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Surprise ! La génération Y est beaucoup moins narcissique que l’image qu’elle donne d’elle-même
©wikipédia

Miroir mon beau miroir !

Une étude de chercheurs de l'Illinois montre que le narcissisme des jeunes de 2010 est moins important que celui de ceux de 2000. Mais le narcissisme est de plus en plus difficile à mesurer aujourd'hui.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Des chercheurs en psychologie de l’Illinois se sont penchés sur les résultats d'une étude réalisée avec les données de 1 166 étudiants de l'Université de Californie, dans les années 1990 et de dizaines de milliers d'étudiants entre 2000 et 2010. Il en ressort que les plus anciens étaient plus narcissiques que les derniers. Comment est-ce possible de faire plus narcissique que notre société basée sur les réseaux sociaux? Cette étude, réalisée avec l’échelle NPI (Narcissistic Personnality Inventory) pose une double question. Qu’est ce que le narcissisme ?  Que mesure réellement l’instrument destiné à l’évaluer ? 

Jean-Paul Mialet : Rappelons que cette échelle, qui date de 1979, a été développée à la suite de la description des troubles narcissiques de la personnalité dans l’une des premiers classifications américaines des maladies mentales, la DSM III : elle est donc inspirée par une approche pathologique du narcissisme. 

Or le narcissisme comporte un aspect normal ; il est, comme on l’a dit ailleurs, un prolongement heureux de l’amour de soi. Il aide au succès par une vision positive de soi-même, permet de s’affirmer et peut contribuer utilement à un tempérament de leader. 

Le narcissisme devient pathologique à un degré extrême lorsque, porté par une image grandiose de soi-même, on devient arrogant, on s’arroge tous les droits, même ceux d’exploiter les autres à son profit. Ou encore lorsque le narcissisme est trop fragile : un profond manque d’estime de soi s’accompagne alors d’une grande vulnérabilité émotionnelle. 

On voit que le narcissisme dont on parle là est un ressort central de la construction individuelle, et que le NPI se propose de rendre compte de défauts éventuels de ce ressort.  Néanmoins, la complexité de la notion de narcissisme, pris à un niveau individuel, ne se prête pas à une mesure homogène, et de nombreux débats ont eu lieu sur les dimensions exactes que mesuraient le NPI. 

Cette échelle utilise quarante couples de propositions entre lesquelles il faut arbitrer. Prenons un exemple : « Je suis autoritaire »/ «J’aimerais être plus autoritaire » ; que mesure la réponse ? L’estime de soi, le goût du leadership ou le narcissisme ? Un autre reproche a été adressé au NPI : depuis 1979, l’interprétation des questions a changé et les comparaisons intergénérationnelles des réponses ont peu de valeur. 

Bien des raisons, comme on le voit, doivent rendre prudent quant aux résultats surprenants de cette étude. Mais la raison majeure est selon moi que le glissement d’une société vers le narcissisme ne peut pas être adéquatement mesuré par des instruments issus de la psychopathologie et destinés à évaluer un narcissisme pathologique individuel. 

Est-il vraiment possible de mesurer le narcissisme à l'échelle d'une société par le biais de données chiffrées?

L’intérêt de ce genre d’étude est de démontrer que, du moins, il ne semble pas qu’il y ait une explosion de troubles narcissiques de la personnalité. Quant à des données chiffrées à l’échelle d’une société… On voit combien déjà, à l ‘échelle individuelle, la notion de narcissisme se prête mal à une quantification. J’imagine difficilement une échelle de narcissisme social – mais peut être existe-t-elle déjà dans un quelconque laboratoire de sociologie. Est-il néanmoins possible, sans disposer de données chiffrées, de nier que le phénomène d’une évolution vers une culture narcissique décrit par Christopher Lasch dans les années 80 n’a fait que se confirmer et s’amplifier depuis ?  Chacun a besoin d’exposer son image devant tous et de tenir au courant son réseau des menus faits de sa vie courante. Ces faits sont devenus usuels : ils sont l’ordinaire des jeunes et moins jeunes générations. Un de mes patients passionné d’aviation a fait passer passer un baptême de l’air à sa fille dans son propre avion dans le désir de lui faire partager sa passion : il a été stupéfait ne pas la voir lâcher son Smartphone pendant tout le vol, prenant des photos d’elle-même qu’elle adressait à toutes ses amis. Comment, me disait-il, pouvait-elle goûter les impressions du vol en s’absorbant ainsi ? Si le narcissisme néfaste est une absorption sur soi-même qui nuit à l’ouverture à l’existence, nul doute que notre société a encouragé le développement de cet encombrement par soi-même qui prive d’un ressenti direct. Mais il ne s’agit pas d’un narcissisme pathologique tel que celui que vise à détecter le NPI. Quelles seront, à termes, les conséquences de cette société narcissique, quel effet en retour peut-on prévoir sur le narcissisme individuel,  quel résultat pour l’harmonie des relations collectives ? L’avenir nous le dira…

L'étude montre que les personnes âgées sont moins narcissiques (avec la notation sur 40 que présente Roberts). Le narcissisme se guérit-il avec l'âge ?

L’âge apporte en principe la sagesse. Bien sûr, les expériences de la vie et le vieillissement conduisent  à mettre de la mesure dans ses ambitions. Pour reprendre le titre de deux volumes célèbres des mémoires de Simone de Beauvoir : après « La Force de l’âge », « La Force des choses »… Il faut admettre, à un moment, que l’Ego ne peut pas tout. Je ne dirais donc pas que le narcissisme se guérit avec l’âge, mais qu’il se tempère. Mais vous voyez comme votre question, quand elle parle de « guérison », présuppose que le narcissisme est pathologique. Or comme je l’ai dit dès le début, il y a un narcissisme sain. Et c’’st plutôt le narcissisme sain qui se tempère avec l’âge. En revanche, le narcissisme pathologique vieillit mal : ceux qui ont de vrais troubles narcissiques n’ont pas tendance à guérir avec l’âge, mais à trouver moins de moyens de s’adapter à l’existence ;  ils versent alors dans des pathologies variées.

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