Victoire de Lisnard, trou d’air de Zemmour : LR retrouve un (petit) peu d'oxygène<!-- --> | Atlantico.fr
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David Lisnard lors du 103e Congrès des maires et intercommunales de France à Paris, le 17 novembre 2021.
David Lisnard lors du 103e Congrès des maires et intercommunales de France à Paris, le 17 novembre 2021.
©Ludovic MARIN / AFP

Après l'élection de David Lisnard à la tête de l'Association des Maires de France et la perte de vitesse du polémiste, LR peuvent-ils espérer une percée dans la course à la présidentielle ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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La victoire de David Lisnard, devenu premier maire de France, est-elle une bonne nouvelle pour Les Républicains ? LR peut-il espérer occuper une meilleure place sur la scène politique et capitaliser sur cette victoire ?

Chistophe Boutin: La victoire de David Lisnard est effectivement une bonne nouvelle pour les Républicains, puisqu'elle leur permet de conforter leur image de parti bien implanté dans les collectivités locales - ce que d'ailleurs les dernières élections avaient effectivement confirmé. Au moment où les Français doutent parfois de la politique nationale, et ont tendance, au milieu des crises que nous connaissons, à se tourner vers les élus locaux, il n'est donc pas indifférent que ce soit un LR, David Lisnard, qui capitalise sur cette image de confiance. 

Pour autant, l'une des questions est sans doute de savoir si c'est le candidat LR à la présidence des Maires de France qui a été élu par ses pairs, ou si c'est cet élu LR particulier qu'est David Lisnard qui a été choisi, et il est permis de penser que la seconde proposition est sans doute la plus crédible. 

Qu’apprécient en effet les maires de France chez lui ? D'abord qu’il connaît bien l'association, qu’il sait son poids, et qu'il sera sans doute capable de la mener de manière cohérente. Ensuite, qu’il ne soit pas – pas encore -  un « baron » national des républicains, et qu’il ait privilégié des mandats locaux, finement choisis – ainsi en est-il de la présidence du conseil régional du tourisme de la Côte d'Azur, énorme réseau – par rapport à un mandat national auquel il aurait sans doute pu prétendre. Il préfère des postes-clefs de gestion locale aux jeux de pouvoir parisiens, et au lieu de se lancer dans la course à la présidentielle comme certains l’y poussaient, a au contraire préféré la présidence de cette association. 

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Ses qualités mêmes de maire séduisent les élus locaux. Reviennent d’abord de manière générale, quand on évoque son parcours, ses qualités de gestionnaire, ce qui, alors que la crise économique pourrait porter de rudes coups aux finances locales, est sans doute important. Mais on parle aussi beaucoup, en résonance avec la tonalité prise par la campagne présidentielle, de la manière dont il a su lutter contre les « incivilités », ou « l'incivisme », pour reprendre le titre de son ouvrage, et maintenir la sécurité publique dans une ville, Cannes, qui, pas plus que d'autres villes françaises, du Midi ou d'ailleurs, ne bénéficie d'une situation privilégiée en la matière.

Élu enraciné dans les institutions locales, Lisnard prend pourtant date pour d’autres combats : s'il a rejoint en 2018 le mouvement de Valérie Pécresse, il annonçait en juin 2021 le lancement d’Une nouvelle énergie, montrant ainsi qu'il compte bien disposer, au sein des Républicains, de sa propre écurie. Il sera d'ailleurs intéressant de voir quelle sera sa place auprès du candidat LR après le 4 décembre - rappelons qu'il avait été l’un des porte-paroles de François Fillon dans la campagne de 2017. Car c'est sans doute la véritable capitalisation que peut faire LR, que de bénéficier de l'image de David Lisnard.

Après des semaines de montées dans les sondages, Eric Zemmour baisse et Marine Le Pen remonte. Cela peut-il créer un appel d’air pour LR ?

Rappelons avant tout quelques-uns des paramètres du moment. Premier élément, pour l'instant, les sondages effectués ne parlent que de peu de candidats à droite : seule Marine Le Pen l’est, mais pour ce qui est des Républicains nous ne savons pas encore quel nom va sortir du chapeau, et Éric Zemmour n'est toujours pas un candidat officiellement déclaré. Deuxième élément, les écarts sont relativement faibles, notamment entre Éric Zemmour et Marine Le Pen, et l’on est très proche de la marge d'erreur des sondages. En ce sens, tirer des conclusions définitives de ces changements ne repose pas sur une base d’analyse acceptable : il faut savoir réserver l’usage de la boule de cristal aux voyantes.

Ensuite, la question  que vous posez est en fait double. Elle consiste d’abord à se demander pourquoi Éric Zemmour connaîtrait une baisse et, ensuite, si cette baisse éventuelle profiterait à LR.

Pourquoi Éric Zemmour connaîtrait-il cette baisse ? On peut l’estimer logique à ce stade de sa campagne. Après le coup de tonnerre de son apparition dans le paysage politique, après l’effet d’entrainement de ses déclarations, qui ont bousculé le discours convenu habituel au point que, dans les deux derniers mois, tout ou presque s'est organisé autour d’elles, soit pour s'y opposer bruyamment, soit pour, tout en les dénonçant, tenter d'en reprendre l'essentiel, cette surprise joue moins. Il faudra donc attendre l'éventuelle déclaration de candidature et la présentation d'une équipe et d'un programme pour savoir si un nouvel élan peut être donné à cette campagne. 

Une seconde explication tient peut-être à la forme et au fond de ses récentes déclarations. La forme : là où il avait tendance à user d'humour et d'une certaine distance, on peut le trouver plus abrupt. C’est bien compréhensible vu la tension de la campagne, mais cela peut écarter certains électeurs en le rendant trop « clivant ». Comme peuvent aussi en écarter certaines de ses récentes déclarations touchant à l'économie, hésitant entre cette approche française d’un libéralisme mâtiné d’étatisme présente dans ses ouvrages et une vision plus anglo-saxonne. Ce peuvent être ici des éléments d'explication, mais avec toutes les réserves que j'ai exprimées sur les chiffres des sondages.

En tout cas, cela ne crée pas spécialement cet appel d'air pour les Républicains que vous évoquez puisque, à la limite, l'évolution du discours de Zemmour, si elle existe bien, aurait plutôt tendance à le rapprocher de celui tenu chez LR - et par exemple, puisque nous en parlions, de celui d’un David Lisnard, en lutte contre la bureaucratie et qui réclame fréquemment des coupes dans la fonction publique. La concurrence existerait donc sur le même segment électoral, mais il n’y pas aujourd’hui d’effondrement d’Éric Zemmour, ni de programme clair d’un candidat désigné LR, qui provoqueraient l’appel d’air.

La campagne présidentielle étant une course de fond, le candidat choisi par LR devra-t-il assumer une ligne et un récit clair pour arriver à convaincre les électeurs partis chez Zemmour et Le Pen ? Étant donné les différents retournements de veste des candidats, sont-ils capables de cela ?

Si, comme vous le dites, l'élection présidentielle est une course de fond, avec ce décalage dans le temps au 4 décembre pour la nomination de leur poulain, et plus loin encore pour une équipe et un programme, les Républicains sont, au mieux, dans le demi-fond. Pour le reste, votre question est celle de la crédibilité et presque de la légitimité que peuvent avoir tel ou tel homme politique à défendre un programme ou des idées. 

Ce programme présidentiel que l'on voit actuellement formulé par petites touches au fil des débats organisés par les Républicains – du moins pour ceux qui y assistent, car les taux d'audience restent bien modérés - va de toute manière devoir être clarifié. Sur les questions comme celle de l’insécurité, de l'immigration, de l'identité, il faudra bien présenter des éléments, et ce avec un double risque. Le premier est celui d'être alors accusé par LREM et la gauche de « faire du Zemmour » ou de « zemmourisation » - puisque l’on fait maintenant jouer à Éric Zemmour le rôle que tenait avant lui Jean-Marie Le Pen – ne parlait-on pas alors de « lepenisation des esprits » ?  Certains LR sont-ils capables de supporter d’être ainsi mis au pilori médiatique ?

Mais le second risque, celui que vous signalez, sera de paraître peu crédible auprès des électeurs au regard de ce qui a pu être fait dans les 20 ou 30 dernières années. Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse ont ainsi été à de hautes fonctions politiques nationales, et exercent encore de hautes fonctions politiques locales, et il sera facile de  comparer non seulement leurs discours, mais aussi leurs choix, au futur programme qu’ils pourraient avoir à défendre. Libre alors à chacun d’en tirer ses propres conclusions au moment du vote. Reste que, sur ce point, l’observateur politique est autant surpris des capacités d’oubli des électeurs que de la manière dont, au contraire, ils peuvent se focaliser sur un mot ou une formule. Bien malin donc celui qui peut dire si le futur candidat LR sera ou non jugé sincère quand il présentera son programme. Là encore défions-nous de la boule de cristal…

150.000 adhérents sont inscrits, et les débats s’organisent et redonnent de l’espace médiatique à LR. Pour autant, dans quel état se trouve le parti actuellement ?

Christian Jacob se félicite à juste titre, et on le comprend, de ces nouvelles adhésions de militants qui décident de participer au choix du candidat LR. Pour un parti atone depuis 2017, même si, rappelons-le, il a su bien faire jouer ses élus aux élections locales, pour un parti devenu et tout cas clairement un parti de cadres, un parti d’élus, bien éloigné de l’approche gaullienne du rassemblement, ce peut être un nouvel élan.

Mais pour transformer l’essai, il va falloir un jour ou l’autre sortir de l’ambiguïté en termes de doctrine et/ou de programme, sortir de l’approche chiraquienne du parti « de droite et du centre », ce qui n’existe pas. Et cela n'existe pas parce que, sur la question de la souveraineté de la France et de sa place par rapport à l’Union européenne, sur celle du rôle de l'État, y compris dans l’économie, ou sur les questions sociétales, il n'y a pas actuellement d'accord entre ce qu'on peut appeler en France la droite et le centre. Le seul accord qui semble exister, un même intérêt économique d’une classe sociale, devenu trop visible, ne saurait plus fédérer que ceux, de moins en moins nombreux dans notre pays, qui ont plus à perdre qu’à gagner en en terminant avec le statu quo et son absence de choix, ou qui sont trop frileux pour envisager le moindre changement.

C’est pourquoi, après les élections de 2022, et quel que soit leur résultat, y compris pourquoi pas en cas de victoire, les Républicains devront clarifier leur doctrine et sans doute renouveler quelques têtes. Leur vraie question sera alors de savoir comment partir de la base et non du sommet pour se réformer, et comment permettre à leurs élus locaux et à leurs nouveaux adhérents de contribuer à rebâtir un parti national. On comprend que certains, prudents, ne se montrent guère actuellement, soucieux de préserver leur image pour pouvoir contribuer à cette refondation qui ne pourra pas ne pas avoir lieu.

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