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Entretien avec un ex-djihadiste pas comme les autres : David Vallat, des gangs islamistes de Lyon à la prévention de la radicalisation en passant par la case prison…
©Reuters

Géopolitico-scanner

David Vallat a accepté de répondre à nos questions, en ces temps où l’on parle constamment de « déradicalisation ». Il vient de fonder avec l’universitaire Amélie Myriam Chelly, un Centre d’analyse des islamismes et des radicalismes, l’AIPER, qui ambitionne d’être le premier réel instrument efficace de déradicalisation.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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David Vallat a accepté de répondre à nos questions, en ces temps où l’on parle constamment de "déradicalisation". Il était intéressant de donner la parole un quelqu’un qui sait de quoi il parle. D’autant qu’il vient de fonder avec l’universitaire Amely Myriam Chely, un Centre d’analyse des islamismes et des radicalismes, l’AIPER, qui ambitionne d’être le premier réel instrument efficace de déradicalisation, ceci après des échecs ubuesques d’associations tantôt opportunistes tantôt incompétentes qui n’ont enregistré à ce jour aucun résultat probant. Souhaitons à l’AIPER de parvenir à relever ce défi en jouant un rôle croissant au service de la sécurité de nos concitoyens qui doivent évoluer dans de sociétés multiculturelles de plus en plus multiconflictuelles…

Vallat est parti en mars 1994 en Afghanistan dans le camp de Khalden. Récupéré par les terroristes algériens et en contact avec des émirs du GIA (abou Fares, Rachid Ramda) ou avec l'idéologue palestinien Abou Qatada, réfugié à Londres, il met sur pieds une filière d'armes depuis la Bosnie jusqu'à l’Algérie. Il est alors désigné responsable du fameux groupe islamo-terroriste de "Chasse sur Rhône". Il fréquentera dans ce cadre le célèbre terroriste franco-algérien Khaled Kelkal, auteur d’une série d’attentats en 1995. Arrêté le 29 septembre 1995, Vallat purge sa peine sans victimisme ni culture de l’excuse. Libéré pour bonne conduiteen décembre 1999, fort d’une culture acquise en prison par l’obtention de diplômes et la lecture de milliers de livres, il ressortira étonnamment meilleur du pourtant terrible univers carcéral.

En 2012, c’est de son "silence radio" qu’il va sortir, notamment après les tueries de Mohamed Merah. Et en 2015, il commence même à apparaître au grand jour dans les médias. Face à l’horreur croissance du terrorisme de "troisième génération" et à la montée du phénomène Daesh qui fascine de plus en plus de jeunes en France, il décide de mettre en place "une riposte vidéo d'explication du phénomène djihadiste", en association avec le collectif du LBB, notamment après la tuerie du 13 novembre au Bataclan. En 2016, il publie un essai intitulé "Terreur de jeunesse". Il participe à la campagne "on a toujours le choix", avec le ministère de l’intérieur et "stop djihadisme" en novembre 2016. Il intervient régulièrement dans les prisons. Une nouvelle vocation de contre-radicalisation est née. Il ne s’arrêtera plus.

Alexandre Del Valle : Avec votre parcours atypique d’ancien djihadiste repenti mais qui a purgé sa peine et sans ressentiment ni culture de l’excuse, vous êtes un des rares ex-djihadistes véritablement déradicalisé. Comment avez-vous changé ? Quand ? Dans quelles conditions ?

David Vallat : On peut considérer que ma déradicalisation s'est passée en trois étapes principales : la première, c’est le traitement qui m’est réservé lors de ma garde à vue, de l’instruction de l’enquête ainsi que mon procès. Lors de ma garde à vue, en pleine vague d’attentats, après une tentative d’attentat sur le TGV Lyon-Paris, le 26 août 1995, je ne suis pas maltraité, moins encore torturé, on me fait passer une visite médicale à l’issue de la garde à vue alors que – et je l’apprendrai plus tard – deux tentatives d’attentat auront lieu durant ces quatre jours, attentats dont les revendications seront prises au sérieux car apportant des détails techniques que seuls les terroristes pouvaient connaître. Et dans ces revendications il y aura la demande de me faire libérer. Je suis donc clairement identifié comme un membre, à ce moment-là, de ce groupe qui frappent mon pays mais pour autant, je ne subirais aucun mauvais traitement.

Lors de l’instruction, la juge fera part d’une vraie objectivité, et considérera les éléments factuels me mettant hors de cause à partir du 29 juin 1995. Cette instruction se fera à charge et à décharge. La seule inéquité pénale avec tous les autres mis en examen de mon pays aura été une aggravation de la peine encourue pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste qui passera de cinq à dix ans. C’est le seul cas avéré de rétroactivité pénale de la Ve République. Mis à part ce traitement particulier, je n’ai pas eu à subir de loi scélérate.

Lors de ma détention également, j’ai pu passer des diplômes. Il s’agit là pour moi d’un premier doute dans mes convictions s’agissant de définir qui étaient mes réels adversaires. Ceux que je considérais être mes frères me faisaient passer sous le coup d’une fatwa de condamnation à mort en juillet 1995, alors que ceux que je considérais être mes adversaires me traitaient avec humanité.

Il y a eu ensuite la lecture intensive. Lors de mon incarcération l’administration pénitentiaire me signifie que je n’ai le droit d’emprunter que deux livres par semaine à la bibliothèque. Avec mon esprit retors, je déciderai d’en lire deux par jour en plus d’une lecture complète du Coran, en arabe, par mois. Au bout de quelques mois de cette lecture intensive, mes critères et ma grille de lecture du monde changeront. Je procèderai à un "reset" total de mes convictions politiques pour commencer à voir le monde de façon plus large.

La troisième chose aura été la proximité avec des détenus n’ayant pas du tout le même profil que moi. Il y avait bien quelques mises en examen pour terrorisme et appartenant aux mouvances corses, kurdes et basques. J’ai été la première promotion de mise en examen pour terrorisme en lien avec l’islamisme, issu du cru national. Cette proximité avec d’autres détenus, dont certains sont devenus des amis alors que nous étions tous dans la même galère m’a fait prendre conscience de l’ineptie de les considérer comme des "charbons de l’enfer".

Vous intervenez régulièrement dans la presse et vous avez votre propre vision de la déradicalisation. Est-elle réellement possible ?

Elle ne peut l’être à mon sens que si le sujet concerné en émet la volonté. A défaut de quoi celle-ci restera impossible. En revanche, il est possible de faciliter ou permettre les conditions qui puissent amener le sujet concerné à se poser à nouveau des questions. C’est le préalable nécessaire, le questionnement intérieur à toute réforme de son engagement. Il faut donc, pour ce faire, créer ces conditions et notamment éviter le regroupement des profils dans des unités où ils seraient tous réunis. Car l’effet de groupe primera sur les individualités. Il y a également nécessité absolue à former les agents intervenants auprès des personnes concernées de l’idéologie et de l’univers de sens qui les animent. Nous pouvons nous inspirer également des programmes à destination de nos soldats sur la gestion du stress post-traumatique. Nous savons aujourd’hui que même nos soldats, lorsqu’ils ont été en zone de guerre, ont nécessité d’une prise en charge de sorte qu’ils ne rentrent pas chez eux sans avoir évacué leurs traumatismes. Nous pouvons conclure donc que l’articulation de la déradicalisation doit se faire sur a. la connaissance de l’idéologie et de l’univers de sens des sujets concernés, b. l’évitement du regroupement de ce type de profils, c. l’application du retour d’expérience de la gestion du stress post-traumatique.

Nous n’avons peut-être pas encore la méthode dans ses détails mais nous sommes en demeure de nous atteler à la tache, car nous n’avons pas le choix. En effet, si nous considérons que l’on ne peut revenir de l’idéologie de nos adversaires, c’est qu’ils ont déjà gagné sur le plan des idées alors que c’est bien là que se joue la réussite. Sans angélisme, il faut bien considérer également que même en mettant au point une méthode (des méthodes) s’appuyant sur ces trois aspects, nous ne pourrons pas récupérer tous les profils concernés. En revanche, si nous ne le faisons pas, nous les aurons tous perdus et ce serait un terrible aveu d’échec s’agissant de nos valeurs humanistes.

Peut-on prévenir la radicalisation et si oui, n’est-il pas plus compliqué, voire impossible de déradicaliser un fanatique suicidaire coupeur de tête ?

C’est justement pour cette raison qu’il faut absolument nous pencher et mettre tous nos efforts sur la prévention. Cela devra se faire, notamment par le biais de l’éducation nationale, pour laquelle une réelle politique de prévention et la mise à disposition d’outils pédagogiques devront se faire au niveau national. Cela existe déjà pour la prévention routière, la prévention aux addictions à la drogue, à la cigarette, il faut donc que nous le fassions également sur la mise en garde auprès des plus jeunes des dangers d’un discours totalisant et tendant à considérer l’autre comme différent ou inférieur. Par exemple, on ne peut pas accepter qu’au nom d’une croyance, on puisse voir des élèves ne pas accepter de jouer avec leurs camarades. Nous en voyons les effets aujourd’hui de sorte que dans certains établissements publics des directeurs refusent de scolariser de jeunes enfants juifs car ne pouvant assurer leur sécurité. Si dans l’école de la République laïque et gratuite, il existe des enfants dont la seule faute est celle de leur Etat civil, c’est que nous sommes en face d’un terrible constat d’échec. Il faut absolument que l’école redevienne ce pour quoi elle a été conçue en 1793 par Condorcet et ses pairs, à savoir apporter à nos enfants à comprendre le monde et à en faire de futurs citoyens sans que le monde et ses travers ne viennent perturber leur scolarité.

Il est inadmissible que ce sanctuaire puisse devenir l’écho de haines confessionnelles.

Parlez-nous de votre centre sur les islamismes et les radicalismes créé par l’universitaire iranologue Amélie Myriam Chelly.

C’est une structure qui entend réussir là où les tentatives, balbutiements, hypothèses relatives à la question de radicalisation ont échoué par le passé en France, voire en Europe. D’abord, nous entendons sortir des sempiternels conflits de chapelles (arabophones contre persanophones, islamisation de la radicalité contre radicalisation de l’islam, etc.) Le centre concentre, en effet, une aptitude à appréhender les textes arabes, persans et turcs. Ensuite, nous entendons nous affranchir de deux problèmes français majeurs : a. le manque d’interdisciplinarité et b. la croyance en une méthode unique à appliquer à chaque sujet radicalisé indistinctement. Penser comprendre un phénomène par un angle unique (seulement par la sociologie ou seulement par la théologie ou la psychiatrie) relève du délirium. Mon empirisme, mes connaissances stratégiques, militaires, théologiques doivent se conjuguer avec les approches objectives, sociologiques, psychologiques, les connaissances de la postmodernité occidentale et de la modernité orientale que d’autres membres, académiques, comme le docteure Chelly, peuvent apporter. Nous sommes tous d’accord par ailleurs pour admettre qu’il doit y avoir autant de processus de déradicalisation qu’il y a d’individus radicalisés. Nous sommes dans de l’humain. L’humain, c’est l’indéterminisme et l’exception. Il faut donc du temps, des convictions, de l’honnêteté et une connaissance des mentalités où sont fomentés ces grilles de lecture idéologiques.

Nos buts ? Ce dont nous parlions : former le personnel pénitenciaire, réinvestir la prévention dans le système scolaire, former les enseignants à gérer les situations délicates et à repérer des signes d’éventuelle radicalisation. Deux d’entre nous enquêtent sur des tendances lourdes sociologiques, économiques et politiques, relevant par bien des aspects des constats d’échecs de la politique de la ville depuis trente ans. La fondatrice et moi aimons bien dire que je suis l’empirie, qu’elle est l’analyse.

Que conseilleriez-vous à nos dirigeants en matière de lutte contre le terrorisme et l’islamisme en général ?

Il est grand temps de faire le lien du continuum idéologique entre les actions violentes et leurs assises idéologiques, car toute violente que puisse être une action, celle-ci est toujours précédée de la pensée. Pensée qui, elle, s’appuie toujours sur le discours et la littérature. Il faut bien considérer qu’un individu – et je sais de quoi je parle – ne va jamais justifier de tuer et de se faire tuer sans s’appuyer sur une idéologie qui porte cette pensée. Aujourd’hui, nous savons que l’édition en français de Mein Kampf serait ouvertement une incitation à la haine antisémite pour peu que ce livre soit placé entre n’importe quelles mains. Nous avons dans la littérature islamiste de véritables bréviaires de la haine confessionnelle. Par exemple La Voie du musulman d’Abou Bakar El Djezeaïri qui est en vente libre à la FNAC. Comment pouvons-nous prétendre à la lutte contre le terrorisme et la violence religieuse islamiste si nous laissons libre cours à sa doctrine (c’est pour cette raison que nous avons besoin des chercheurs !). Ce livre est, parmi des dizaines d’autres, distribué sans la moindre censure et relayé par la plupart des imams.

Il faut arrêter de craindre également ce procès en "islamophobie" que serait de condamner l’inacceptable. Nos dirigeants ne savent pas faire la différence entre un islam spirituel stricto sensu qui a toute sa place dans notre République et un islamisme qui entend régir la cité. Exemple : enterrer un musulman en direction de la Mecque dans un cimmetière relève d’une demande que l’on peut considérer comme recevable car spirituelle alors que d’exiger des carrés musulmans relève déjà de la revendication politique. Comment pouvons-nous prétendre au vivre-ensemble si nous ne sommes pas capables d’être enterrés les uns avec les autres. Il faut bien considérer que toutes les demandes de traitement particulier des pseudo-représentants des musulmans de France s’inscrivent dans la volonté de nous imposer un mode de vie qui relève d’une culture éminemment politique. Nous avons également à considérer le salafisme pour ce qu’il est, à savoir une mouvance sectaire. Exemple : jusqu’à présent on nous a dit que les salafistes quiétistes n’étaient pas dangereux et ne représentaient pas de risque puisqu’ils se désintéressent de la politique. Sauf qu’un salafiste ne va pas voter, non pas parce qu’il ne s’intéresse pas à la politique, mais parce que, à ses yeux, le seul législateur ne peut être que Dieu lui-même et qu’en aucun cas l’homme ne peut prétendre être son propre législateur car ce faisant, il commettrait le plus grand péché qui soit. Nous pouvons donc en conclure que de ne pas aller voter est un geste éminemment politique. Il en est de même des Frères musulmans qui produisent des éléments de langage consistant à relativiser sous couvert d’un discours de spiritualité et de liberté, l’obligation du port du voile par exemple. C’est un sacré tour de force tout de même que de nous vendre qu’une prison portable relève d’une liberté de choix ! Je dis cela tout en faisant bien la différence entre le voile traditionnel que peuvent porter des femmes issues de pays musulmans et celui qui est porté en terme de revendication identitaire par des jeunes femmes nées en France.

Par ailleurs, on voudrait nous faire croire que la critique objective d’une religion serait une atteinte directe à ses adeptes avec le terme "islamophobie", alors que c’est justement la possibilité de critique objective que nous confère la liberté de conscience. Si je condamne de couper la main d’un voleur, cela relève-t-il de l’"islamophobie" ? En effet, selon les tenants de ce terme, la critique du verset qui enjoint de couper la main relèverait d’une sorte de racisme envers les musulmans alors que l’immense majorité des musulmans de ce pays serait horrifiée d’avoir à le faire ou d’y assister.

Le terrain sur lequel nous emmènent les islamistes pour nous censurer et celui de la laïcité car l’Etat n’est pas fondé à se prononcer sur l’orthodoxie d’une pratique religieuse. En revanche, le vrai terrain où nous devons reconquérir notre position vis-à-vis de cette lecture de l’islam (l’islamisme) est celui des libertés et des droits individuels et collectifs fondamentaux. Exemple : on voudrait nous faire croire que cela relève de la culture que de nous faire pratiquer l’excision alors qu’il ne s’agit de rien moins d’autre que l’ablation in vivo des parties génitales d’une femme relevant de l’atteinte à son intégrité physique, voire d’actes de torture ou de barbarie. Je précise pour les confusionnistes que cela n’a rien à voir avec la circoncision qui, elle, peut être prescrite pour des raisons sanitaires. Sans avoir fait d’études de médecine, il ne me semble pas que les parties génitales d’une femme puisse relever d’un traitement médical sanitaire.

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