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Crise d'identité : la Suède en pointe, la France modérée… et autres surprises révélées par la mesure de la hausse du sentiment national en Europe
©Reuters

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Souvent accusée de trop mettre en avant son identité, la France présente pourtant un sentiment national "modéré" selon un sondage réalisé par l'institut américain Pew Research Center. De leurs côtés, la Suède (sentiment national faible) et la Hongrie (sentiment national fort), se situent aux extrêmes en termes de sentiment national en Europe. Des différences qui s'expliquent en partie par l'histoire de l'immigration récente qui n'est pas la même dans chacun des pays européens.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Dans un sondage publié par le Pew Research Center relatif au sentiment d'identité nationale des pays européens, la France apparaît "modérée" sur cette question, comparée à ses voisins. Pourtant, notre pays est régulièrement accusé de mettre trop en avant son identité. Comment expliquer ce paradoxe ?

Eric Deschavanne : La montée du Front national et le débat sur le foulard islamique ont largement contribué, depuis trois décennies, à faire passer la France (à l'intérieur comme à l'extérieur) pour une nation confrontée à un problème de "crispation identitaire". Je n'ai pour ma part jamais cru à ce discours. La France et le Royaume-Uni, dont le rapport à l'identité, à l'immigration et à l'islam apparaît dans cette enquête assez semblable, sont de vieilles nations sûres d'elles-mêmes, qui entretiennent de longue date une relation avec l'islam, et qui intègrent l'une et l'autre une population musulmane importante. Cette forte et ancienne présence musulmane  a pour conséquence de faire de ces pays le laboratoire où s'élaborent les réponses au conflit qui s'installe en Europe entre les valeurs de la civilisation européenne et le fondamentalisme musulman dont la poussée est manifeste dans l'ensemble du monde musulman (et donc aussi partout où il y a  une présence musulmane massive).

Dans le coeur de l'Europe des Lumières – La France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas – cet islam identitaire et agressif suscite des réactions de rejet sans globalement provoquer, contrairement à ce qui est parfois affirmé, de "panique morale". Il me semble en effet, et cette enquête le confirme, qu'on a affaire à des nations dont l'identité est assez forte pour que la réaction face aux problèmes posés par l'immigration et par l'islamisme demeure modérée et relativement sereine. Je note que dans cette enquête il apparaît que l'opinion négative à l'égard des musulmans (50% contre 29%), comme à l'égard des juifs (21% contre 10%), est par exemple beaucoup plus importante en Espagne qu'en France. L'enracinement du Front national en France et la remarquable absence d'un parti populiste d'extrême-droite en Espagne n'ont donc, contrairement à ce qui est souvent affirmé, rien à voir avec le degré de racisme supposé des deux sociétés.

La Hongrie (sentiment national fort) et la Suède (sentiment national faible) se situent aux extrêmes en termes de sentiment d'identité nationale en Europe Quels sont les éléments historiques, tant récents que plus anciens, qui justifient de telles différences au sein de l'Union ? Et que dire de la France ? 

L'Union européenne n'est pas historiquement et culturellement homogène, ce n'est pas un scoop. Le sentiment national fort qu'on observe en Hongrie et en Pologne peut sans doute s'expliquer par le fait qu'on a affaire à des nations qui viennent tout juste de se libérer de la tutelle impériale, et qui par ailleurs ne se sont pas encore totalement appropriés la culture humaniste laïque (la "sécularisation" qui conduit à la privatisation ou à l'effacement du rapport à Dieu) et libérale qui caractérise l'Europe de l'Ouest, et en particulier les nations qui constituent l'épicentre de la civilisation des Lumières.

On retrouve le deuxième élément très présent en Grèce, par exemple, où le fait d'être chrétien est plus qu'ailleurs considéré comme un facteur identitaire exclusif. Les pays nordiques me paraissent constituer un bloc à l'identité assez particulière et paradoxale : ce sont des pays à l'identité culturelle forte et homogène, caractérisés par une discipline sociale puissante mise au service de la liberté individuelle. Vis-à-vis de l'immigration, et notamment de l'immigration musulmane, récente dans ces pays, cette caractéristique se traduit par l'ouverture, la tolérance et la générosité (et même, en Suède, par une "bien-pensance" puissance mille), mais avec des difficultés d'intégration (patentes en Suède comme au Danemark) qui peuvent à terme provoquer un basculement vers une forme d'intolérance (déjà clairement perceptible au Danemark).

Alors que la Suède est de plus en plus en demande d'une identité nationale claire, peut-on légitimement penser que l'ensemble de l'Europe glisse peu à peu vers un certain nationalisme ? Au regard des tendances actuelles, peut-on présager d'un développement plus fort du sentiment d'identité nationale sur le territoire français ?

Je ne crois pas du tout que la Hongrie incarne la vérité du destin européen, ni que le nationalisme ethnique soit l'avenir des nations européennes. Celles-ci ont une identité forte et sont porteuses d'une identité civilisationnelle qui rayonne au niveau mondial et dont l'avenir me paraît plus assuré que celui de la civilisation musulmane, en réalité victime d'un retard historique qu'elle parvient difficilement à combler. Chacune des grandes nations européennes est aujourd'hui confrontée au choc de l'islamisme (qui n'est pas l'islam, mais la "maladie de l'islam", dont celui-ci finira bien par guérir), et aux problèmes d'intégration liés à la différence culturelle que pose l'immigration extra-européenne. L'effet en retour de ce choc est une prise de conscience de l'identité culturelle, qui se traduit par des formes de réaffirmation identitaire et de patriotisme qui peuvent être diverses, les unes exclusives et ethniques, les autres plus ouvertes à la diversité d'origines et de religions.

Chaque nation essaie de résoudre le problème à partir de son propre modèle. Il manque toutefois une prise de conscience qui pourrait conduire à un renforcement de l'union européenne plutôt qu'à sa dislocation sous l'effet du regain de nationalisme : le problème général, partout le même, est celui de l'assimilation des valeurs de la civilisation européenne par des populations d'origne extra-européenne. Pour les nations où cette immigration - et en particulier la présence de l'islam – demeure faible, l'affirmation identitaire peut certes prendre la forme d'un nationalisme ethnique exclusif : ces nations se situent toutefois à la périphérie de la civilisation européenne moderne. Pour les grandes nations, la question n'est pas essentiellement celle de la tolérance ou du rejet de l'immigration musulmane. L'implantation de l'islam et l'assimilation d'une majorité de musulmans est une donnée irréversible. Le problème est celui de la lutte contre l'islamisme (dans ses différentes variantes, plus ou moins radicales) au sein de l'espace européen.

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