Trafics de drogues et d’êtres humains : la France ferait bien d’anticiper les conséquences de la loi que projette de voter le Royaume-Uni<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin et son homologue britannique Suella Baverman à Paris, le 14 novembre 2022.
Gérald Darmanin et son homologue britannique Suella Baverman à Paris, le 14 novembre 2022.
©THOMAS SAMSON / AFP

A nos risques et périls

Anticiper ! Depuis 15 ans au moins, nos instances officielles n'ont que ça à la bouche, mais toutes leurs tentatives en la matière sont autant de cuisants échecs - tant il est vrai que le temps, la temporalité, sont pour l'homme - et de loin - le sujet le plus retors, le plus ardu à penser. Derniers exemples : le COVID-19 et la guerre Russie-Ukraine ont explosé à la face de nos dirigeants, sans que rien n'en n'ait été le moins du monde prévu.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Mais foin des remarques négatives : guidons plutôt nos hauts fonctionnaires et ministres sur la dure voie de l'anticipation et alertons-les d'une prochaine et brutale inflexion de la politique britannique en matière de stupéfiants et de trafic des êtres humains, le tout allant gravement affecter la France.

Trafic de stupéfiants : depuis juillet passé, le ministère britannique de l'Intérieur (Home Office) peaufine un texte, qui entrera en vigueur dès sa validation parlementaire, courant 2023. Intitulé "Swift, certain, tough - new consequences for drug possession", ce texte mènera une guerre sans merci aux toxicomanes, du drogué mondain inspirant sa petite ligne de cocaïne aux toilettes d'un club chic, jusqu'au zombie ivre de crack. 

Motif avancé par le Home office : désormais, les morts provoqués par la drogue au Royaume-Uni (surdoses... règlements de comptes... accidents de la route...) dépassent en nombre le total des homicides à l'arme blanche et des accidents mortels de circulation. Rien qu'en Angleterre (hors Galles, Écosse et Ulster) les ravages de la drogue et trois millions de toxicomanes ont coûté à la société britannique 26 milliards d'euros en 2021. 

Ces toxicomanes, dit le rapport "se mettent eux-mêmes en danger, la société aussi et enrichissent des gangsters violents et esclavagistes" (retenez ce mot) ? Fini de rire.

Guerre sans merci ? Qu'on en juge : tout condamné pour possession de stupéfiants subira forcément trois niveaux gradués de sanction :

1 - Payer soi-même un cours sur la toxicité des stupéfiants et y assister obligatoirement, sous peine de lourde amende,

2 - Rechute ? Phase obligatoire de tests anti-drogue et second cours, plus long et détaillé, sur les dangers de la toxicomanie.

3 - Troisième condamnation pour possession de drogue ? Le ciel vous tombe sur la tête : fiché comme toxicomane, votre passeport est confisqué et votre permis de conduire, annulé.

Certes, ce n'est qu'un projet, que le parlement pourra amender. Mais comme sur ce sujet, conservateurs et travaillistes font à présent surenchère de sévérité, pas sûr qu'amender rime avec édulcorer. Résultat ? Certains fuiront ensuite la drogue. Mais les autres - et leurs dealers - où feront-ils leur petite cuisine ? Près de chez eux, dans un pays béni où M. Darmanin feint de "pilonner" et où M. Dupond-Moretti, en phase terminale d'impuissance, ne fait vraiment plus rien - La France, bien sûr.

Ce n'est pas tout. Car si le sort du toxicomane britannique s'annonce morose, celui du caïd des stups, lui, devient carrément horrible. Souvenons-nous du terme esclavagiste, énoncé plus haut : en 2015, le parlement britannique votait une loi, bienséante, Ô combien, sur l'esclavage moderne "Modern Slavery Act". Vote unanime bien sûr - comment négliger l'esclavage ? Or désormais, des magistrats britanniques débordent le cas des trafiquants d'êtres humains et des pédophiles, pour condamner de ce chef des caïds du trafic de drogue, mettant sous emprise et exploitant des mineurs (guetteurs... livreurs de stupéfiants, etc.).

Et quand le narco récidiviste, caïd ou chef de gang confirmé, est condamné par un jury au titre de cette loi sur l'esclavage moderne, sa vie devient infernale. Après des années de prison ferme, son cas empire à sa libération - acquise seulement quand sont acceptées les conditions suivantes :

- Autorisation obligée du juge d'application des peines (JAP) pour : louer un logement, ouvrir un compte bancaire (puis justifier ce qui y entre et sort), prendre un emploi ;

- Signaler au JAP qui l'"esclavagiste" fréquente sentimentalement et s'il découche, même pour une nuit ;

- Interdiction d'approcher des mineurs (sur les réseaux sociaux ou dans la rue), de fréquenter des lieux d'enseignement ou des clubs juvéniles, sportifs ou autres.

Un manquement ? Cinq ans de prison ferme.

Déjà, en Angleterre et au Pays de Galles, plus de 400 individus en jugement encourent une condamnation au titre du Modern Slavery Act.

Or même si cela ne concerne qu'une minorité de malfaiteurs, la plupart de ceux qui la risquent useront évidemment de la riposte criminelle classique : le déplacement. En termes géographiques, la France est bien sûr ici la première concernée.

Pendant ce temps, que fait notre justice ? Sous M. Dupond-Moretti, elle aggrave encore, et follement, son obésité textuelle. 

Soyons précis. Les magistrats viennent de recevoir le "Guide 2023 des infractions". En 2014, le précédent guide comptait déjà 1 588 pages. L'édition 2023, bien plus volumineuse, compte 2 972 pages, soit 1 384 de plus. 

Magistrats submergés, personnels et crédits dramatiquement insuffisants - et mille trois cents quatre-vingt-quatre pages, (format 20,5 x 14,5) d'infractions DE PLUS à prendre en compte ? 

Au fou.

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