Syrie, la clé de Téhéran : ce que veut vraiment l’Iran pour le régime de Bachar el-Assad <!-- --> | Atlantico.fr
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L'Iran est un soutien majeur de Bachar el-Assad.
L'Iran est un soutien majeur de Bachar el-Assad.
©Pixabay

Un renard dans le poulailler ?

Annoncée mardi 27 octobre par la diplomatie américaine, la participation de l'Iran à la conférence internationale sur la Syrie de vendredi 30 octobre à Vienne est un tournant diplomatique important. L'entrée de ce soutien majeur de Bachar el-Assad dans le processus de négociation est l'occasion d'examiner son rôle dans les jeux de pouvoir qui se jouent en Syrie.

Thomas Flichy de La Neuville

Thomas Flichy de La Neuville

Ancien élève en persan de l'Institut National des Langues et Cultures Orientales, Thomas Flichy de La Neuville est agrégé d'histoire et docteur en droit. Chef du département des études internationales à l'Ecole Spéciale de Saint-Cyr, Thomas Flichy de La Neuville est membre du Centre Roland Mousnier de l’Université Paris IV – Sorbonne. Il intervient dans de nombreuses universités étrangères, notamment à l'United States Naval Academy, la Theresianische Militärakademie, l'Université d'Oxford et de Princeton. 

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Atlantico : Alors qu'on apprend que l'Iran participera à la conférence internationale sur la Syrie à Vienne le vendredi 30 octobre, quelle est la situation de l'Iran sur le terrain en Syrie et quelle influence a-t-elle sur le conflit ?

Thomas Flichy de La Neuville : L'Iran est présent depuis de nombreuses années afin de soutenir l'action militaire du Hezbollah. C'est par là qu'il existe une vielle coopération entre l'Iran et le gouvernement syrien. Cette coopération s'est soldée récemment par des tensions entre les Pasdarans (les Gardiens de la révolution islamique) et l'Etat-major syrien. Ces tensions sont liées aux pertes importantes subies par les centaines de combattants Iraniens qui se battent aux côtés des troupes de Bachar Al-Assad, notamment parmi leurs chefs. Il s'agit des troupes d'élite de la République islamique d'Iran, noyau dur du régime. Ils jouent essentiellement un rôle de conseillers militaires auprès de l'armée de Bachar Al-Assad et sont donc disséminés sur l'ensemble du théâtre d'opérations. Ils sont d'ailleurs également actifs en Irak ou au Yémen. L'Iran a largement étendu ces derniers temps son champ d'opération extérieur qui semble être à son maximum. Il ne faut donc pas trop exagérer l'étendue de l'intervention militaire iranienne en Syrie.

Que veut obtenir et éviter l'Iran dans le conflit syrien ?

Il faut comprendre que l'Iran et la Syrie sont deux très vieilles civilisations. La Syrie c'est l'âme du Moyen-Orient. Et comme l'Iran est une puissance millénaire très enracinée, qui a beaucoup de mépris pour des constructions politiques plus récentes comme l'Arabie saoudite, il est important pour elle d'être connectée avec cet arrière-pays syrien avec lequel elle a un lien civilisationnelle. L'appui du gouvernement iranien est donc géostratégique. La situation militaire est très proche de celle qu'on a connue pendant la Guerre en Crimée en 1853 – 1856. Il y avait une alliance entre la Turquie, la France et la Grande Bretagne contre la Russie. La configuration géopolitique actuelle est assez similaire, à l'exception du fait que la Guerre de Crimée s'est soldée par une victoire diplomatique française, tandis que là, à l'inverse, on a un retour en force de la diplomatie russe. L'Iran est aujourd'hui dans une alliance continentale avec la Russie et la Chine qui s'oppose à une alliance atlantique menée par les Etats-Unis. Cette alliance continentale est en déficit maritime et la seule façon pour l'Iran de devenir puissant c'est d'avoir une véritable ouverture sur la mer. Cela peut se faire via le Golfe Persique, via la mer Caspienne ou encore via la Méditerranée orientale, notamment les côtes syriennes. Pour comprendre l'intérêt de la Syrie pour l'Iran aujourd'hui il faut regarder une carte de ce qu'a été l'Empire achéménide qui est l'Empire perse du temps de l'Empire romain. Cet empire est extrêmement puissant : il maîtrise la moitié de la Méditerranée orientale par l'entremise de peuple navigateurs comme les Phéniciens ou les Omanais. Pour l'Iran, accéder à la mer c'est donc une façon de se désenclaver et de renouer avec la puissance. La façade maritime syrienne est donc capitale pour l'Iran.

Jusque-là les Etats-Unis refusaient de traiter avec le principal soutien de Damas. Qu'est-ce que ce changement de position dit de l'état des forces dans ce conflit et de l'évolution de la diplomatie  américaine ?

La diplomatie américaine a fait son virage déjà le 14 juillet dernier lorsqu'elle a poussé à renouer avec l'Iran. A partir de ce moment-là, le Président Obama a opéré un retour au réel, à la grande tradition diplomatique. Cet été a été un moment d'effort très intense de la part de la Russie et des Etats-Unis pour reprendre la main sur le Moyen-Orient. Aujourd'hui, dans l'antagonisme Russie - Etats-Unis au Moyen-Orient, on a un combat pour retrouver l'initiative stratégique. L'objectif n'est pas cette fois le pétrole – il y en a trop dans le monde et ce n'est plus devenu essentiel –, ce qui est important pour les puissances c'est désormais d'avoir la main sur les lieux sacrés, les lieux religieux, qui sont des territoires à l'importance géostratégique majeure car ils permettent d'influer sur les civilisations qui se les disputent. La Russie tache d'obtenir une victoire militaire symbolique à partir de laquelle elle compte recomposer une alliance au Moyen-Orient sous son leadership. Ce que cherchent les Américains, c'est d'empêcher la Russie de reprendre la main. Ils désengagent leurs troupes du Moyen-Orient mais ils ne veulent pas pour autant laisser le champ libre aux Russes. La Russie s'est engagée dans le vide ou les contradictions de la politique américaine. Les Américains ont intérêt à faire entrer l'Iran dans les négociations car cela constitue pour eux un levier. Les Iraniens sont fascinés par les Etats-Unis : à la fois ils brûlent des drapeaux américains mais dès qu'ils ont de l'argent, la première chose qu'ils font c'est d'envoyer leurs enfants étudier dans les universités américaines. Les Américains font miroiter aux Iraniens la possibilité d'injecter des capitaux dans leur économie en échange de leur rôle diplomatique pour résoudre la crise syrienne. C'est intelligent de la part des Américains de permettre aux Iraniens de participer à ces négociations parce qu'ils ont des moyens de pression derrière. Du côté Russe, il faut rappeler que la relation irano-russe n'a pas toujours été très bonne. Même s'il y a une alliance conjoncturelle Iran / Russie / Chine aujourd'hui, les Iraniens se souviennent qu'au XIXème siècle que toute la partie nord de l'Iran était colonisée par les Russes.

Quel impact cette inclusion de l'Iran dans les négociations diplomatiques a-t-elle dans la guerre par procuration que se font l'Iran et l'Arabie Saoudite ?

L'Arabie saoudite ne peut percevoir cette entrée de l'Iran dans le jeu des négociations qu'avec défiance. Même si le fait que l'Etat islamique s'attaque à la fois à la Syrie et à l'Iran a pour conséquence que l'Arabie saoudite et la Turquie n'ont pas intérêt à le voir disparaître trop vite, cette guerre ne peut pas durer indéfiniment. Par ailleurs l'Arabie saoudite est aussi une puissance fragile, rien n'interdit donc de penser que tout cela aboutisse à un statu quo. En ce moment la situation est extrêmement mouvante, cela évolue assez vite, donc il est possible que l'Arabie saoudite elle-même, à l'image des Etats-Unis et de l'Iran, se repositionne sur une ligne plus réaliste. Ce qui peut la pousser à faire des concessions.

L'entrée de l'Iran dans les négociations est-elle une bonne nouvelle pour Bachar Al-Assad ?

L'Iran et la Russie ont tous deux émis des signaux faibles depuis plusieurs mois en disant qu'ils n'étaient pas attachés ad-vitam aeternam à la personne même de Bachar Al-Assad. D'ailleurs il faut bien comprendre que ce n'est pas tellement la personne de Bachar Al-Assad qui compte vraiment mais plutôt son clan, les Alaouites, qui tient le haut de la hiérarchie militaire et administrative dans la Syrie actuelle. 

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