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Pour obtenir de l'essence, il a fallu attendre plusieurs heures pour les automobilistes devant les stations-service.
Pour obtenir de l'essence, il a fallu attendre plusieurs heures pour les automobilistes devant les stations-service.
©Sylvain THOMAS / AFP

Répétition générale

La fermeture des stations service que connaît la France à l’heure actuelle est due à un conflit social. Mais la question de la sécurité globale de nos approvisionnements plane sur notre futur proche…

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : La fermeture des stations-service que connaît la France à l’heure actuelle est due à un conflit social. Mais la question de la sécurité globale de nos approvisionnements plane sur notre futur proche. Sommes-nous menacés de (vraies) pénuries d’essence dans les mois à venir ?

Damien Ernst : La grève des raffineries est le point de bascule qui fait en sorte qu’on a des pénuries. Le principal problème, c’est qu’il n’y a presque pas de capacité de raffinage supplémentaire dans le monde à part peut-être en Chine. Sinon, toutes les raffineries du monde tournent à plein régime donc dès que vous en perdez quelques-unes, ça va systématiquement se solder par des pénuries. 

Avoir les permis pour en construire est devenu impossible et les exigences environnementales sont de plus en plus grandes, c’est ça le nœud du problème. Et un petit conflit social peut donc directement entrainer une pénurie. La situation de pénurie pourrait être accentuée par le fait que l’on va mettre un embargo, avec un price cap, à partir de décembre sur les produits pétroliers russes. 

En réalité, notre sécurité d’approvisionnement au niveau pétrole à la fois brut et raffiné est extrêmement faible et s’il y a un évènement majeur qui se produit dans le monde, les prix risquent de flamber.

Les décisions de l’OPEP, des Etats-Unis ou du Canada semblent montrer qu’il n’y aura pas de hausse de la production de pétrole à attendre. Sommes-nous seuls face à cet enjeu ? D’où peuvent venir les solutions en matière de pétrole ? 

Les États-Unis et le Canada vont aussi subir une augmentation du prix du pétrole même si elle reste relative. On peut imaginer une situation de crise pétrolière majeure où les États-Unis et le Canada limiteront aussi leurs exportations vers l’Europe. Ce qui accentuerait cette crise car l’Europe est très vulnérable. Les États-Unis ont une certaine forme d’indépendance au niveau du pétrole mais pas pour tous les types de pétrole : ils produisent énormément de pétrole léger qui provient du pétrole de schiste mais ils doivent tout de même importer du pétrole lourd. Quant à l'Europe, elle ne produit quasiment rien. 

On est dans une crise assez similaire à celle qui concerne le gaz, même si le pétrole se transporte mieux. Il n’y a juste pas assez de marge au niveau du pétrole. L’OPEP va diminuer sa production et les marges qui resteront seront très faibles. On a l’impression que vu les marges très faibles de production et de raffinage, n’importe quel événement significatif dans le domaine du pétrole peut conduire à des prix élevés comme en France à l’heure actuelle.

À quel point payons-nous les conséquences de décisions françaises européennes en matière de forage, d’exploration, de raffinage ?

On s’est désarmés au niveau de nos moyens de production de pétrole et nous dépendons beaucoup trop des importations. En France, c’est encore beaucoup plus grave que ça. Total Energies, le géant français du pétrole, qui permet d’assurer une certaine sécurité d’approvisionnement, est plutôt traité comme un ennemi de l’État. Il y a continuellement des manifestations contre l’entreprise. Ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. 

On a foré beaucoup trop peu en Europe. C’est toute une mentalité qui est très difficile à comprendre d’un point de vue rationnel quand on fait face à ce genre de crise.

Quelles décisions y ont contribué ?

On a surtout, au niveau du pétrole de la mer du Nord, décidé de ne plus forer alors qu'il reste des gisements. En cas de problème d’approvisionnement ou de coûts très élevés, les compagnies pétrolières devraient être des amies ou en tout cas des compagnies avec lesquelles il faut travailler pour continuer de faire baisser les prix. or ce n'est pas le cas aujourd'hui.

On a eu un bel exemple, certes un peu symbolique, lorsque Total a baissé le prix dans les stations-service françaises, car c’est son pays d’origine. Ça n’a pas été le cas dans d’autres pays européens. C’est un exemple de travail d’un État avec une compagnie pétrolière du même État.

À quel point a-t-on sous-estimé nos besoins de pétrole actuels ?

C’est au niveau international qu'il y a trop peu d’investissements faits en exploration et en développement de nouveaux gisements vis-à-vis de la demande. On fait toujours l'hypothèse que la demande va baisser rapidement. Et au moment où on fait un planning de production, cela crée un problème de capacité de production. On flirte actuellement avec les limites au niveau de la capacité de production et de raffinage. Ce type de scène risque de se reproduire de plus en plus dans le futur si on n’arrive pas à diminuer la demande de pétrole. Ce qui passe par les véhicules et les camions électriques ; c’est la mobilité de surface qui doit être électrifiée.

Je crains que notre capacité de production au niveau international risque de diminuer plus vite que la demande pour le produit pétrolier. On sent arriver une ère du pétrole qui sera cher.

Est-ce possible de diminuer notre consommation de manière rapide ?

Le meilleur moyen, c’est d’agir sur la mobilité de surface. Cela veut dire passer aux véhicules électriques, ce qui crée d'autres contraintes. Avec le prix de l’électricité et du gaz, vous payez plus chers en énergie par kilomètre parcouru avec un véhicule électrique qu’avec de l’essence ou du diesel. Dans un tel contexte, dire que les gens vont rapidement passer aux énergies renouvelables me semble optimiste car l’incitant financier n’est plus là et ils sont plus chers à l'achat. Et il ne faut pas se leurrer : l'incitant financier était censé jouer un rôle très important pour le passage à la mobilité électrique.

Est-ce que les tensions actuelles peuvent conduire à de vraies pénuries à long terme ?

On n’a jamais été autant à risque que maintenant. Le monde pétrolier est sur une corde raide et risque de devoir faire face à une vraie pénurie à cause de plusieurs raisons : Le manque d’investissement en raffinage, le problème de l’approvisionnement russe en pétrole, le manque d’investissement des pétroliers, les problèmes de la filière du pétrole de schiste américaine, le switch du gaz vers le pétrole, etc. Ces différents éléments me font penser qu'il est probable qu’une crise du pétrole se crée et s’accentue dans les semaines et mois qui viennent.  Il ne faut pas oublier que la Strategic Petroleum Reserve (SPR) américaine s’amenuise à vue d'œil - plus d’un million de barils par jour - et quand on n’en relâchera plus, cela participera à augmenter les prix. Tous les éléments d’une crise sont réunis. Il faut faire attention.

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