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Le robot humanoïde Engineered Arts Ameca doté d'une intelligence artificielle, lors du Consumer Electronics Show (CES) le 5 janvier 2022 à Las Vegas.
Le robot humanoïde Engineered Arts Ameca doté d'une intelligence artificielle, lors du Consumer Electronics Show (CES) le 5 janvier 2022 à Las Vegas.
©PATRICK T. FALLON / AFP

Et une semaine de 4 jours ?

Selon Christopher Pissarides, lauréat du prix Nobel d'économie en 2010, la révolution de l'intelligence artificielle ouvre la voie à une semaine de travail de quatre jours en donnant un coup de fouet à la productivité pour des pans entiers d'emplois.

Salima Benhamou

Salima Benhamou

Salima Benhamou (PhD) est économiste à France Stratégie au département Travail, Emploi, Compétences. Ses domaines d'expertise portent sur l’avenir du travail, l’intelligence artificielle, les enjeux liés aux transformations des organisations du travail sur les compétences, la qualité du travail, le management et l’innovation. Salima Benhamou est aussi experte sur la gouvernance des entreprises, la participation des salariés et la responsabilité sociale des entreprise.

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Atlantico : Cela fait des mois, sinon des années, que l'IA se veut révolutionnaire dans tous les secteurs économiques. Son impact se ressent aussi sur le monde du travail et l'évolution de ce dernier. Est-ce que l'on pourrait imaginer travailler moins grâce aux intelligences artificielles ? 

Salima Benhamou : Aujourd'hui, nous ne savons pas combien d'emplois sont actuellement impactés par l'intelligence artificielle, ni combien d'emplois seront détruits ou créés à l'avenir. Aucune étude ne peut quantifier rigoureusement l'impact de l'IA sur le niveau d'emploi, principalement en raison du manque de données à grande échelle permettant d'évaluer comment les entreprises ajustent leurs besoins de main-d'œuvre après l'introduction de l'IA. Bien que l'IA soit souvent mentionnée, elle n'est pas largement déployée dans les structures administratives et les entreprises. Il y a très peu d'entreprises qui ont développé l'IA à grande échelle, ce qui limite son impact à certains secteurs d'activité. J'ai observé cela en interrogeant des entreprises. Cependant, il existe des études de terrain dans des secteurs tels que l'industrie automobile et l'industrie en général, où des systèmes d'IA ont été déployés avec succès, permettant d'évaluer leurs impacts sur le travail et les conditions de travail. Des expérimentations ont également lieu dans les domaines de la logistique, de la banque (notamment avec les chatbots), du conseil, des assurances et du domaine juridique. Malheureusement, il n'y a pas suffisamment d'échantillons représentatifs dans ces études économiques, car il faut la participation de nombreuses entreprises. Par conséquent, nous ne pouvons actuellement analyser en détail l'impact de l'IA que dans les entreprises qui l'ont vraiment déployée et qui ont dépassé le stade pilote. Il est important de noter que la mise en place de l'IA peut prendre du temps, parfois jusqu'à un an d'expérimentation avant le déploiement réel dans une entreprise. Cela complique encore plus la collecte de données fiables à partir d'enquêtes, car les réponses peuvent varier au fil du temps. En résumé, il est difficile, du moins pour le moment, de tirer des conclusions solides sur l'impact de l'IA sur l'emploi à partir d'un point de vue économique.

Les ingénieurs et les data scientists, par exemple, comme ceux qui ont participé à l'étude d'Osborne, tentent d'anticiper ou d'évaluer le risque d'automatisation des emplois en se basant sur le potentiel de l'IA. Ils identifient des tâches complexes, moins complexes, celles qui nécessitent ou non une intervention humaine, ainsi que les tâches quotidiennes très standardisées. Ils déterminent ainsi quelles tâches sont automatisables ou non, et à partir de là, évaluent le ratio d'emplois au niveau agrégé. Par exemple, les métiers d'aide-soignant sont considérés comme non automatisables en raison de leur importance humaine, tandis que les métiers composés de tâches hautement standardisées et codifiables, tels que ceux liés à la classification des anomalies, présentent un fort potentiel d'automatisation. Cependant, toutes ces évaluations sont basées sur des suppositions et ne prennent pas en compte un facteur essentiel : les modalités de déploiement de l'IA au sein des entreprises. Ces modalités comprennent le coût financier, l'adéquation des compétences et le calibrage précis de la machine, ce qui nécessite du temps. En réalité, la complexité de ces facteurs n'est pas pleinement prise en compte dans les études actuelles. Ainsi, des études de terrain sont actuellement menées par des chercheurs en France stratégie et à l'étranger pour mieux comprendre comment l'IA transforme le travail. Cela permet de répondre à la question de savoir comment le travail sera transformé, un aspect que nous avions déjà anticipé dans notre rapport de 2018 et qui se confirme aujourd'hui dans la réalité.

Quels seront les secteurs sur lesquels les IA auront un impact ?

Alors, bien que l'étude n'ait pas encore été publiée, il est déjà reconnu que l'intelligence artificielle (IA) est très performante pour les tâches répétitives et peut apprendre à partir de tâches standardisées ou de connaissances passées. Ainsi, elle peut traiter un volume considérable de données et prendre en charge des tâches répétitives ou complexes, telles que la détection de fraudes ou la compréhension de contrats en droit. Cela est rendu possible grâce aux processus d'apprentissage routinier qui sont répétitifs et relativement simples. Cependant, l'IA est limitée dans sa capacité à effectuer plusieurs tâches simultanément, les systèmes actuels étant sont conçus pour accomplir une tâche spécifique à la fois. Par exemple, des développements d'IA ont été réalisés dans le domaine de la santé pour optimiser les flux logistiques dans les entrepôts de préparation de commandes, mais ils ne peuvent pas poser de diagnostics médicaux. Un autre exemple concerne les systèmes d'IA visant à améliorer la détection de tumeurs en oncologie. Ils peuvent identifier certains types de tumeurs, mais il est important de noter que les patients réels peuvent présenter des pathologies complexes et chroniques, nécessitant une interaction avec divers professionnels de la santé pour établir des protocoles de traitement personnalisés. La machine modélise des patients standards, tandis que les médecins doivent s'adapter aux spécificités de chaque patient. Il est également essentiel de souligner que les pathologies chroniques complexes sont en augmentation en raison des facteurs épidémiologiques et démographiques, tels que le vieillissement de la population. Dans certains cas, l'IA peut être utilisée pour faciliter la détection de certaines anomalies, comme les fractures en imagerie médicale ou les soudures défectueuses dans l'industrie automobile. Cependant, ces applications sont généralement spécifiques et ne représentent qu'une fraction des tâches et des interactions humaines qui sont nécessaires dans ces domaines. L'IA est principalement utilisée pour optimiser les processus de production, la qualité des services, la résolution de problèmes, mais elle ne peut pas remplacer totalement l'humain.

Il est possible de se débarrasser des tâches fastidieuses, répétitives et optimisées afin de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée. Cependant, il faut prendre en compte que simplement éliminer ces tâches routinières et passer à des tâches plus enrichissantes et à plus forte valeur ajoutée ne garantit pas nécessairement une réallocation efficace des tâches. Peu importe le secteur ou le métier, si vous augmentez simplement le volume de travail et effectuez uniquement des tâches complexes, cela ne change rien en termes de répartition des tâches. Si vous faites davantage de volume ou de contrats en tant que juriste, cela ne modifie pas l'équation. Par conséquent, il est important de raisonner en termes de volume constant. Par exemple, si une entreprise constate qu'en se débarrassant de certaines tâches répétitives, elle gagne du temps et améliore le confort de travail, cela peut être un levier pour envisager une transition vers une semaine de travail de quatre jours. Cependant, il est crucial de souligner que toutes ces considérations restent purement théoriques et doivent être étudiées de manière approfondie pour être mises en pratique.

La semaine de 4 jours est aussi au centre des débats et plusieurs entreprises l'ont déjà adoptée. Est-ce que les nouvelles technologies autour de l'IA pourraient permettre à atteindre de but ? Serait-ce bénéfique (productivité, bénéfices, bien être des salariés, etc...) ?

Il serait logique, à volume constant, de mieux optimiser le temps et de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Si le temps libéré n'est pas réalloué à d'autres tâches mais permet plutôt de réduire le nombre d'heures de travail, cela peut être envisageable. Cependant, il est important d'exercer une certaine prudence et d'être un peu sceptique à ce sujet. Lorsqu'une entreprise met en place l'intelligence artificielle, son objectif principal est d'optimiser les processus de production, et non de faciliter la transition vers une semaine de travail de quatre jours. Par conséquent, cela concerne un nombre limité d'entreprises. De plus, il faut également prendre en compte les secteurs spécifiques où la main-d'œuvre intérimaire est utilisée en raison de problèmes de pénurie de personnel et d'attractivité de l'emploi. L'intelligence artificielle peut contribuer à améliorer les processus et à réduire le recours à la main-d'œuvre intérimaire. Cependant, ces considérations s'appliquent uniquement à certains secteurs et n'affectent pas le niveau d'emploi dans d'autres secteurs. Avant de mettre en œuvre de tels changements, il est nécessaire de bien comprendre la situation de chaque entreprise, ses besoins en matière d'intelligence artificielle et si cela répond réellement à un besoin spécifique. Certaines entreprises peuvent utiliser l'intelligence artificielle pour améliorer leurs processus, alléger la charge mentale des employés et améliorer l'organisation du temps de travail sans avoir besoin de cette technologie. Il existe souvent des problèmes de perte de temps, de réunionite, de communication et de délégation dans de nombreuses entreprises, qui peuvent être résolus sans recourir à l'intelligence artificielle. Un exemple pertinent est l'entreprise Top Achat dans le secteur informatique, qui a mis en place une semaine de travail de quatre jours pour améliorer la qualité de vie au travail de ses employés. Cependant, il convient de souligner que chaque cas est unique et que les résultats peuvent varier. Il y a des entreprises qui ont réussi à promouvoir la semaine de travail de quatre jours avec succès, mais cela dépend des circonstances spécifiques de chaque entreprise. Certaines municipalités, comme la métropole de Lyon, envisagent également d'expérimenter la semaine de travail de quatre jours en se basant sur les expériences menées dans d'autres pays tels que l'Espagne et la Finlande, ainsi que dans les pays d'Europe du Nord. En résumé, il n'est pas nécessaire de généraliser, mais il est important d'analyser attentivement chaque situation pour déterminer si l'utilisation de l'intelligence artificielle peut contribuer à la réduction du temps de travail ou à l'optimisation des processus de production.

Finalement est ce que le salarié serait gagnant ? Est-ce que travailler moins n'entraînerait pas des baisses de salaires ou d'embauches ?

Eh bien, cela dépend de la manière dont on utilise l'intelligence artificielle, mais si elle est utilisée de manière utile, elle peut alléger la charge de travail et la charge mentale, permettant ainsi de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Cela signifie se débarrasser des tâches qui ne correspondent pas réellement au métier principal, comme les tâches administratives. On peut alors se concentrer sur des tâches plus complexes et enrichissantes, ce qui améliore la qualité du travail. De plus, travailler avec une aide comme l'IA permet également d'apprendre de nouvelles choses, car on peut l'alimenter en informations et elle peut suggérer des idées. Ainsi, cela permet d'améliorer les compétences et les conditions de travail de manière vertueuse entre les machines et les humains.

Cependant, il y a aussi des risques liés à l'utilisation de l'IA. Par exemple, si l'on se concentre uniquement sur des tâches très complexes mais à forte valeur ajoutée, il peut y avoir un risque d'épuisement cognitif, également appelé "burnout cognitif". Cela peut se produire si le cerveau n'a pas de pauses pour effectuer des tâches moins complexes et moins exigeantes. La répartition des tâches et la gestion du temps libéré sont donc fondamentales.

Il existe également d'autres risques liés à l'IA, mais ils varient selon les cas. Dans certains métiers, l'utilisation de l'IA ne change absolument rien aux tâches effectuées. Cela peut sécuriser et offrir plus d'autonomie, mais cela ne modifie pas les tâches en elles-mêmes. Cependant, pour des postes de supervision ou de planification, l'IA peut permettre une meilleure planification et anticipation des besoins.

Il est donc important de sortir des généralités et de prendre en compte les spécificités des secteurs, des métiers et des tâches. Les réticences liées à l'utilisation de l'IA peuvent être levées grâce à une approche progressive, à des expérimentations et à un travail de pédagogie. Les entreprises qui utilisent l'IA prennent généralement le temps de déployer ces technologies, travaillent avec les développeurs et mettent en place une conduite du changement adaptée. Il est essentiel de regarder les résultats concrets observés plutôt que de se laisser influencer par les discours alarmistes.

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