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Le boom des ventes de vêtements d'occasion pourrait enrayer la crise du développement durable dans la mode
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Atlantico Green

Les ventes de seconde main sont en plein essor dans la mode : 40% des Français ont déjà acheté un vêtement d'occasion. Une bonne nouvelle, alors que ce secteur est extrêmement pollueur.

Emilie Coutant

Emilie Coutant

Emilie Coutant est sociologue, consultante en mode, médias, tendances, risques et addictions.
Docteur de l’Université Paris V, elle a soutenu une thèse intitulée “Le mâle du siècle : mutation et renaissance des masculinités. Archétypes, stéréotypes, et néotypes masculins dans les iconographies médiatiques” (2011). Fondatrice et dirigeante de la société d’études qualitatives et prospectives Tendance Sociale, elle réalise études et enquêtes sociologiques pour le compte d’entreprises ou d’institutions. Enseignante dans diverses universités et écoles de mode, elle est également Présidente du Groupe d’Etude sur la Mode (GEMode), rédactrice éditoriale des Cahiers Européens de l’Imaginaire et secrétaire du Longeville Surf Club.
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Atlantico : Si l'on additionne la revente entre particuliers, la location et le recyclage sous toutes ses formes, la seconde vie des vêtements a représenté un marché équivalent à 1 milliard d'euros en 2018 en France et le pourcentage de Français qui déclarent avoir acheté des vêtements d'occasion augmente fortement chaque année. Cette tendance est-elle une opportunité pour le secteur de réduire son empreinte carbone ?

Emilie Coutan : Oui, tout à fait. On est justement dans une période où la mode est en train de changer parce que le consommateur commence à prendre conscience que c'est le deuxième marché le plus polluant après le pétrole. Avec les réflexions sur la mode responsable, éthique, sur comment peut on aller vers des marques ayant moins d'empreinte carbone, le marché de la seconde main s'impose comme une alternative à la fast-fashion. On estime d'ailleurs que d'ici dix ans, ce marché de la seconde main va dépasser en volume le marché de la fast-fashion.

On observe que de plus en plus de marques - même de grandes maisons de couture - s'engagent un peu dans cette voie-là. Je pense par exemple à Hermès, qui a créé des ateliers de restauration un peu partout dans le monde, à Paris, à New York, à Shanghai, etc..

Il y a une révolution dans le monde de la mode qui est en marche. Elle va, à terme, dépasser le marché traditionnel de la mode que l'on connaît, et notamment toutes les modes un peu "kleenex" de fast-fashion.

N-y-a-t-il pas un risque, à l'inverse, que les applications de type Vinted incitent à consommer toujours plus, voire à spéculer sur certains vêtements ?

Oui, effectivement, mais il y a le même risque lorsqu'on organise les grandes périodes de soldes, où on achète des vêtements dont on n'a pas besoin, car on a un coup de coeur, ou on en prend un peu plus parce que c'est pas cher. On va retrouver ces mêmes risques-là avec ses applications, en se disant "tiens, c'est pas cher, je vais en acheter ; de toute façon je pourrai revendre et racheter derrière". Ceci étant, le vêtement acheté en seconde main n'a pas nécessité de nouveaux matériaux et a un impact écologique bien moindre qu'un vêtement neuf.

La solution, c'est donc de revendre ses vêtements pour en racheter de seconde main, pas pour en acheter des neufs ?

Voilà, c'est la vraie solution. On est dans un monde où on a déjà créé beaucoup trop de produits de consommation. On arrive au bout d'un cycle : on sait qu'il y a des marques qui brûlent des collections, des invendus, etc. Ils ont tout essayé : les ventes privées, les soldes, les magasins de déstockage, etc. Mais il y a toujours trop de produits. Le marché de la seconde main apparaît comme une solution idéale à cette problématique. Et puisque l'idée, c'est de revendre ses vêtements pour en racheter d'autres, de fait, on va aussi acheter beaucoup moins de vêtements de piètre qualité qui sont difficilement revendables.

Le créateur belge Dries van Noten a publié une lettre ouverte, signée par de nombreux acteurs du secteur, où il appelle à réfléchir à un nouveau modèle, plus respectueux de l'environnement, notamment en réduisant le nombre de défilés et de collections. Est ce que ça peut être une vraie réponse aussi à cette problématique?

On observe depuis longtemps que les collections présentées par les grandes maisons de production ne correspondent pas du tout aux logiques saisonnières. Autant il existe toujours ces deux grands rendez-vous traditionnels que sont les présentations des collections printemps-été et automne-hiver, mais entre les deux se sont nichées un tas de petites collections, des "collections capsules", tendance Kleenex, etc. L'offre est devenue trop pléthorique par rapport à la demande et c'est pour cela qu'on en est arrivé à devoir brûler des collections pour mettre au rebut tout ce qui a été créé en trop.

Cet appel que propose Dries van Noten est positif. C'est bien que des grands noms comme cela se positionnent en faveur d'une réflexion ouverte sur la mode de demain, qui serait plus empreinte de cette logique de développement durable, de respect de l'environnement, de réduction de la production, mais également de réflexion sur la distribution : relocaliser, réutiliser les filières textiles françaises ou européennes. Toute la chaîne doit être revue et repensée en intégrant cette thématique de développement durable et de respect de l'environnement.

C'est possible pour les grandes maisons qui sont sur des volumes plus restreints, mais qu'en est-il des géants comme H&M ?

Si on reste sur la logique actuelle, tous les empires de la fast-fashion sont voués à dépérir. S'ils n'entrent pas dans la marche actuelle, s'ils n'entrent pas dans cette course, ils vont rester sur le bas-côté car de plus en plus de consommateurs se détourneront à terme de la fast-fashion. Les consommateurs ne voudront plus connaître des épisodes comme celui de l'effondrement du Rana Plaza, ne voudront pas acheter les vêtements qui tiennent pas sur la durée, qui ont été mal produits car les gens étaient mal payés, qui ont un impact environnemental à cause du traitement du textile, etc. D'ailleurs, H&M s'y est mis un peu avec la collection Conscious, avec la récupération des vêtements anciens, etc. Ils ont déjà mis en place quelques pratiques pour aller vers le recyclage ou le surcyclage, « l'upcycling ». Je pense que s'ils ne se renouvellent pas, ils sont voués à disparaître.

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