Transition ratée : 4 mois après avoir arrêté le nucléaire, l’Allemagne méchamment rattrapée par la réalité <!-- --> | Atlantico.fr
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Les centrales nucléaires allemandes ont été arrêtées.
Les centrales nucléaires allemandes ont été arrêtées.
©Ina FASSBENDER / AFP

Echec

L'arrêt du nucléaire force les Allemands à envisager un recours supplémentaire au charbon.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : L’Allemagne a arrêté ses centrales nucléaires il y a quelques mois. Quelles conséquences sont déjà observables de cette décision ?

Damien Ernst : Ces dernières années, l'Allemagne a fermé environ 8 gigawatts de capacité électrique. Une grande partie de cette capacité a été compensée par l'utilisation de centrales au charbon ou au gaz, qui fonctionnent donc à partir de sources d'énergie fossile. Pour remplacer ces 8 gigawatts de capacité nucléaire par du renouvelable, il faudrait installer environ huit mille éoliennes terrestres, c’est énorme.

Cependant, l'Allemagne fait face à des difficultés pour développer suffisamment rapidement ses sources d'énergie renouvelable. Il est évident que pendant encore 5 à 10 ans, l'Allemagne devra compter sur un mix énergétique plus carboné, comparé à la période précédant sa sortie du nucléaire.

À quel point est-ce que justement le mix énergétique allemand il est carbonisé ?

Damien Ernst : On se situe généralement autour de 400 à 500 grammes de CO2 par kilowattheure d'énergie. En comparaison, en France, les émissions sont beaucoup plus faibles, à moins de 100 grammes de CO2 par kilowatt-heure. Ainsi, on peut affirmer que le mix énergétique allemand est environ quatre fois plus carboné que celui de la France. Bien sûr, cette différence dépend de l'heure de la journée et de la saison. Les moments les plus problématiques pour l'Allemagne se produisent surtout en hiver, lorsque l'ensoleillement est faible et que l'énergie solaire est quasiment absente. Cela force l'Allemagne à dépendre largement du charbon et du gaz pour sa production énergétique.

Le ministère des Affaires économiques et de l'action climatique allemand a déclaré à ARGUS qu’ils envisageaient la possibilité de remettre en activité 1,9 gigawatts de linite pour l'hiver 2023-2024. Que faut-il en penser ?

Damien Ernst : Cela n’est pas surprenant. Tout d'abord, il y a un problème de capacité qui se profile en Europe, à savoir si nous avons suffisamment de capacité de production pour répondre à la demande, surtout lors des pics de consommation d'électricité. Cela n'est pas garanti. De plus, même en ayant suffisamment de capacité, comme par exemple des centrales au gaz en Allemagne, il est important de noter que le prix du gaz reste élevé. Actuellement, pour cet hiver, le prix du gaz oscille entre 50 et 60€ par mégawattheure. Ces prix sont considérablement plus élevés que les tarifs observés avant la crise énergétique avec la Russie. On parle d'une hausse de deux à trois fois pour le prix du gaz, et il n'y a pas de signes concrets d'une résolution rapide de cette situation.

Cela est en grande partie dû au fait que l'Europe  importe moins de gaz de la Russie. On est passé de 1500 térawattheures par an importés à partir  de gazoducs à environ 300 térawattheures par an. On note que si l'on perdait du jour au lendemain ces 300 térawattheures, les prix du gaz pourraient réatteindre les 100 euros par mégawattheure.

Tou cela met l'Allemagne dans une situation financière délicate. En conséquence, elle se tourne davantage vers l'utilisation du charbon. 

Il est essentiel de souligner que le charbon redevient "peu cher". Alors que le prix du charbon avait atteint environ 400 $ la tonne, il est revenu à un niveau d'environ 150 $ la tonne, qui peut être considéré comme plus proche de la norme qui est aux alentours de 100 $ la tonne. Cette situation conduit l'Allemagne à réactiver l'exploitation du charbon, en raison de son coût abordable et de sa disponibilité.

Les Européens et l'Allemagne ont des plutôt bonnes réserves de gaz à l'heure actuelle. Pourquoi est-ce que ça ne suffit pas ?

Damien Ernst : En ce qui concerne les capacités de stockage de gaz, il est vrai qu'elles sont bien remplies pour l'instant. Cependant, malgré ces réserves importantes, le prix du gaz demeure élevé, ce qui constitue un problème notable.

Le deuxième problème est lié à la nécessité d'avoir une capacité suffisante pour répondre aux pics de demande en électricité. Il est essentiel d'avoir un nombre adéquat de centrales en fonctionnement pour générer l'électricité nécessaire. Comme nous l'avons constaté cet hiver passé, la situation était tendue, notamment au sein du réseau électrique européen. De plus, la Belgique a également perdu 2 gigawatts de capacité nucléaire, ce qui aggrave encore la situation. À mon avis, il est probable que l'Allemagne doive réactiver des centrales au charbon pour éviter les problèmes liés à un approvisionnement électrique insuffisant lors des périodes de pointe.

Ainsi, c'est une autre raison pour laquelle l'Allemagne pourrait être contrainte de recourir aux centrales au charbon. Cela aurait pu être évité si le pays avait maintenu en activité ses centrales nucléaires.

A quel point la réouverture de centrales à charbon est un aveu d'échec ?

Damien Ernst : Effectivement, c'est un échec colossal. C'est un aveu d'échec majeur. L'Allemagne s'est engagée dans une sortie du nucléaire beaucoup trop rapide, une décision complètement irrationnelle qui a été influencée par des pressions de groupes tels que Greenpeace. C'est ainsi que cette situation s'est produite. Malheureusement, les conséquences ont été désastreuses pour le climat. Maintenant, ils se trouvent dans une impasse et ils réalisent que les mensonges qui ont été propagés, comme celui prétendant que le nucléaire entravait le développement des énergies renouvelables, étaient en réalité des fausses informations. La réalité les frappe de plein fouet et le réveil est extrêmement difficile pour les Allemands.

En outre, cette décision a entraîné une augmentation significative du coût de l'énergie en Allemagne. Cela a eu un impact négatif sur l'industrie allemande, qui ne performe plus aussi bien qu'auparavant. Sur le plan économique, cela a créé des problèmes majeurs et a mis l'Allemagne dans une position économique difficile au sein de l'Europe. Donc, le réveil est amer à la fois sur le plan écologique et économique, et les défis sont évidemment nombreux pour les Allemands.

Et comment expliquer que, notamment en Allemagne, les discours antinucléaires, et notamment ceux de Greenpeace, mais aussi ceux des Verts allemands, aient aussi bien marché ?

Damien Ernst : Le problème réside dans les discours populistes qui ont été propagés en exploitant la peur du nucléaire. Ils ont sciemment menti en ce qui concerne la politique énergétique, en faisant croire que sortir du nucléaire serait une démarche facile. Ces discours populistes et trompeurs ont eu un grand impact et ont réussi à duper la majorité des gens, dont la plupart n'avaient pas une connaissance approfondie en matière de politique énergétique.

Cependant, c'est maintenant, avec la mise en œuvre de ces discours dans la réalité, que les gens en Allemagne commencent à réaliser qu'ils ont été trompés. C'est pourquoi on constate actuellement un fort soutien en faveur du nucléaire au sein de la population allemande. Malheureusement, il a fallu que ces politiques échouent pour que les gens prennent conscience qu'ils ont été bernés. Cela représente essentiellement une grande partie de la population qui a été trompée. Je ne peux pas expliquer cela autrement.

Et face à l'échec de de cette transition écologique là actuelle en Allemagne et quelles sont les solutions pour l'Allemagne à court terme ?

Damien Ernst : Je pense que l'Allemagne devrait envisager de redémarrer au moins quelques réacteurs nucléaire d'ici 2025. Cela permettrait de répondre à la demande croissante en électricité et de mettre l'accent sur une approche plus responsable en matière d'énergie. Redémarrer des réacteurs dans un délai de 2 ans, cela est tout à fait réalisable.

Il est intéressant de noter que le Japon a fermé de nombreux réacteurs nucléaires après Fukushima pendant une décennie, pour ensuite les remettre en service. Il est donc tout à fait possible de fermer un réacteur pendant une période prolongée et de le redémarrer ensuite.

Cette approche pourrait contribuer à sauver l'économie allemande en assurant une sécurité d'approvisionnement sans dépendre excessivement du charbon. Mais le charbon est relativement abordable en Allemagne et l'approvisionnement est local ce qui incite les Allemands à ces choix.

Il est également essentiel de continuer à développer les sources d'énergie renouvelable. Cependant, comme je l'ai mentionné au début de l'interview, la fermeture récente de 8 gigawatts de capacité nucléaire équivaut à environ 8000 éoliennes. Construire et installer ces éoliennes nécessitera du temps et des efforts considérables, ce qui ne peut pas être accompli du jour au lendemain

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