De mega pompes à chaleur sous les villes pourraient-elles nous libérer de notre dépendance au gaz ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des échangeurs de chaleur à eau en cours d'installation
Des échangeurs de chaleur à eau en cours d'installation
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La guerre en Ukraine a obligé à repenser l'origine de notre énergie, l'Europe essayant de se sevrer du gaz russe. Des pompes à chaleur surdimensionnées pourraient-elles aider à chauffer des milliers de foyers et d'entreprises ?

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

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Atlantico : Alors que la guerre en Ukraine a provoqué une flambée du prix du gaz, deux projets de pompes à chaleur surdimensionnées sont en cours de construction à Londres. Quel est l’objectif de ce projet ? Est-il possible de mettre en place des projets similaires dans d’autres villes européennes ? L’installation de telles pompes à chaleur nécessitent-elles des conditions particulières ?   

Henri Prévot : Le prix du gaz avait commencé à augmenter bien avant le début de la guerre en Ukraine, lorsque l’économie mondiale a retrouvé son activité normale après la période de confinement et que la demande d’énergie a connu un rattrapage partout dans le monde. La Russie a honoré, aux prix convenus, les contrats à long terme passés avec ses clients européens mais n’a accepté de vendre davantage qu’aux prix que ses clients acceptaient de payer. Or la plupart de ses clients ne pouvaient trouver d’autres fournisseurs faute de terminaux méthaniers. Après le début de la guerre d’Ukraine, les sanctions décidées contre la Russie n’ont pas directement affecté les ventes de gaz à l’Europe. Mais les avis ne manquent pas qui conseillent aux Etats de l’Union européenne de limiter leurs achats de gaz russe puisque ceux-ci financent la guerre contre l’Ukraine. Face à cette éventualité, des achats de précaution ont exacerbé la hausse des prix. La France, qui a des terminaux méthaniers pourrait remplacer sans trop de difficulté ce gaz russe. Mais l’Allemagne et les pays de l’est de l’Union européenne ne pourraient pas s’en passer. Ces pays se sont donc opposés à l’application au secteur du gaz des sanctions imposées à la Russie et, selon toute vraisemblance, continueront de s’y opposer. C’est pourquoi, il est probable que le prix du gaz russe diminuera lorsque les stocks auront été regarnis. Quoi qu’il en soit, l’Europe s’est enfin rendu compte de la situation de vulnérabilité dans laquelle elle s’est complu malgré les alarmes qui n’ont pas manqué. Le gaz fossile, dans le monde ne manque pas. Les Etats-Unis sont tout à fait disposés à nous en vendre – en ce sens il ne leur déplairait pas que l’Union décide de ne plus en acheter à la Russie. Mais il faut pour cela se laisser le temps de construire de nouveaux terminaux méthaniers. 

D’ici là que faire ?

Pour ne pas priver l’industrie du gaz dont elle a besoin, c’est la consommation de gaz pour se chauffer qu’il faut diminuer. Abaisser la température de 1 % diminue la consommation de 7 %. C’est possible sans délai. Vu la hausse du prix du gaz, cela se fera spontanément si, du moins, la température n’est pas déjà très basse chez des ménages dont les revenus sont très faibles et qui se chauffent fort peu. 

Pour diminuer la consommation de gaz russe, une autre méthode est de le remplacer par du gaz d’origine nationale, tels que du biogaz obtenu par fermentation de biomasse, ou encore par du bois ; mais la biomasse sera très demandée pour d’autres usages : production d’électricité, de carburant et aussi, peut-être, d’hydrogène. Il y a encore la géothermie profonde, la chaleur des usines d’incinération de déchets. Mais toutes ces ressources sont limitées. Il y en a une autre, qui est très abondante : la chaleur du soleil. Elle peut être utilisée directement par des chauffe-eau solaires. Une autre méthode, très efficace, est de la puiser dans l’air, dans le sol ou dans l’eau avec des pompes à chaleur, des PAC.

Quel est l’avantage des pompes à chaleur ? Dans quelle mesure peuvent-elles combler notre dépendance au gaz et faire baisser notre facture électrique ? Quelles sont leurs limites ?   

Nous avons tous chez nous, peut-être sans l’avoir remarqué, des pompes à chaleur. Un réfrigérateur refroidit l’air à son intérieur. Il rejette donc la chaleur dans la cuisine. On peut tout donc dire qu’il réchauffe la cuisine avec de la chaleur prise dans une « source froide », l’intérieur du réfrigérateur. C’est bien ce que fait une PAC, pompe à chaleur, en prenant l’air froid non dans le réfrigérateur, mais dans l’air ou dans une eau, qui peut être l’eau d’une rivière, des eaux souterraines, ou encore dans le sol à plus ou moins grande profondeur. Dans cette PAC circule un fluide qui est parfois liquide lorsqu’il est comprimé, parfois vapeur lorsqu’il est détendu. Lorsqu’une pompe le comprime il libère de la chaleur qu’il donne à l’eau que l’on veut chauffer ; lorsque sa pression baisse et que ce fluide se vaporise, il absorbe la chaleur de l’extérieur. Pour faire fonctionner la PAC, il faut de l’électricité. La chaleur ainsi pompée est normalement très supérieure à l’énergie électrique consommée. Le rapport dépend beaucoup de la différence de température entre la source froide et la température de l’eau chauffée. Ce rapport, le COP ; coefficient de performance, est en moyenne de 3. Mais, si la température de la source froide est très basse, plusieurs degrés en dessous de zéro, la chaleur pompée n’est pas supérieure à l’énergie électrique consommée. Il faut mieux arrêter la PAC et faire passer l’électricité dans une résistance électrique qui chauffe l’eau du chauffage central. Il serait plus efficace de chauffer l’eau avec une chaudière au gaz ou au fioul. C’est ainsi que certaines PAC sont hybrides. Si l’on dispose d’une chaudière au fioul qui fonctionne, au lieu de la remplacer par une PAC, il peut être plus intéressant d’ajouter la PAC à la chaudière ; on dispose alors d’une installation très efficace et très sûre.

La PAC peut chauffer l’eau d’un logement individuel ou l’eau du chauffage collectif d’un immeuble. Alors, la source froide est généralement l’air ambiant. La PAC peut aussi chauffer l’eau d’un réseau de chauffage urbain. Comme le COP dépend beaucoup de la température de la source froide, la chaufferie sera située à un endroit où elle pourra se brancher sur une « source froide » qui n’est jamais trop froide : l’eau d’une rivière, des eaux d’égout, des eaux souterraines. Il est également possible de chauffer modérément l’eau du réseau de chaleur avec une chaufferie au bois ou avec la chaleur d’une usine d’incinération des ordures ou encore du gaz fossile ou, plus tard du biogaz, et de rehausser la température de cette eau avec des pompes à chaleur situées dans les lieux à chauffer. Le COP de ces PAC pourra alors être de 5 ou 6.

Les réseaux de chaleur peuvent utiliser toutes sortes d’énergie ; les PAC sont des outils merveilleux si la source froide n’est pas trop froide. L’association des deux permet de multiples combinaisons.

Ces PAC qui prennent la chaleur dans l’air ou dans l’eau et qui l’injectent dans l’eau d’un chauffage central sont des PAC air eau ou eau-eau. Il existe aussi des PAC air-air. Elles peuvent être utiles pour remplacer des convecteurs électriques car elles n’ont pas besoin du circuit d’eau d’un chauffage central. Elles divisent la consommation d’électricité d’un facteur égal à leur COP.

Les ventes de pompes à chaleur ont augmenté de 28 % en Allemagne en 2021 et de 60 % en Pologne. Les autorités devraient-elle mettre en place des incitations afin de promouvoir les pompes à chaleur chez les particuliers et les entreprises ?  

Les PACs sont un excellent moyen pour s’affranchir du besoin de gaz. Il n’est pas surprenant que les ventes explosent. En France, en trois ans elles ont été multipliées par près de 3 : 100 000 en 2018 ; 267 000 en 2021. Il est difficile de prévoir l’évolution des prix du fioul et du gaz. S’il faut remplacer sa chaudière au fioul ou au gaz, la PAC est une bonne solution. Si cette chaudière est en bon état de fonctionnement, le moment n’est pas loin – il est peut-être déjà dépassé - où l’installation d’une PAC à la place ou à côté de la chaudière permettra de diminuer les dépenses de chauffage. Nul besoin, donc, d’une subvention ; pour aider le financement il serait plus efficace de faire un prêt dont l’annuité de remboursement ne dépasse pas ce qui aurait été dépensé en conservant l’ancien chauffage. Cela n’empêche pas, évidemment, de verser une aide au titre de la solidarité nationale à ceux dont le revenu est faible et qui souffrent de « précarité énergétique ».

L’efficacité des PAC est telle qu’il faut s’interroger sur le bon degré d’isolation thermique des bâtiments. Une isolation thermique parfaite, telle que la demande l’actuelle « stratégie nationale bas carbone » SNBC, et telle que la réclamait la « conférence des citoyens », décidément bien mal informée, conduirait à des dépenses totales d’économie et de consommation d’énergie très supérieures à ce qu’elles sont avec une isolation thermique raisonnée (le mettant en classe D du diagnostic de performance énergétique) et une PAC individuelle ou collective. Il faudra revoir profondément cette SNBC.

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