Starts-ups de la Tech : le grand réveil européen ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Starts-ups de la Tech : le grand réveil européen ?
©GIANRIGO MARLETTA / AFP

Futur leader ?

Alors que la reprise en main du secteur de la tech chinoise a stoppé sa croissance, en 2021, l’Europe a dépassé la Chine en matière de création de licornes, ces start-ups technologiques valorisées à plus d’un milliard

Gilles Babinet

Gilles Babinet

Gilles Babinet est entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique et conseiller à l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Son dernier ouvrage est « Refonder les politiques publiques avec le numérique ». 
 
Voir la bio »

Atlantico : L'Europe a récemment dépassé la Chine en matière de création de « licornes », ces start-ups technologiques valorisées à plus d'un milliard de dollars. Cette année, la Chine a vu la création de 26 nouvelles licornes, contre 98 en Europe. Comment expliquer un tel renversement de situation ? Faut-il y voir une répression de Pékin sur l'entrepreneuriat capitaliste ? Ce phénomène est-il parti pour durer ? 

Gilles Babinet : Des années durant, les chinois ont beaucoup investi à l’étranger. Lorsque le contrôle des changes s’est resserré et que ces investissements sont devenus plus difficiles, ceux-ci se sont reportés vers l’immobilier, et lorsque le gouvernement chinois a cherché à réduire l’afflux de capitaux, le financement s’est reporté vers les startups. Là également, des phénomènes de bulle se sont probablement produits. Deux phénomènes se sont produits en même temps : le resserrement dû à la régulation, et les contraintes géopolitiques qui ont abouti au départ des fonds américains. La situation en chine s’est donc totalement retournée d’un contexte particulièrement favorable à un contexte très contraint, sans même parler des volontés de contrôle financiers d’acteurs comme Ant Financial. 

A l’inverse, en Europe, les écosystèmes ont commencé à monter en puissance de façon tardive, mais d’une manière exceptionnelle. Le capital humain est de très bonne qualité et il existe nombre d’écosystèmes vertueux, où se mêlent startups, grandes entreprises, chercheurs et systèmes universitaires. 

À Lire Aussi

5,1 milliards d’euros : en 6 mois les start-up françaises ont déjà levé presque autant que pendant toute l'année 2020

Depuis au moins deux ans, le capital a été très largement restreint en Chine. A titre d’exemple, l’Inde rattrape son retard sur la Chine de façon notable. En Chine, il existe un nombre important de startups convenablement financées, mais on peut se poser la question de savoir si le changement de contexte ne risque pas de leur être fatal.

Le vieux continent a des forces et des faiblesses. Mais la tendance est aujourd’hui favorable à l’Europe, principalement pour deux raisons. La première c’est qu’il n’y a pas encore d’épuisement du capital humain. S’ils sont plus petits qu’aux USA, il y a beaucoup plus d’écosystèmes et de clusters d’innovation. Aux États-Unis, les clusters d’innovation se concentrent autour de six grandes villes. En Europe, il y en a quasiment autant que de capitales. En France, pays centralisé par excellence, voit néanmoins des villes secondaires prendre une place dans le numérique. Nantes ou même Vierzon sont ainsi des villes où se trouvent les sièges de ces fameuses licornes. Par ailleurs, les gouvernements européens prennent des initiatives qui prennent du temps à faire effet mais qui sont efficaces. 

Il est important de comprendre que la dynamique temporelle est structurante : l’Europe s’est lancée dans le numérique en 2012, c’est-à-dire beaucoup plus tard que la Chine, qui s’est lancée en 1997, sous l’égide de Jiang Zemin. Les Etats Unis se sont lancés à minima 50 ans plus tôt, dans les années soixantes dix avec le développement de l’internet initial. L’Europe rattrape un retard considérable, et il faut accepter que cela prendra probablement des décennies.  

Les points faibles de l’Europe se situent au niveau de la synchronisation de la recherche et de la fragmentation des marchés. Si une startup veut se positionner à un niveau européen, il faut généralement qu’elle ouvre une agence dans chaque pays, ce qui est évidemment un facteur handicapant. 

Enfin, un facteur qui joue évidemment, ce sont les enjeux liés à la commande militaire qui, quel que soit le jugement moral que l’on puisse avoir à cet égard, sont déterminants dans le succès des leaders. 

Cette récente augmentation de nombre de licornes est-il lié à une sorte de grand réveil européen ? Pourraient-elles être un futur atout pour le vieux continent ?

La notion de réveil européen est avant tout le fait de la rencontre d’une révolution technologique avec un capital humain de qualité. Des initiatives publiques ont également joué :  le Fond Européen d’Investissement au niveau de l’Union et la BPI et ses équivalents au niveau des pays ont joué leurs rôles. 

Si quelques initiatives importantes de la Commission permettent d’aider au financement de la recherche, on ne peut pas parler de grand réveil européen, en tant que leadership politique. On peut évidemment accuser l’Europe  mais il faut avoir à l’esprit que son budget représente seulement un peu plus de 1% de son PIB. 

Va-t-on rattraper les États-Unis ? Ce n’est pas une fin en soit mais à long terme une convergence me semble vraisemblable. Pour l'instant, les problèmes aux USA sont importants, à titre d’exemple, un bon codeur coûte environ 200 000 dollars aux États-Unis contre 70 000 euros en France. Sans parler des problèmes de visas et d’inflation générale du secteur.

L’année dernière, Pékin a mis un frein à ses géants technologiques les plus prospères et les plus libres, comme le groupe Alibaba, entraînant une perte de valeur boursière. Comment expliquer une telle décision ?

Les analystes politiques observent que Xi Jinping a une profonde aversion pour le capitalisme débridé, qu’il voit comme s’opposant à l’objectif socialiste. Il y va à la dure et tant pis pour la casse. Ainsi, le gouvernement chinois met une forte pression sur les milliardaires pour qu’ils soient plus « charitables ». Je crois avoir lu qu’il leur est fortement recommandé de se délester de 25% de leur fortune donc forcément, de nombreux entrepreneurs vont y laisser des plumes. 

Malgré cette récente augmentation du nombre de licornes, l’Europe reste loin derrière les États-Unis en matière de création de start-ups. Outre-atlantique, 384 licornes ont vu le jour en 2021. Quelles sont les raisons d’un tel retard ?

Le même ratio était beaucoup plus élevé il y a une décennie. L’Europe rattrape donc pour l’instant son retard. La seule différence de fond est la temporalité. Les Etats-Unis ont « inventé » le venture capital dans les années 1960, alors que l’Europe a commencé à disposer de quelques investisseurs en capital risque au début des années 2000, et ce n’est pas le seul facteur. La croissance s’est ensuite amplifiée en Europe à partir de 2013/2014. Le vieux continent ne peut pas rattraper 40 ans de retard du jour au lendemain. 

Les levées de fond les plus nombreuses ont été faites au Royaume-Uni, qui a quitté l’Union Européenne. Malgré cette forte augmentation sur le vieux continent, peut-on penser que l’Union Européenne est une sorte de frein à la création de start-ups ?

Je ne pense pas qu’il y ait un rapport avec la sortie de l’Union Européenne. Le Royaume-Uni possède beaucoup d’avantages par rapport aux autres pays européens. Pour commencer, ils ont l’une des premières places financières de la planète, ce qui a facilité le développement du capital risque. Deuxième avantage : ils parlent anglais ! C’est la langue de la technologie numérique; la barrière d’accès aux techniques, au marché US pour commencer, en est de ce fait amoindri. Enfin, ils possèdent plusieurs des meilleures universités du monde. Je ne serais pas surpris si on faisait le constat que Cambridge produit à elle seule une proportion significative des licornes britanniques. 

De nombreux investisseurs, notamment américains, ont été attirés en Europe au cours de l’année passée. Comment expliquer ce phénomène nouveau ?

De nombreux fonds américains se sont en effet rendu compte que l’écosystème européen est en train de décoller. Qu’il se trouve désormais en Europe de nombreux « serial entrepreneurs ». Je pense par exemple au Frères Samwer en Allemagne dont le tableau de chasse est réellement remarquable. Certains d’entre eux, dont les Samwer, ont monté des incubateurs qui fonctionnent remarquablement bien, ce qui attire les investisseurs étrangers. Le capital risque s’est d’abord institué au sein de la côte ouest et en Israël au début des années 1990, puis en Chine et sur la côte Est au début des années 2000. Par la suite, il s’est développé au Royaume-Uni, en Inde et dans de nombreux pays. Aujourd’hui, les fonds voient l’Europe comme un espace incontournable.

Qu’est ce qui bridait jusqu’à présent la création de licornes en Europe ? 

Principalement la fragmentation du marché. Lorsque l’on crée une start-up en Allemagne et que l’on veut se lancer en France, il faut presque tout recommencer. Ensuite, et ce point est très important, il y avait un manque important de culture numérique. Quand on effectue une analyse statistique sur Github, on remarque que les comptes européens sont plus  récents que la moyenne des comptes créés. Cette culture du numérique est venue d’abord des pays nordiques. Il faut d’ailleurs observer que la première décacorne européenne est Spotify, d’origine suédoise. 

L’autre aspect est également un manque de formalisation des écosystèmes. Pour fonder une licorne, il faut des codeurs, des marchés, des fonds d’investissements, des mentors… Il faut du temps pour que tous ces facteurs coexistent de façon efficace. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !