Valls, l’homme qui voulait réformer... mais à quoi rime de le marteler de sa main droite quand sa main gauche cède sur tout en silence ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Manuel Valls réaffirme vouloir enclencher une dynamique de réformes en France.
Manuel Valls réaffirme vouloir enclencher une dynamique de réformes en France.
©Reuters

Communicator

Dans un entretien accordé le 2 juillet au quotidien Les Echos, Manuel Valls réaffirme vouloir enclencher une dynamique de réformes en France. Une déclaration qui laisse perplexe quant on sait que le Premier ministre a cédé sur la plupart de celles déjà engagées.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »
Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Atlantico : Bien qu'il affirme vouloir poursuivre les réformes, Manuel Valls annonce dans la foulée qu'il devra "reprendre les projets de décrets sur le compte de pénibilité" alors que le pacte de Responsabilité a déjà connu son lot de reculades. Peut-on concrètement qualifier l'actuel locataire de Matignon de "réformateur" actuellement ?

Eric Verhaeghe : Il me semble qu'un réformateur n'est pas un homme qui réforme pour le plaisir de réformer, mais un homme qui est capable de faire passer les réformes dont le pays a besoin. Cela suppose de savoir quelles sont les réformes nécessaires. Voilà donc beaucoup de conditions pour répondre à votre question. Sur tous ces points, Manuel Valls n'a probablement pas donné tout ce qu'il pouvait donner, en partie parce qu'il hérite d'une situation complexe. Néanmoins, on peut quand même déjà déceler un goût consommé pour la communication, qui laisse perplexe sur la capacité effective de l'homme à changer le cours des choses.

Par exemple, Manuel Valls a annoncé un gel du salaire des fonctionnaires, mais il a validé des mesures pour les fonctionnaires les moins bien payés. Il a d'ailleurs fait la même chose sur le gel des prestations sociales: les retraites inférieurs à 1200 euros devraient y échapper. Il pratique donc très couramment le système du pas en avant et du demi-pas en arrière. Il en ressort une impression de désorientation: on se fixe un cap, mais on dilue le mouvement dans une série de génuflexions qui empêchent de bien identifier la direction. De ce point de vue, les débats en cours à l'Assemblée Nationale sur la loi de financement de la sécurité sociale rectificative sont édifiants.

Alors que des "frondeurs" comme Christian Paul demandent des mesures fortes comme le passage à la CSG progressive, Manuel Valls esquive et maîtrise comme il peut sa majorité pour éviter un débat de fond sur les réformes. L'ambition de réformer apparaît ici plus comme une posture affichée devant les caméras, et moins comme une volonté durable de changer la donne dans le pays.

Voir ici l'entretien intégral accordé par Manuel Valls aux Echos

Christophe Bouillaud : Dans le cas présent, il ne faut pas voir la reculade en dehors du contenu précis sur laquelle elle porte. Le « compte pénibilité » était une mesure nouvelle destinée à faire accepter aux syndicats salariés réformistes le recul progressif de l’âge légal de la retraite. Les syndicats patronaux veulent revenir dessus au nom de la simplification des normes portant sur la vie des entreprises. Ils trouvent trop compliqués de gérer ce compte. Est-ce donc une reculade ? Ou bien plutôt un alignement sur les demandes de « réformes » libérales de la part du patronat et sur le refus de ce dernier de toute forme d’avancée sociale ou de complexification de la vie économique ?

De même quand le gouvernement Valls s’apprête à remettre en cause le minimum de 24 heures travaillées pour un temps partiel, contenu dans un récent  accord interprofessionnel là encore entre patronat et syndicats salariés réformistes, est—ce qu’il ne fait pas plutôt œuvre de « réformateur » en réformant cet accord ? Il me semble que sur ces affaires sociales, Manuel Valls a décidé de s’aligner sur la ligne de la réforme libérale, y compris pour mettre en cause des décisions récentes issues du « dialogue social ».  Au contraire, Manuel Valls semble vouloir accepter de faire son propre « Agenda 2010 » à la Schröder. Il ne lui manque plus que son Monsieur Hartz (celui qui a donné son nom aux fameuses lois Hartz en Allemagne).

Peut-on imaginer qu'il puisse vraiment inspirer un élan quelconque alors que le gouvernement et sa majorité sont dans une situation de faiblesse historique ?

Eric Verhaeghe : Vous avez raison de poser la question de sa faiblesse, et de celle de son gouvernement tout entier. La majorité parlementaire vit dans l'illusion facile procurée par les institutions de la Vè république. Le PS, aux législatives de 2012, a grosso modo capitalisé 10 millions de voix sur 45 millions d'électeurs. Autrement dit, le PS détient une large majorité à l'Assemblée en ayant recueilli moins de 25% des suffrages. Ce chiffre saisissant, qui souligne le caractère moribond de la démocratie représentative en France, explique largement le côté irréformable du pays. Si l'on s'appuie sur les seules assemblées pour gouverner, on se coupe de la réalité et on crispe les conservatismes.

C'est ce qui s'est passé sur le mariage gay: le projet était soutenu par le PS, et le gouvernement n'a pas jugé utile de délibérer largement, c'est-à-dire au-delà des cercles parisiens, pour faire passer la loi. Le gouvernement se la traîne encore comme un boulet. Pour pouvoir réformer, il faut associer les forces vives du pays aux projets de réforme. Or le gouvernement ne compte que sur les parlementaires et les syndicats qu'il stipendie pour faire passer les réformes. C'est une erreur tactique majeure. 

Christophe Bouillaud : L’enjeu pour Manuel Valls est, semble-t-il, de se détacher complétement de sa base politique historique, le vieux Parti socialiste qu’incarne l’aile gauche du parti et les électeurs populaires résiduels qu’ils représentent. Il veut démontrer qu’il est capable de mener à bien les réformes libérales dont le pays est censé avoir besoin. Il peut encore espérer séduire à droite et au centre de l’électorat. Il est même possible qu’il cherche à terme à changer de majorité parlementaire en ralliant à la majorité du PS une partie des élus du centre.

La conjoncture est favorable puisque le centre n’a plus de leader évident et que l’UMP est embourbée dans ses propres affaires internes. Aucun parlementaire à droite et au centre n’a sans doute très envie d’une élection législative anticipée dans de telles conditions. La bataille de poulets décapités entre la droite, le centre, et la gauche à laquelle on assisterait serait un peu pénible à voir, et le FN en profiterait sans doute.

On a pu constater lors de la réforme du statut des intermittents que la "reculade" de Manuel Valls, cédant pour que les festivals d'été se déroulent convenablement, n'avait absolument pas changé la donne. Le premier Ministre est-il finalement devenu comme son prédécesseur le prisonnier du jeu politique hexagonal ?

Je vais dire une horreur politiquement tout à fait incorrecte, mais il y a des domaines où j'admets l'hypothèse de complots ou de conjurations, même informelles, pour expliquer les difficultés d'une équipe. Sur les intermittents, il est évident que l'entêtement de la fédération CGT sur le sujet est troublant. Manifestement, l'objectif de ce syndicat dépasse très largement la simple défense des intérêts des intermittents. Autre chose se joue. Quoi exactement? c'est difficile à dire, mais si le bateau gouvernemental prend l'eau de toutes parts, il y a des raisons peu transparentes qui l'expliquent.

Maintenant, on peut se demander pourquoi quelques agitateurs trouvent un soutien suffisant autour d'eux pour monter un mouvement collectif. Cette propension du pays à se coaguler dans des mouvements de protestation ne me paraît pas un signal très encourageant pour les mois à venir: il est incontestable qu'il existe une tentation du conflit qu'il faut intégrer dans les anticipations politiques.

Christophe Bouillaud : Il me semble tout de même que les intermittents du « in » du Festival d’Avignon ont voté à 80% la tenue de ce dernier. Idem pour le Festival lyrique d’Aix. Il y aura des perturbations certes, mais les Festivals devraient globalement pouvoir se tenir. Le gouvernement Valls devait valider l’accord patronat/syndicats sur l’assurance chômage s’il voulait se tenir à sa ligne du « dialogue social ». En même temps, il a donné quelques garanties de survie économique aux intermittents. Manuel Valls ne pouvait guère faire moins sauf à plomber l’été culturel.

Manuel Valls s'est pourtant engagé à respecter les objectifs budgétaires de la France vis-à-vis de Bruxelles. Peut-on s'attendre à un "passage en force" après les atermoiements des premiers mois ?

Eric Verhaeghe : Soyons très clairs : pour respecter les engagements de la France, il faut économiser entre 20 et 25 milliards supplémentaires sur les dépenses publiques. Cela représente environ 5% du budget de l'Etat. C'est possible à faire sans secousse majeure quand on s'y prépare et qu'on pilote intelligemment les opérations. Le problème des services de l'Etat est qu'ils sont totalement impréparés à la mesure. Le service public n'a pas entamé la révolution culturelle qu'il devrait opérer pour rendre de meilleurs services en dépensant beaucoup moins. Il serait par exemple intéressant de demander à l'Etat combien de temps il lui faudrait pour établir la liste de tous ses fournisseurs, en indiquant le montant payé à chacun d'entre eux.

Cette démarche simple de comptabilité analytique est impossible pour les administrations, alors qu'il serait tout à fait sain de savoir qui sont les bénéficiaires des commandes publiques. On s'apercevrait rapidement que l'Etat achète essentiellement aux grandes entreprises, souvent américaines, et ne soutient pas du tout l'innovation française. Alors que Montebourg se fait le chantre du Made in France, je le mets au défi de prouver qu'il l'applique pour les commandes publiques. Vous comprenez bien que, quand vous ne savez pas à qui vous achetez, ni pour combien vous achetez, vous avez du mal à diminuer vos dépenses de 5 ou 10%... Autrement dit, Manuel Valls ne respectera pas les engagements budgétaires de la France.

Christophe Bouillaud : Aux dernières nouvelles, du point de vue de ce qui se passe au Parlement, le passage en force est en train d’avoir lieu. Le collectif budgétaire sur le budget de l’Etat semble devoir passer sans problème, et celui sur le budget de la Sécurité sociale devrait suivre dans la foulée. Pour l’instant, le gouvernement n’a donné aucune satisfaction aux députés « frondeurs » de la majorité. Il n’a pas dû recourir non plus pour l’instant à l’arme nucléaire parlementaire, le « 49-3 ». Le risque existe encore d’un écroulement de la majorité, mais l’entretien de Manuel Valls dans les Echos semble montrer qu’il se sent assez fort pour défier les dissidents et leur faire comprendre qu’ils devront boire le calice jusqu’à la lie. Ces derniers n’auront pas eu le courage de faire tomber le gouvernement, et de provoquer la dissolution de l’Assemblée nationale.

"Le cadre sera assoupli" a fini par commenter le Premier ministre après les concertations sur les rythmes scolaires, ajoutant après qu'il s'agissait malgré tout d'une "bonne réforme". Finalement, son jeu n'est-il pas de seulement montrer qu'il est une source de changement pour la présidentielle de 2017 ? En quoi est-ce une mauvais analyse ?

Eric Verhaeghe : Je ne me permettrais pas de commenter ses intentions. Je sais juste que le temps où réformer était une posture s'achève peu à peu. Il faut maintenant que l'on rentre dans le vif des sujets et que l'on démontre sa capacité à atteindre des résultats. Par exemple, quand on annonce 10 milliards d'économies sur la santé, il faut prouver qu'on y arrive sans dégrader la qualité des soins.

J'observe que les sommets européens sont généralement l'occasion de dire que la transformation numérique de nos économies est le principal vecteur du retour à la prospérité. Dans le domaine de la santé, pour se cantonner à ce sujet, j'observe que la Commission Européenne estime les économies rendues possibles par le Big Data à 100 milliards d'euros à l'échelle du continent en 5 ans. Avez-vous entendu une seule fois Marisol Touraine relayer ce sujet? Entendez-vous un seul ministre "dépensier" parler d'innovation comme source d'économies pour l'Etat?

Pour que ce discours soit tenu, il faudrait en effet des ministres choisis non pour leur capacité à faire la cour au Premier Ministre ou au Président de la République, mais pour leur capacité à régler les problèmes, et d'abord à les comprendre. De ce point de vue, Manuel Valls, qui était à Matignon sous Jospin, n'a rien retenu de l'expérience de 2002. Jospin est tombé pour s'être entouré de thuriféraires qui le coupaient des réalités et ne lui disaient jamais la réalité en face. On peut craindre que l'équipe au pouvoir depuis mai 2012 ait repris sans vergogne ce mode désastreux de gouvernance.

Christophe Bouillaud :La réforme des rythmes scolaires a été mal engagée dès le début. En tout cas, on peut se demander comment ce qui n’est finalement que le retour à la situation antérieure a pu provoquer tant de polémiques. Il est vrai qu’entre des enseignants sous-payés et méprisés, des parents hyper-angoissés pour l’avenir de leurs petites merveilles, des exigences nouvelles en terme de temps de garde par l’école des enfants dans le cadre de l’augmentation de l’activité des mères de famille, et les budgets contraints des communes, il y avait vraiment de quoi s’énerver pour pas grand-chose.

L’échec d’une telle réforme tient typiquement au fait que la base (parents, enseignants, communes) l’ont vu comme une fantaisie du pouvoir. Personne n’a vraiment compris et assimilé les arguments scientifiques en faveur de la réforme. Vu les bouleversements de la vie quotidienne que cela entraînait dans des catégories hyper-stressées de la population, les parents de jeunes enfants, il aurait fallu commencer par une solide campagne de persuasion en faveur de la mesure, ce qui n’a pas été fait d’évidence.

D’un point de vue général, je ne crois pas que Manuel Valls veuille simplement montrer qu’il est une source d’impulsion et de changement pour la présidentielle de 2017. Il faut que les choses changent vraiment d’ici là. En effet, si la situation économique et sociale continue à se dégrader jusqu’en 2017, ni Hollande, ni lui, ni aucun autre candidat socialiste, n’ont aucune chance réaliste de figurer au second tour de l’élection présidentielle. Il faut un bilan pour être en mesure de peser pour 2017, et un bilan sur le front économique et social : beaucoup moins de chômeurs et plus de pouvoir d’achat, les rythmes scolaires et tutti quanti c’est anecdotique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !