampleur des dégâts écologiques qui seront causés, la balance avec ce que cela apporte et la comparaison avec la mine terrestre. C'est un vaste chantier de recherche, notamment parce qu'il faudra étudier zone par zone et qu'il y a différents types de ressources minières sous-marines. En effet, ici il est question des "nodules polymétalliques" et de la "Clarion - Clipparton Zone", mais il y a de nombreuses autres zones et d'autres types de ressources: des dépôts proches des cheminées hydrothermales, et les sommets de certaines montagnes sous-marines.

Il faut également étudier s'il est possible de gérer ou d'amoindrir ces dégâts. En effet, la technologie a des pouvoirs incroyables et les problèmes d'aujourd'hui peuvent être réglés par l'amélioration de demain. Ainsi, la pollution atmosphérique causée par les automobiles a été largement amoindrie par les pots catalytiques et l'émission des gaz causant le trou de la couche d'ozone a été efficacement limitée. On pourrait réussir à développer un système de prélèvement qui produit moins de poussière, de lumière et de bruit. Il est tout à fait crédible de penser que l'exploitation des fonds marins est une opportunité enthousiasmante pour la décarbonation de l'économie.

Quoiqu'il en soit, la première étape indispensable est d'obtenir des données et promouvoir la recherche.

L'action de Greenpeace, visant à empêcher d'obtenir des données, est par nature injustifiable. C'est encore pire quand on voit dans le détail, cette technologie pouvant apporter une réponse au besoin massif de métaux pour la transition écologique.

Quels sont les enjeux que l’activité minière sous-marinière soulève-t-elle, notamment sur les plans social et politique ?

Le premier problème de l'exploitation des fonds marins est un problème juridique: à qui sont-ils ? Pour éviter que ce soit le Far west, a été créée l'ISA que nous avons évoqué plus haut.

Une autre crainte est que ce soit une innovation qui renforce encore plus le pouvoir des pays développés, qui ont les moyens d'exploiter ces ressources. L'ISA a donc créé des règles pour réserver une partie des surfaces à exploiter aux pays en développement. Un article datant de 2000 présente les mesures initiales (je traduis):

"En raison de la possibilité présumée de revenus énormes provenant de l’exploitation minière en haute mer, les pays du tiers monde (Groupe des 77 à l’ONU) voulaient s’assurer qu’on ne leur refuserait pas une part des richesses. Sur la base de fausses attentes, un certain nombre de dispositions ont été proposées et considérées par les sociétés minières comme pouvant  rendre l'exploitation de nodules non viable (5). Parmi celles-ci, un système parallèle de mine marine selon lequel une entreprise devait explorer deux sites miniers de valeur à peu près égale et en céder un à l'ISA. Au cours de la phase initiale de l'exploitation minière des nodules, les entrepreneurs seraient également tenus de transférer la technologie à l'Entreprise, la branche minière en haute mer de l'ISA, selon des « conditions commerciales justes et raisonnables » sur une période de 10 à 20 ans. La communauté internationale serait également tenue de finaliser les projets d'un premier projet minier à l'échelle commerciale de l'Entreprise." (Glasby G.P., Lessons learned from deep-sea mining, Science, Vol. 289, 28 juil. 2000)

La compagnie canadienne The Metals Company utilise le pavillon d'une île du Pacifique, l'île Nauru (d'où le nom de la filiale,  Nauru Ocean Resources Inc, NORI).

La question sociale concerne aussi les personnes concernées par l'activité des mines terrestres, notamment les mineurs de cobalt du Congo et les voisins des mines de nickel en Indonésie, qui se plaignent des produits toxiques tombant dans leurs eaux (cf documentaire cité plus tôt).

Enfin, politiquement, il est évident que cela pose un danger pour les lobbys pseudo-écologistes: si on réussit à changer de modèle sans adhérer à leurs théories anticapitalistes, que leur restera-t-il à faire ?

The Metals Company avait relevé un étrange paradoxe : d'un côté Greenpeace appelle à plus de recherches scientifiques et de l'autre ils s'opposent à des recherches mandatées par l'ISA. Il s'agit en fait d'une logique importante dans la pseudo-écologie: le rejet du travail des scientifiques travaillant avec l'industrie. C'était un point central dans la désinformation autour des Monsanto papers. Cela permet de prendre le contrôle de la production scientifique: seuls ceux reconnus par le "parti" (qui est ici une sorte de structure informelle) ont droit de cité. Les autres doivent être présumés corrompus et leur discours relégué au rang de propagande des "lobbys" (industriels).

Laisser Greenpeace agir de la sorte, n’est-ce pas aussi confier beaucoup de pouvoir à un organisme au fonctionnement opaque ? Quel pourrait être le danger ?

Par son action, Greenpeace prétend avoir un pouvoir de décision qui doit s'imposer à l'ISA, et donc à la communauté internationale. Ce n'est pas étonnant, puisque c'est le projet réel de la pseudo-écologie: la prise de pouvoir totale.

En même temps, Greenpeace n'est qu'une organisation privée qui ne rend de compte à personne. Il n'y a aucun contrôle de ses décideurs et si un jour la Russie se décide à leur donner de l'argent pour promouvoir le discours antinucléaire, personne pourrait rien n'en savoir. C'est d'autant plus marqué que cette organisation repose essentiellement sur des mensonges suffisamment vastes pour la rendre extrêmement malléables: il peuvent dans l'absolu s'opposer à n'importe quoi. Ils ont à leur disposition un pouvoir de nuisance terrible  et peu ou pas de limites pour l'utiliser. Pourquoi ne monétiseraient-ils pas ce pouvoir extraordinaire ?

On a pu voir le danger que représente les pouvoirs de nuisance anti-industrie avec l'affaire Thimothy Litzenburg, un des avocats ayant fait condamner Monsanto dans l'affaire Dewayne Johnson, qui a tenté d'extorquer 200Mn$ à une entreprise sous la menace de poursuites comparables à celles subies par Monsanto autour du glyphosate. Après tout, s'il avait réussi à faire condamner cette dernière, qui ne pourrait-il pas faire condamner ?

Outre l'absence de contrôle réglementaire, la sphère pseudo-écologiste est un écosystème d'une myriade d'organisations disparates. Il semble trivial d'y injecter de l'argent, surtout pour un pouvoir comme la Russie, qui a le contrôle de nombreuses entreprises. D'ailleurs elle a, à travers Gazprom, déjà financé des "ONG" écologistes allemandes. Faut-il rappeler que Greenpeace Energy vendait du gaz ? En outre, ce n'est pas "Greenpeace" qu'il faut convaincre, mais les cadres qui la dirigent qui n'ont, il faut le préciser, aucune obligation. S'il s'avère qu'ils ont été incités à désinformer, ils ne risquent, à ma connaissance, absolument rien. Leur image publique sera sans doute dégradée, mais et alors ?

Veut-on laisser à une organisation privée, dont le business model est basé sur le mensonge et l'endoctrinement de militants manipulables, le droit de décider si on a le droit ou non de pratiquer l'exploitation minière, qui est un marché de milliards (trillions ?) d'euros ?

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