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Tout est bon dans le cochon ? Et voici comment le porc pourrait nous sauver la vie en nous fournissant des organes…humains
©Reuters

GPA imposée

Editer le génome de porcs, le remplacer par des cellules souches omnipotentes humaines, et cultiver un organe humain pour le transplanter... Une technique qui s'avère possible sur le plan théorique, et qu'une équipe de chercheurs souhaite peaufiner.

Jean-Michel Besnier

Jean-Michel Besnier

Jean-Michel Besnier est professeur d'Université à Paris-Sorbonne, auteur de Demain les posthumains (2009) et de L'homme simplifié (2012) aux éditions Fayard.

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Atlantico : Une équipe de chercheurs a récemment déclaré vouloir mettre au point une technique visant à élever des organes dans des porcs pour ensuite les greffer sur des receveurs humains. Comment fonctionne cette technique ? De quoi s'agit-il ?

Jean-Michel Besnier : Cette équipe de chercheurs sollicite deux des innovations biotechnologiques les plus remarquables, apparues ces derniers temps :

  • Les IPS (cellules souches totipotentes induites) qui permettent d'obtenir des cellules souches à partir de cellules somatiques : cette découverte ouvre la perspective de fabriquer des organes à partir de la mise en culture de ces cellules ramenées à leur stade germinatif et capables, donc, de se spécialiser pour former l'organe que l'on souhaite. En l'occurrence, c'est du pancréas qu'il s'agit.

  • CRISPR-Cas9 : l'invention d'Emmanuelle Carpentier et de sa collègue américaine qui doit permettre l'édition du génome, c'est-à-dire de supprimer ou d'importer tel gène qu'on voudra dans un génome. C'est le ciseau moléculaire qui permet le copier-coller qu'on espérait en thérapie génique et dont certains songent à s'emparer pour réaliser des projets eugénistes. Par exemple, identifier le gène responsable de telle performance cognitive, le copier d'après le génome d'un individu et le coller dans un gamète germinatif ou l'injecter dans un embryon, afin d'obtenir la modification souhaitée de l'être à venir. En l'occurrence, il s'agit de supprimer le gène d'un embryon de cochon pour l'empêcher de développer un pancréas et d'injecter en lui des IPS correspondant à un pancréas humain, qui combleront l'absence de pancréas. On transplantera cet embryon dans l'utérus d'une truie qui le gardera 28 jours et on espère que le foetus possédera un pancréas humain, qui sera transplantable.

Accès à cette technique, création d'animaux transgéniques pour l'homme, respect des animaux... Quels sont les enjeux éthiques associés à la xénogreffe ?

Les enjeux éthiques relèvent de problèmes liés à toute xénogreffe : instrumentalisation des corps. Ici, une gestation pour autrui imposée à… une truie. Le corps de l'animal est un instrument, un simple support dont on admet par ailleurs qu'il a une proximité génomique avec l'humain. Dans un contexte où les opérations de transgénèse révèlent la porosité sinon l'inexistence des frontières entre espèces, on peut craindre que cette instrumentalisation ne soit étendue et qu'on en vienne à imaginer de recourir non plus à un porc mais à un humain asservi. Les défenseurs des animaux le disent volontiers : faire violence à un animal conduit fréquemment à agir de même avec son semblable. S’emparer d'un cochon pour faire croître des organes humains, c'est potentiellement s'exposer à ouvrir une banque d'organes en recourant aux services d'une humanité non consentante. Quand on aura diabolisé la chimère embryonnaire (la truie porteuse d'un pancréas humain), tout en reconnaissant le bénéfice de l'obtention de pancréas pour les malades, on se sera ouvert à la perspective d'une manipulation au sein même de l'espèce humaine, une manipulation qui permettra une autogreffe (c'est le pancréas du malade que l'on fabriquera) qui s'effectuera avec la mort d'un être humain (qui aura été privé au stade embryonnaire de son propre pancréas). On ne peut exclure que la folie des hommes laisse se développer ce genre d'aberration. Songeons que les nazis ménageaient les animaux...
Les chercheurs américains disent redouter que le Gene Editing ne conduise à ce que les cellules injectées dans le cochon migrent jusqu'à coloniser le cerveau de la bête. On se trouverait donc dans la situation d'une humanisation possible du porc. La perspective est terrifiante, mais elle pourrait conduire au scénario que je viens d'évoquer : ne recourir qu'à des humains dont les supports de l'opération de transgénèse seront sacrifiés !

Par ailleurs, quels effets la xénogreffe pourrait-elle avoir sur l’idée qu’un individu se fait de son corps ? Et en quoi cela pourrait-il avoir un impact sur la société ?

Cette question appelle une réponse évidente : l'individu s'habitue à considérer son corps comme une mécanique qui appelle la réparation. La maladie n'est qu'une panne, dépourvue de toute dimension symbolique. En ce sens, le cynisme est permis : si je me considère sous cet angle, il va de soi que l'autre que moi ne mérite pas mieux. Dans ce contexte, ce qui fera la différence, c'est la force ou l'argent : j'ai les moyens d'obliger l'autre (animal ou humain) à me céder les ressources qui sont les siennes. On aura une variante de l'eugénisme libéral prédit par Habermas : la modification de l'humain sera un produit de consommation qui exigera une matière première qu'on achètera ou qu'on volera...

Plus généralement, comment est-ce que cela peut modifier la perception que l'on a de la mort et de l'immortalité ?

Il est clair que les fantasmes générés par les IPS et CRISPR sont favorables à l'immortalité (la fabrication d'organes à la demande permet de pérenniser les métabolismes). Mais cette immortalité convient à une humanité qui confond une vie humaine avec la survie animale. Elle est en ce sens le contraire même de la vie qui comporte la mort comme l'ingrédient de sa croissance et de son intensité. Il faut décidément aimer bien peu la vie pour vouloir exclure la mort !

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