Tous TikTokisés… ou pas ? Ces vidéos longues de plusieurs heures qui cartonnent en ligne <!-- --> | Atlantico.fr
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Une récente vidéo de plus de quatre heures détaillant les raisons pour lesquelles l'expérience Galactic Star est un échec illustre la capacité des uns et des autres à consommer des contenus pop-culture particulièrement longs.
Une récente vidéo de plus de quatre heures détaillant les raisons pour lesquelles l'expérience Galactic Star est un échec illustre la capacité des uns et des autres à consommer des contenus pop-culture particulièrement longs.
©MANJUNATH KIRAN / AFP

Obsession

Une récente vidéo de plus de quatre heures détaillant les raisons pour lesquelles l'expérience Galactic Star Cruiser (l'hôtel Star Wars de Disney) est un échec illustre la capacité des uns et des autres à consommer des contenus pop-culture particulièrement longs.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Atlantico : Des millions de personnes ont tenu jusqu'au bout de la vidéo. Faut-il penser que l'on en arrive aujourd'hui à la fin de l'hégémonie du format court ?

Michel Bampély : La récente vidéo de Jenny Nicholson sur l'échec de l'hôtel Galactic Star Cruiser de Disney, d'une durée de plus de quatre heures, a marqué une nouvelle étape dans la consommation de contenus en ligne. Cette vidéo, malgré sa longueur inhabituelle, a attiré des millions de vues et a suscité des discussions animées sur les plateformes sociales. Ce phénomène souligne un changement potentiel dans les attentes du public vis-à-vis du contenu en ligne, remettant en question l'idée préconçue selon laquelle seul le format court est populaire. Au-delà du divertissement rapide, cette tendance révèle un désir croissant de contenu plus approfondi et analytique, capable d'engager les spectateurs sur une période prolongée.

L'émergence de vidéos longues à succès comme celle de Jenny Nicholson suggère également un changement dans la manière dont les spectateurs interagissent avec le contenu en ligne. Plutôt que de rechercher uniquement des vidéos brèves pour une consommation passive, une part significative du public semble désormais chercher des expériences plus enrichissantes et stimulantes. Les longs formats offrent une plateforme pour une exploration approfondie des sujets, favorisant un engagement plus profond et une réflexion critique. Cette évolution témoigne non seulement de l'évolution des préférences des consommateurs, mais aussi de la capacité du contenu long à établir des liens révélateurs avec son public, créant ainsi une communauté fidèle et engagée.

L'hégémonie du format court ne semble pas toucher à sa fin. Les vidéos longues et courtes répondent à des besoins différents chez les consommateurs, reflétant une diversité de préférences. Alors que les vidéos longues offrent une analyse approfondie, les formats courts restent populaires pour leur divertissement rapide et leur accessibilité instantanée. Les deux continueront probablement de coexister et de prospérer, chacun comblant des besoins spécifiques des utilisateurs.

Les internautes qui privilégient les formats longs de ce type aux formats courts que propose par exemple TikTok sont-ils les mêmes ou observe-t-on des habitudes de consommation différentes chez divers types de populations ?

Les internautes qui se tournent vers les formats longs, comme ceux disponibles sur YouTube, démontrent souvent une propension à l'engagement plus soutenu, une caractéristique souvent associée à des segments démographiques plus matures. Une récente étude du Pew Research Center indique que près d'un tiers de la population mondiale se connecte à YouTube chaque mois, soulignant ainsi une présence significative d'une diversité d'âges sur cette plateforme. En contraste, les utilisateurs des formats courts sur TikTok sont souvent des jeunes, principalement des adolescents et des jeunes adultes. TikTok revendique plus d'un milliard d'utilisateurs dans le monde, dont une proportion notable se concentre dans la tranche des 16-24 ans.

Cependant, il est essentiel de reconnaître que les habitudes de consommation ne sont pas rigidement définies par l'âge. De nombreux utilisateurs naviguent entre les deux types de plateformes et de formats en fonction de leurs besoins et de leurs désirs fluctuants. Ainsi, un jeune adulte peut consacrer du temps à TikTok pour des divertissements instantanés et des contenus viraux, tout en se tournant vers YouTube pour des explorations plus approfondies, telles que des tutoriels, des analyses détaillées ou des documentaires. De plus, YouTube Shorts (formats courts de Youtube), avec ses 30 milliards de vues par jour à travers le monde, selon les données rapportées, s'impose comme une alternative attrayante aux formats courts proposés par d'autres plateformes.

Ces observations soulignent la diversité des pratiques de consommation en ligne, avec des utilisateurs aux intérêts et aux préférences variés. Alors que les formats longs attirent souvent une audience plus large et diversifiée en termes d'âge, les formats courts continuent de jouir d'une popularité immense auprès des jeunes générations. Cette diversité dans les préférences de contenu reflète la profondeur de l'offre en ligne, offrant aux utilisateurs, indépendamment de leur âge, la possibilité de trouver des contenus qui répondent à leurs besoins cognitifs et à leurs désirs culturels.

Dans quelle mesure le sujet de ces vidéos permet-il d'expliquer la capacité de ces formats à captiver les internautes ? La retransmission d'une conférence politique de 4h a-t-elle la même portée qu'une vidéo sur Star Wars par exemple ?

Le succès et l’attraction suscités par les vidéos en ligne se trouvent intimement liés à la nature du sujet qu'elles explorent. Considérons d'abord le cas des vidéos traitant de sujets populaires tels que Star Wars. Ces contenus bénéficient d'une audience déjà prédisposée, nourrie par une passion préexistante pour la franchise. Ainsi, l'engagement des spectateurs envers le sujet s'avère être un moteur puissant, les incitant à investir leur temps dans des vidéos qui explorent en profondeur les différentes facettes de l'univers Star Wars.

Dans le cadre de l'analyse sur la portée des vidéos en ligne, l'influenceuse Jenny Nicholson, dans une interview accordée à Rolling Stone, illustre parfaitement cette idée. Elle exprime la manière dont sa vidéo sur le Galactic Starcruiser de Disney a captivé un large public, même au-delà des fans de Star Wars. Nicholson explique comment cette vidéo a suscité l'intérêt de nombreux spectateurs qui ne se soucient pas nécessairement de Star Wars ou de Disney. Elle déclare: "Je pense qu'il se pourrait simplement que Disney dans son ensemble soit si grand en ce moment que j'ai l'impression que tout le monde a au moins une conscience culturelle de la marque." Cette citation illustre la manière dont un sujet peut transcender les intérêts spécifiques de son public cible pour toucher une audience plus large.

La portée d'une vidéo est également intrinsèquement liée à sa pertinence et à son attrait pour le public cible. Les vidéos abordant des sujets populaires comme Star Wars bénéficient souvent d'une portée plus large, nourrie par l'attrait quasi universel de la franchise. En revanche, les retransmissions de conférences politiques de 4h peuvent se trouver cantonnées à un public spécifique en raison de leur nature plus pointue et de leur attrait restreint. Ainsi, bien que les deux formats puissent trouver leur public fidèle, la vidéo sur Star Wars est susceptible de toucher un auditoire plus étendu et de susciter un intérêt plus généralisé.

Qu'est-ce que cela dit de la capacité humaine à se passionner pour un sujet et de notre capacité d'attention en général ?

L'analyse des vidéos en ligne, comme celle réalisée par Jenny Nicholson sur le Galactic Starcruiser de Disney, révèle des dynamiques sociales dans la façon dont les individus interagissent avec les contenus médiatiques. Une citation pertinente de Bourdieu pour éclairer ce point serait : "Le pouvoir des médias est moins dans les effets qu'ils produisent que dans les prédispositions qu'ils contribuent à produire ou à reproduire" (Pierre Bourdieu, Sur la télévision, 1996). Cette citation met en évidence l'importance des médias dans la construction et la reproduction des schémas de perception et des préférences culturelles, soulignant ainsi leur rôle dans la formation des goûts et des comportements des individus. On peut appliquer ici l’influence des marques et des grandes entreprises de divertissement sur la popularité des contenus en ligne.

Dans le contexte de la vidéo de Nicholson, l'attrait pour les sujets comme Star Wars dévoile la conduite des individus conditionnés par des facteurs culturels et médiatiques. La domination culturelle exercée par des multinationales comme Disney façonne les intérêts et les préférences des consommateurs en ligne, orientant ainsi leurs choix de contenus. Cette dynamique met en lumière la manière dont les influenceurs médiatiques peuvent modeler les capacités d’attention, les comportements de consommation et influencer les tendances populaires sur Internet.

En comparant la portée d'une vidéo sur Star Wars à celle d'une conférence politique de quatre heures, on observe comment les contenus médiatiques captivent différemment les internautes en fonction de leur attractivité culturelle et de leur pertinence perçue. On peut donc en déduire de quelles façons ces différences reflètent les hiérarchies culturelles et les rapports de pouvoir au sein de la société, où certains sujets jouissent d'un prestige et d'une attention plus élevés que d'autres en raison de leur capital symbolique et de leur position dans le champ médiatique.

Pour conclure, l'échec commercial de l'hôtel Star Wars Galactic Starcruiser, bien que significatif, ne modifiera en rien l'attention médiatique que Disney continue de recevoir. Cet hôtel de luxe, avec ses tarifs exorbitants allant jusqu'à 6000 dollars pour une suite, s'est avéré être une entreprise trop ambitieuse pour un public en proie à l'inflation et aux attentes déçues post-trilogie Star Wars. La fermeture de cet hôtel, moins d'un an après son ouverture, éclaire sur un décalage flagrant entre l'offre et la demande réelle des consommateurs.

Cependant, la fascination médiatique pour Disney et ses franchises persiste. Les propos de Bernard Cova, professeur de sociologie de la consommation et de marketing illustrent bien ce phénomène.

« En tant que passionné des marques et des communautés qui les composent, je pense pouvoir dire que les fans de Star Wars font partie des fans les plus engagés du monde ». Cette affirmation montre que la dévotion des fans transcende les échecs commerciaux, alimentée par une couverture médiatique continue et une nostalgie culturelle profondément enracinée.

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