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Sonia Mabrouk : "En traitant principalement l'islam sous un angle religieux, les médias ont oublié les intellectuels musulmans, qui du coup, nous manquent"
©Reuters

D'une rive à l'autre

Dans son livre "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille", la journaliste Sonia Mabrouk entretient le récit des conversations avec sa grand-mère et aborde toutes les grandes questions contemporaines qui secouent la société française sans tabou. Entretien.

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk est journaliste sur Europe 1 et CNews, auteur de Reconquérir le sacré (Editions de l'Observatoire, 2023), l'essai Le Monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion, 2017) et du premier roman sur les enfants du djihad Dans son cœur sommeille la vengeance (Plon, 2018) . Elle a aussi été enseignante à l'université.

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Atlantico : Dans votre livre, "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille." Dans ce livre vous relatez les conversations avec votre grand-mère tunisienne. Un chapitre particulier aborde le thème du traitement médiatique des questions liées à l'islam. Pour vous est-ce qu'il y a une sous-représentation des intellectuels musulmans  dans les médias ? Comment l'expliquer ?

Sonia Mabrouk : Il y a clairement une sous-représentation. Il y a une session rattrapage ces derniers temps. On s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas les occulter, les priver de débat donc ils reviennent peu à peu.

Comment l'expliquer, il y a une sorte de réflexe pavlovien, c'est-à-dire qu'à chaque fois qu'on a parlé d'islam, on a convoqué surtout le religieux. On a convoqué l'imam. On a pensé l'islam en religion alors que c'est un phénomène de société. Il apparaît tellement évident qu'il faut inviter des intellectuels mais aussi d'autres membres de la communauté musulmane également mais on ne l'a pas fait.

On a tendance à se rattraper maintenant, avec énormément de retard. Ce temps perdu a vraiment été dommageable. Au moment où l'on a eu de nombreux chocs dans notre société avec les attentats c'était à ce moment-là qu'il fallait les écouter. Davantage que les responsables religieux ou politique. On n'a pas fait appel à ces personnalités alors qu'ils ont une parole qui peut pourtant apaiser. Et c'est peut-être parce que cette parole est apaisée que l'on n'a pas voulu les appeler. Il y a là une forme de cynisme assez incroyable. Je pense qu'il y a des propos qui sont jugés comme étant trop consensuels et que l'on ne veut pas entendre dans le monde médiatique. Justement parce qu'ils sont consensuels. Dans une période où il faut calmer et chercher à comprendre, on cherche parfois à hystériser un débat qui l'est parfois totalement.

Le débat a été confisqué, pris en otage par des personnes qui étaient évidemment légitimes mais il fallait dépasser le cadre religieux et beaucoup de Français de confession musulmane ne se sont pas du tout senti représenté par ces personnalités-là.  Il y a des imams qui font un travail extraordinaire mais c'est compliqué pour eux de prendre la parole. Or un intellectuel est fait pour porter une parole publique. C'est à eux de venir en premier.

Pour vous, quels rôles peuvent jouer ces intellectuels musulmans sur les questions d'islam radical et politique ?

Ils tracent des perspectives qui sont nécessaires. Ceux que l'on invite sur des plateaux, ils réagissent à chaud à l'actualité. Ils délivrent un message à l'instant "T" qui le lendemain est oublié. Or, les intellectuels réfléchissent à plus long terme, se projettent. Dans les moments de crise on ne les a pas entendu alors qu'ils nous disaient déjà qu'il fallait repenser l'islam ou en tout cas questionner certains dogmes religieux comme on le fait pour d'autres religions. Ces intellectuels français, pour certains musulmans, cela ne les choque pas. Il fallait que cette parole soit portée assez vite mais elle a été confisquée alors qu'elle permettait de mettre de la distance et de la perspective. Choses qui manquent cruellement.

Voilà pourquoi le débat est hystérisé, nous n'avons simplement pas les bons interlocuteurs. Même si ces intellectuels mettent le couteau dans la plaie, ils nous permettent de nous projeter et c'est vraiment ce qui a manqué jusque-là.

Comment les attentats ont fait évoluer le débat public en France sur ces questions ?

J'ai l'impression que les Français ont intégré ce débat beaucoup mieux que ceux qui en parlent. Il y a une forme de dignité, de résistance de la société française qui est incroyable et qui n'est pas le reflet de ce que l'on voit dans les médias. Nous, les médias, nous hystérisons alors que les Français sont beaucoup plus évolués que nous sur ces questions. Ils ont compris que c'était plus un enjeu de société que de religion. Un pays qui a subi autant de chocs et dans lequel il n'y a pas de vengeance, on peut dire que c'est un pays formidable. Dans mon ressenti les citoyens ont intégré qu'il en allait d'un avenir commun que de comprendre cela.  

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