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Dépendance aux ressources minières : la face cachée de la transition énergétique
©GEORGES GOBET / AFP

Atlantico Green

Un nombre croissant d'acteurs tente de d'alerter l'opinion publique et la sphère politique sur ce qui pourrait bien s'avérer l'imposture du siècle : la transition énergétique et ses déclinaisons éoliennes et solaires.

Philippe Chalmin

Philippe Chalmin

Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Master Affaires Internationales. Membre du Conseil d’Analyse Economique auprès du Premier Ministre, il est le président fondateur de CyclOpe, le principal institut de recherches européen sur les marchés des matières premières.

Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont le récent « Demain, j'ai 60 ans : Journal 2010 - 2011 ».

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Atlantico : Certaines voix dénoncent un bilan environnemental peu reluisant des énergies vertes si l'on prend en compte l'ensemble de leur cycle de vie de l'extraction au recyclage en passant par le raffinage : qu'en est-il exactement ? Quelles sont les raisons sur ce qu'on pourrait qualifier d'un aveuglement généralisé ? 

Philippe Chalmin : Sur ce point aucune énergie, qu’elle soit renouvelable ou pas, dispose d’un bilan carbone totalement neutre. Paradoxalement, celle dont le bilan carbone est le plus pur est aussi celle qui est la plus critiquée : le nucléaire. En revanche dire que dans tout le processus des énergies renouvelables il n’y pas de carbone c’est une escroquerie intellectuelle. D’autant plus que nous sommes actuellement dans les phases optimistes de la 1ere génération sur lesquelles nous n’avons pas encore fait le point sur la question de son recyclage. Se pose alors la question du recyclage des massifs de béton issus des champs d’éolienne pour ne prendre que cet exemple. Il faut savoir néanmoins raison garder. Je pense que nous aurons d’autres énergies renouvelables, aujourd’hui encore non opérationnelles, dont la biomasse qui est porteuse de nombreux espoirs. L’inconvénient est qu’elles prendront du temps à développer prendra dans un siècle ou tout doit aller très vite. En revanche, à mon sens, l’échec total de la Cop 25 c’est de ne pas être arriver à mettre un prix au carbone. Si on arrive à lui mettre un prix suffisant on verra émerger des solutions rentables. Je crois à la carotte du marché.

L'engouement en faveur des énergies vertes, très polluantes, ne vous parait-elle pas élaborer une dichotomie entre lutte contre les émissions de CO2 et protection de l'environnement ?

Le problème est l’appréhension de la transition énergétique qui est polarisée sur les seuls énergies renouvelables de 1ere et deuxième génération. Dans un premier temps nous devons travailler à nous séparer de notre source d’énergie à la fois la moins onéreuse et la plus polluante : le charbon. Annihiler le charbon est primordial. De ce point de vue la lutte se fait moins en Europe (en dehors de l’Allemagne et de la Pologne) mais largement plus en Inde et en Chine. A ce stade, on pourrait faire la jointure avec le gaz.  Globalement avoir du renouvelable est intéressant mais en complément d’un mix équilibré car ces dernières restent intermittentes. Tout du moins en attendant les « smart grids » qui optimiseront le stockage et le transport de l’électricité. Concernant les énergies renouvelables en elles-mêmes on pourrait aussi regarder ailleurs que dans le solaire et l’éolien de 1 ère 2éme génération qui restent assez polluants sur l’ensemble de leur cycle de vie. A ce titre la biomasse est bien plus porteuse. En revanche la métallurgie de terres rares, au centre de la transition énergétique, est certes très polluante mais surtout du fait des modes d’extraction de la Chine. Il faut enfin rappeler que dans le cas de la France, elle peut donner des leçons a tout le monde étant donné son faible bilan en gaz à effet de serre et en carbone grâce au nucléaire

Il apparaît qu'éoliennes, panneaux solaires et batteries sont non seulement gourmandes en métaux rares (terres rares, ect...) mais aussi en matières première (cuivre, acier...) pourtant historiquement assez stables. Peut-on craindre une criticité productive voire géopolitique intense à moyen terme sur ces minerais ? Cet enjeu est-il sciemment oublié ou bien juste méconnus par les décideurs politiques et économiques ? 

Il ne faut pas exagérer non plus. Les véritables pénuries potentielles se situent dans les métaux électriques. Ces derniers métaux sont utilisés pour les batteries dans le domaine de la mobilité. Dans les éoliennes et les panneaux solaire elle sont présente mais la rareté des terres rare, du lithium et du cobalt est due avant tout à des affaires d’investissement. Notons tout de même le cas particulier du le cobalt dont la criticité est avant tout géopolitique car la moitié des réserves et de la production provient de RDC. Il est clair que la dépendance du marché mondial vis-à-vis de la RDC, pays par essence instable, pose un vrai problème. Sans compter les modes d’extraction scandaleux (pollution, travail des enfants, ect…). Il se pose évidemment la question du cout et notamment du cout environnemental. En cela la position des Verts est très contradictoire. On ne peut pas s’opposer à un projet minier en Guyane et en même temps demander la construction de vélo électriques construits avec du cobalt de RDC. En revanche les techniques minières ont tout de même sacrément évoluées. Il y a aujourd’hui des gisements que l’on exploite alors qu’il étaient inatteignables il y a quelques années. On arrive même aujourd’hui à traiter les déchets des vieux sites.

On peut aussi compter sur l’évolution du recyclage. Là encore il faut prendre en compte l’évolution technologique. On recycle très bien aujourd’hui les vielles batteries au plomb. Rien n’empêche de penser que l’on pourra recycler les batteries composées de métaux rare et de cuivre. Il faut croire dans l’évolution des technologies. Les verts et par extension la plupart des écologistes ne croient au progrès technique. Il ne font qu’imaginer demain avec les technologies d’aujourd’hui.
Au fond notre problème pour monter une filière efficiente de recyclage des petits métaux : c’est le temps. Il faudrait que nous sachions aujourd’hui quels seront les métaux stratégiques dans 20 ans. Or on ne le sait pas et on est souvent pris au dépourvus. Par exemple personne ne s’attendait à l’explosion du prix du palladium. Du fait des contraintes environnementales, la part des flottes automobiles diesel est en forte réduction par rapport à la part des automobiles à essence qui utilisent du palladium dans la construction des pots catalytiques. C’est donc très intéressant aujourd’hui de recycler le palladium mais on n’a pas eu le temps d’anticiper l’irruption du marché.

L’eau en revanche pose un problème. Mais c’est secteur de tension historique et également ciblé géographiquement. Et la question ne se pose pas que dans le secteur minier mais aussi agricoles et urbains. Il n’en demeure pas moins que certaines régions minières vont faire face à de véritables problèmes à l’avenir tel le Chili. L’extraction de son Lithium entraine beaucoup de consommation d’eau dans un pays qui n’en pas autant pourvus que d’autres.

En définitive le principal point c’est que nous vivons dans un monde qui s’est fixé comme projet de se doter d’une économie dans laquelle on bouclerai le cycle de la matière et ou on ne prélèverai plus sur la planète. C’est tout à fait louable mais on en est très loin. Or cela entraine un véritable hiatus quand on extrait de la terre des ressources finies pour produire des solutions d’énergies dites renouvelables. En utilisant massivement des modes d’extraction qui s’appuient toujours sur des énergies fossiles (10% des émissions carbones terrestre proviennent de l’extraction de minerais…).

Y aurait-il, selon vous, d'autres pistes techniques et économiques existantes pour une transition énergétiques réaliste ? La filière nucléaire insiste, par exemple, sur le caractère décarboné, peu polluant et économe en ressources de l'atome comparé à l'ensemble des autres sources d'énergie : cela pourrait-il être un début de solution ? 

Oui emais avec quelques réserves. La filière nucléaire est la seule totalement ou a peu près décarbonée et n’utilise que très peu de minerais (uranium) qui dispose par ailleurs d’une densité énergétique extrêmes importante. Une fois qu’une centrale fonctionne elle n’émet aucun Co2 ; Dans beaucoup de pays développés le nucléaire à malheureusement atteint son nombre de croisière même si on compte une centaine de réacteurs en construction. Toutefois, on ne peut pas proposer le nucléaire dans des pays ne présentant pas la sécurité politique et technologique suffisante. On ne peut pas mettre le nucléaire dans les mains du premier venu. Dans un futur proche je ne crois pas que la part du nucléaire soit appelée à augmenter considérablement. Il faut viser un mix électrique équilibré dans lequel le renouvelable aura sa part. Et là encore, je pense que la biomasse peut être une solution à long terme même si elle n’en est pas encore à un stade économique tenable. En revanche la filière nucléaire est porteuse de nombreuses promesses, dont la fusion, et dans un futur moins lointain, la développement des réacteurs de 4eme génération qui parviendront à une régénérescence du combustible et donc la fermeture de son cycle, conférant à l’atome le statut d’énergie renouvelable.

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