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Twixt : Dans la tête (malade) 
de Francis Ford Coppola
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Le retour du parrain

Le réalisateur américain sort ce mercredi Twixt, un film d'horreur racontant la rencontre d'un écrivain sur le déclin avec le fantôme d'une adolescente. Un film à petit budget que le réalisateur d'Apocalypse Now présente comme une "libération".

Clément  Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué réfléchit aujourd'hui sur les problématiques de l'action publique, dans le domaine des relations internationales et de la santé. Diplômé de littérature et agrégé d'anglais, il écrit sur le blog letrebuchet.c.la sur l'art, la société et l'homme.

Victoria Rivemale est diplômée en Lettres.

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Faut-il vraiment chercher le coeur palpitant des États-Unis d’Amérique dans leurs admirables institutions démocratiques, dans leur individualisme sacré ? Non, bien sûr : la puissance, la fascination que l’Amérique exerce, celle qui la hisse sur ce trône magnifique et parfois agaçant depuis la vieille Europe, c’est la vigueur primitive de sa mythologie moderne : la musique afro-américaine et le cinéma, surtout. Or, dans cette mythologie, Coppola est un titan.

Cependant, sa filmographie déroute sans cesse les critiques. Comment peuvent cohabiter la trilogie du Parrain, la quête désespérée du capitaine Willard le long du fleuve Nung (Apocalypse Now), aux côtés de l’intrigue familiale étriquée, noyée de raffinement esthétique, d’un Tetro, ou de l’histoire d’un romancier en mal d’inspiration dans une banale bourgade de Twixt, son dernier film sorti ce mercredi ?

Victor Hugo était passé du lyrisme individuel à La Légende des siècles...Coppola fait un peu l’inverse.

Le réalisateur des grands mythes américains

La trilogie du Parrain installe le mythe italo-américain, splendide et mystérieux. Cette grande fresque sur la mafia et sa structure féodale, dont la montée en puissance tout au long du siècle contredit en tout point l’intellectuelle modernité, est une allégorie de la réussite communautaire américaine : comment, dans la souffrance, la mort et la joie, les communautés prennent vie, force et puissance. L’oeuvre a donné autant qu’elle a pris, façonnant les italo-américains, puis les autres hybridés américains qui s’y sont identifiés, y ont trouvé matière à prolongements mythiques.

De son côté, Apocalypse Now ne fait pas que raconter, qu’illustrer les événements du Vietnam, comme le ferait un livre d’histoire ou une analyse géopolitique. La quête va bien au-delà de l’histoire du conflit : elle cristallise, et donc crée, cette guerre telle qu’on la connaît. Au travers de héros caricaturaux et typés comme le sont les héros d’épopée, le filmdonne puissamment un corps, un souffle, une énergie au peuple à qui il s’adresse.

Mais qu’en reste-t-il dans Tetro (sorti en 2009) ? Une quête encore, mais qui s’enlise dans les méandres familiaux. Le film est psychologique, nimbé d’un mystère superflu. Pourquoi Tetro est-il méchant ? Parce qu’il est blessé, bien sûr... Tandis qu’il suffisait de montrer Don Corleone, dans son horreur ou sa grandeur, portant sur ses épaules les structures de la société dont il hérite et qu’il perpétue. Sa femme, la BCBG Kay, tente de le comprendre ; tentative qui échoue dans le féroce carnage de la scène finale (meurtre de sa fille sur les marches de l’Opéra) du troisième volet (Le Parrain 3).

De la mythologie mystérieuse d’un peuple aux atermoiements psychiques d’une famille : dans Twixt, Coppola va plus avant encore dans sa restriction. La quête se réalise dans la psyché d’un seul homme.

Aller chercher le réalisateur au fond de son antre ?

Il faut souvent aller chercher loin, jusqu’au fond de leur antre, les personnages de Coppola. Passer sous le regard des gorilles plantés à chaque porte, patienter dans les antichambres, courber l’échine et parler au moins un peu italien pour espérer, au fond de son bureau, baiser la main du Parrain. Endurer la sueur, la boue et la moiteur vietnamienne, les rafales et même les tigres, pour capter quelques phrases mystiques, et entrevoir l’ombre du Colonel Kurz, reclus dans son temple (Apocalypse Now). Braver les loups, manquer chuter au fond du ravin bordant la route qui mène à son château imprenable et éviter les morsures du comte Dracula. Quêter, dans l’improbable Buenos Aires, puis jusqu’en Patagonie, l’affection d’un frère, la confiance du fuyant Tetro.

Personnages qui tirent leur puissance d’un ordre qui les dépasse : Don Corleone, ordonne des meurtres de sang chaud ; il faut régulièrement, rituellement, faire couler le sang de la communauté. Pratique obscure et archaïque, que personne ne contrôle vraiment, impénétrable pour une société américaine éprise de transparence et d’abstraction juridique (pour le plaisir, on reverra la scène du meurtre de Sollozo dans le premier opus - sans les sous-titres, per favore). Au fond de sa jungle, le Colonel Kurz fait sienne, pousse à l’extrême et rend monstrueuse la logique martiale, allant jusqu’à faire sécession, et même société, suscitant l’effroi des gradés. Dracula, condamné par un serment d’amour maudit, rôde comme un fauve dans une époque et des lieux qui ne le reconnaissent pas, retranché à la fois de Dieu et des hommes.

Ce trajet au coeur des ténèbres effectué par ses personnages, Coppola le réalisateur le parcourt lui-même de film en film. Du drame le plus large au plus étroit, de la violence la plus globale (la guerre) à la plus intime (familiale et psychologique, et même intérieure) : le réalisateur qui, par ses grandes réalisations, irriguait l’imaginaire américain et occidental, voilà qu’à présent il tourne le dos à cette mission qu’il avait si magnifiquement accomplie.

Coppola a-t-il perdu le sens du spectacle ?

Mais pas de “fiat lux” au fond des méandres de son oeuvre, au fond de l’entonnoir.

Les productions géantes du début, exorcisant des thèmes fondamentaux comme la guerre ou le destin d’une communauté, prenaient une valeur collective pour la société américaine et probablement pour l’humanité dans son ensemble.

À cet égard, ses dernières oeuvres paraissent maigrelettes, n’ont plus cette force : elles ne font plus “rituel”. Une atrophie dont on peut d’ailleurs suivre la trace dans les films eux-mêmes, dans la manière dont ils “mettent en scène” le spectacle.

Le Parrain se délectait de la splendeur païenne des processions christiques, de la théâtralité du catholicisme italien, des fêtes de famille ou d’opéra, scènes souvent doublées de meurtres en série. Apocalypse Now était plus explicite encore (presque trop : le sacrifice de la vache et l’assassinat de Kurtz ont lieu à la même seconde) qui soulignait l’importance conjuguée de la fête (rituel religieux, spectacle d’ampleur) et du sang (la mort et la renaissance).

Dans Tetro, l’art, le spectacle, le rituel, sont réduits à l’activité de “producteurs culturels” des personnages principaux. Ce que Coppola ne manque pas de ridiculiser d’ailleurs (la “plus grande critique d’art sud-américaine”, s’appelle “Alone”). Théâtre d’avant-garde au café-concert, manuscrit, codé et griffonné, de l’écrivain exilé...les scènes jadis si fastueuses de processions grandioses et sanglantes qui rassemblent la communauté (opéra, temple) se sont réduites comme peau de chagrin.

Dans Twixt, Coppola réitère. Peut-être voudrait-il bien continuer d’inspecter les ténèbres...mais il se limite à présent à celles d’un seul cerveau. Il aimerait encore mettre en scène les tripes et cauchemars sanglants de son héros...mais la quête est individuelle, et non plus collective. Il faut donc à tout prix réinjecter du mystère dans l’histoire, ce qui explique certainement le choix du mode fantastique de Twixt, qui n’est qu’une coquetterie.

Coppola a abandonné l’imaginaire collectif. Ou est-ce l’imaginaire collectif qui a laissé tomber Coppola ?

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